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23/12/2014 | FRANCE | N°380858

France | France, Conseil d'État, 10ème sous-section jugeant seule, 23 décembre 2014, 380858


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juin et 23 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de la Manche demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-246 du 25 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de la Manche, ensemble la décision du Premier ministre rejetant sa demande tendant au retrait de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du

code de justice administrative.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la Cons...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juin et 23 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de la Manche demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-246 du 25 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de la Manche, ensemble la décision du Premier ministre rejetant sa demande tendant au retrait de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la Constitution ;

- le code électoral ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-667 DC du 16 mai 2013

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Timothée Paris, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

1. Considérant que le département de la Manche demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2014-246 du 25 février 2014, portant délimitation des cantons dans le département de la Manche et de la décision refusant de retirer ce décret ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 191-1 du code électoral, résultant de la loi du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral : " Le nombre de cantons dans lesquels seront élus les conseillers départementaux est égal, pour chaque département, à la moitié du nombre de cantons existant au 1er janvier 2013, arrondi à l'unité impaire supérieure si ce nombre n'est pas entier impair. / Le nombre de cantons dans chaque département comptant plus de 500 000 habitants ne peut être inférieur à dix-sept. Il ne peut être inférieur à treize dans chaque département comptant entre 150 000 et 500 000 habitants " ; que ces dispositions impliquent qu'il soit procédé à une nouvelle délimitation de l'ensemble des circonscriptions cantonales, qui sera applicable à compter du prochain renouvellement général des conseils généraux fixé au mois de mars 2015 ; qu'aux termes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa version issue de la loi du 17 mai 2013 applicable à la date du décret attaqué : " I. - Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'Etat après consultation du conseil départemental qui se prononce dans un délai de six semaines à compter de sa saisine (...) III. - La modification des limites territoriales des cantons effectuée en application du I est conforme aux règles suivantes : a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; / c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3 500 habitants ; / IV. - Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ou par d'autres impératifs d'intérêt général " ;

3. Considérant que le décret attaqué a, en application de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, procédé à une nouvelle délimitation des cantons du département de la Manche, compte tenu de l'exigence de réduction du nombre des cantons de ce département de cinquante-deux à vingt-sept qui résulte de l'application de l'article L. 191-1 du code électoral ;

Sur la légalité externe du décret :

En ce qui concerne l'avis du Conseil d'Etat :

4. Considérant qu'il ressort de la copie de la minute de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, telle qu'elle a été versée au dossier par le Premier ministre, que le texte publié ne contient pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat ; que le département requérant n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que le décret attaqué aurait, pour ce motif, été pris à l'issue d'une procédure irrégulière ;

En ce qui concerne les contreseings :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution " ; que les ministres chargés de l'exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution des actes en cause ; qu'en l'espèce, aucune disposition du décret attaqué, qui se borne à procéder à la délimitation des circonscriptions électorales que sont les cantons du département de la Manche, n'appelle de mesure d'exécution que le ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique et le ministre de l'égalité des territoires et du logement seraient compétents pour signer ou contresigner ; qu'il suit de là que le moyen tiré du défaut de contreseing de ces ministres ne peut qu'être écarté ;

En ce qui concerne la consultation du conseil général :

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'un projet de décret, accompagné d'un exposé des motifs, d'une carte des nouveaux cantons, d'un tableau synthétique des chiffres relatifs aux nouveaux cantons (population, nombre de communes) et d'un tableau de répartition des communes par canton, adressés par le préfet, ont été soumis au conseil général de la Manche, pour recueillir son avis sur le projet de nouvelle délimitation des cantons de ce département ; que sur cette base, l'assemblée départementale a été mise à même d'émettre un avis sur la nouvelle délimitation des cantons prévue par le législateur et de se prononcer sur le projet relatif au département de la Manche ; que, par suite, le département requérant ne saurait soutenir que la consultation du conseil général aurait été irrégulière faute d'une information suffisante de ce dernier ;

Sur la légalité interne du décret :

7. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales que le territoire de chaque canton doit être établi sur des bases essentiellement démographiques, qu'il doit être continu et que toute commune de moins de 3 500 habitants doit être entièrement comprise dans un même canton, seules des exceptions de portée limitée et spécialement justifiées pouvant être apportées à ces règles ;

En ce qui concerne le principe d'égalité des citoyens devant le suffrage :

8. Considérant que les dispositions du III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales qui, afin de respecter le principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant le suffrage, prévoient que le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques, n'imposent pas que, dans un même département, la répartition des sièges doive être nécessairement proportionnelle à la population et permettent de regarder comme admissible un écart de l'ordre de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne de la population par canton au sein du département, notamment afin de respecter les exigences du b) et du c) du III de cet article, et à condition qu'un écart de cet ordre repose sur des considérations dénuées d'arbitraire ; qu'en vertu du IV du même article, des exceptions limitées peuvent être apportées au caractère essentiellement démographique de la délimitation d'un canton, lorsque des considérations géographiques, au nombre desquelles figurent, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 mai 2013, l'insularité, le relief, l'enclavement ou la superficie, ainsi que d'autres impératifs d'intérêt général, imposent de s'écarter de la ligne directrice qui limite à plus ou moins 20 % l'écart de par rapport à la moyenne de la population par canton au sein du département ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les vingt-sept cantons du département de la Manche n'engendrent pas de disparités démographiques qui excéderaient celles qui sont admissibles sur le fondement du III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dès lors qu'aucun d'entre eux ne s'écarte de la ligne directrice rappelée au point précédent et qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que leur délimitation repose sur des considérations arbitraires ; que, dans ce contexte, la circonstance que certains anciens cantons aient été inclus, dans le cadre du présent découpage, dans des cantons qui présentent un écart à la moyenne supérieur à l'écart précédent, ou encore que d'autres cantons aient vu leur écart à la moyenne réduit en pourcentage mais augmenté en valeur absolue, est sans incidence sur la légalité du décret attaqué ;

En ce qui concerne les limites des communes et arrondissements :

10. Considérant en premier lieu, que ni les dispositions de l'article L. 3112-2 du code général des collectivités territoriales, ni aucun autre texte non plus qu'aucun principe n'imposent au Gouvernement de prévoir que les limites des cantons, qui sont des circonscriptions électorales, coïncident avec les limites des cartes des établissements publics de coopération intercommunale, des " bassins de vie " définis par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), ni des arrondissements ; que, par suite, le département requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué est entaché d'erreur de droit pour avoir méconnu les limites des intercommunalités et des bassins de vie dans les cantons d'Agon-Coutainville, d'Isigny-le-Buat, de Quettreville-sur-Sienne ou de Coutances, celles des bassins de vie dans les cantons d'Avranches et de Bréhal, ou celles des arrondissements en répartissant plusieurs cantons entre deux arrondissements ;

11. Considérant, en second lieu, que le c) du III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales n'impose de comprendre entièrement une commune dans un même canton que pour celles dont la population est inférieure à 3 500 habitants ; que la commune de Saint-Lô compte environ 18 800 habitants ; que, par suite, elle n'est pas au nombre des communes qui doivent être entièrement comprises dans le même canton ; qu'il ressort en outre des pièces du dossier que c'est pour satisfaire au principe de redécoupage sur des bases essentiellement démographiques que la commune de Saint-Lô a été répartie entre les deux cantons Saint-Lô1 et Saint-Lô2 ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'une erreur de droit pour n'avoir pas respecté l'intégrité territoriale de la commune de Saint-Lô doit être écarté ;

En ce qui concerne le détournement de pouvoir :

12. Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'intérieur dont le mémoire a par ailleurs été signé par une personne qui avait reçu délégation à cet effet,, que le département de la Manche n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque ni, par suite, de la décision refusant de le retirer ; que, par suite, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête du département de la Manche est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au département de la Manche et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 10ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 380858
Date de la décision : 23/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 déc. 2014, n° 380858
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Timothée Paris
Rapporteur public ?: Mme Aurélie Bretonneau

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:380858.20141223
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