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18/12/2014 | FRANCE | N°377842

France | France, Conseil d'État, 9ème ssjs, 18 décembre 2014, 377842


Vu la procédure suivante :

1°, sous le n° 377842, par une requête enregistrée le 16 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la commune de Villers-Farlay demande au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-165 du 17 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département du Jura.

2°, sous le n° 382543, par une requête enregistrée le 11 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le Groupe des élus de la droite et du centre demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de p

ouvoir la décision du 12 mai 2014 rejetant son recours gracieux dirigé contre le même déc...

Vu la procédure suivante :

1°, sous le n° 377842, par une requête enregistrée le 16 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la commune de Villers-Farlay demande au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-165 du 17 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département du Jura.

2°, sous le n° 382543, par une requête enregistrée le 11 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le Groupe des élus de la droite et du centre demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 mai 2014 rejetant son recours gracieux dirigé contre le même décret, ainsi que ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu :

- les autres pièces des dossiers ;

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code électoral ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 ;

- le décret n° 2013-938 du 18 octobre 2013, modifié par le décret n° 2014-112 du 6 février 2014 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marie Deligne, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Les deux requêtes visées ci-dessus demandent l'annulation pour excès de pouvoir du même décret, celle du Groupe des élus de la droite et du centre demandant en outre l'annulation d'une décision rejetant un recours gracieux dirigé contre celui-ci. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 191-1 du code électoral, résultant de la loi du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral : " Le nombre de cantons dans lesquels sont élus les conseillers départementaux est égal, pour chaque département, à la moitié du nombre de cantons existant au 1er janvier 2013, arrondi à l'unité impaire supérieure si ce nombre n'est pas entier impair. / Le nombre de cantons dans chaque département comptant plus de 500 000 habitants ne peut être inférieur à dix-sept. Il ne peut être inférieur à treize dans chaque département comptant entre 150 000 et 500 000 habitants ". Aux termes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la même loi, applicable à la date du décret attaqué : " I.- Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'État après consultation du conseil départemental qui se prononce dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. À l'expiration de ce délai, son avis est réputé rendu. (...) / III.- La modification des limites territoriales des cantons effectuée en application du I est conforme aux règles suivantes : / a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; / c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3 500 habitants ; / IV.- Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ; ou par d'autres impératifs d'intérêt général. "

3. Le décret attaqué a, sur le fondement de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, procédé à une nouvelle délimitation des cantons dans le département du Jura, dont le nombre passe de trente-quatre à dix-sept, compte tenu de l'exigence de réduction du nombre des cantons résultant de l'article L. 191-1 du code électoral.

4. Le moyen tiré de ce que le jugement par des membres de la section du contentieux du Conseil d'État des requêtes dirigées contre un décret pris après avis de la section de l'intérieur du Conseil d'État placerait ce dernier en situation de " juge et partie " et méconnaîtrait ainsi le droit des requérants à être jugé par un tribunal indépendant et impartial garanti par les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté, dès lors que les membres du Conseil d'État statuant sur ces requêtes n'ont pas pris part à la délibération de l'avis rendu sur le décret attaqué.

Sur la légalité externe du décret :

5. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, cité au point 2, qu'il appartenait au Gouvernement de procéder, par décret en Conseil d'État, à une nouvelle délimitation territoriale de l'ensemble des cantons.

6. En deuxième lieu, aucune disposition n'imposait au Gouvernement de motiver le décret attaqué.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". Les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement son exécution. Le décret attaqué, qui se limite à modifier les circonscriptions électorales du département du Jura, n'appelle aucune mesure d'exécution que le garde des sceaux, ministre de la justice serait compétent pour signer ou contresigner. Dès lors, le moyen tiré de ce que ce décret aurait dû être contresigné par le garde des sceaux, ministre de la justice ne peut qu'être écarté.

8. En quatrième lieu, ni le principe de libre administration des collectivités territoriales, ni aucun autre principe ou disposition, n'imposait de procéder, préalablement à l'intervention du décret attaqué, à une consultation des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre du département, en plus de la consultation du conseil général requise par l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué serait entaché sur ce point d'un vice de procédure ou d'une erreur manifeste d'appréciation. Les requérants ne peuvent davantage, à cet égard, et en tout état de cause, utilement se prévaloir des termes de la circulaire du ministre de l'intérieur du 12 avril 2013 relative à la méthodologie du redécoupage cantonal en vue de la mise en oeuvre du scrutin binominal majoritaire aux élections départementales, qui est dépourvue de caractère réglementaire.

9. En cinquième et dernier lieu, l'article L. 3121-18 du code général des collectivités territoriales, applicable à la date de signature du décret attaqué, dispose que : " Tout membre du conseil général a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires du département qui font l'objet d'une délibération ". L'article L. 3121-18-1 du même code, alors applicable, précise que : " Le conseil général assure la diffusion de l'information auprès de ses membres élus par les moyens matériels qu'il juge les plus appropriés. / Afin de permettre l'échange d'informations sur les affaires relevant de ses compétences, le conseil général peut, dans les conditions définies par son assemblée délibérante, mettre à disposition de ses membres élus, à titre individuel, les moyens informatiques et de télécommunications nécessaires ". Enfin, l'article L. 3121-19 du même code prévoit que : " Douze jours au moins avant la réunion du conseil général, le président adresse aux conseillers généraux un rapport, sous quelque forme que ce soit, sur chacune des affaires qui doivent leur être soumises. / (...) / Sans préjudice des dispositions de l'article L. 3121-18, en cas d'urgence, le délai prévu au premier alinéa peut être abrégé par le président sans pouvoir être toutefois inférieur à un jour franc (...) ".

10. Il est constant que le préfet du Jura a transmis au président du conseil général, le 6 décembre 2013, le projet de décret modifiant les limites cantonales, accompagné de cartes et de tableaux, en vue de la délibération qui a eu lieu le 19 décembre suivant. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'information fournie aux conseillers généraux préalablement à la délibération de l'avis rendu sur le décret attaqué aurait été insuffisante au regard des dispositions citées au point 9 doit être écarté.

Sur la légalité interne du décret :

En ce qui concerne l'incompétence négative :

11. La circonstance que le décret attaqué se borne à identifier, pour chaque canton, un " bureau centralisateur " sans mentionner les chefs-lieux de canton est, en tout état de cause, sans influence sur la légalité de ce décret, qui porte sur la délimitation des circonscriptions électorales dans le département du Jura.

En ce qui concerne le critère démographique :

12. En premier lieu, il résulte du a du III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales cité au point 2 que le territoire de chaque canton doit être défini sur des bases essentiellement démographiques. Il en découle que cette délimitation doit être faite en prenant en considération non le nombre des électeurs mais le chiffre de la population. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué se serait fondé à tort sur le chiffre de la population ne peut qu'être écarté.

13. En deuxième lieu, il appartient au Gouvernement de retenir, pour procéder à un découpage électoral, les chiffres de population les plus récents auxquels il est susceptible de se référer en tenant compte de la date des prochaines échéances électorales ainsi que des exigences d'une bonne administration, au nombre desquelles figure notamment le respect des contraintes et délais de consultation inhérents au processus d'élaboration et d'adoption des nouvelles délimitations. Pour répondre à ces exigences, l'article 71 du décret du 18 octobre 2013, dans sa rédaction applicable en l'espèce issue de l'article 8 du décret n° 2014-112 du 6 février 2014, prévoit que : " (...) Pour la première délimitation générale des cantons opérée en application de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de l'article 46 de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, (...), le chiffre de la population municipale auquel il convient de se référer est celui authentifié par le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 authentifiant les chiffres des populations (...) ". Or, il est constant que les nouveaux cantons du département du Jura ont été délimités sur la base des données authentifiées par le décret du 27 décembre 2012. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'erreur de droit pour avoir retenu des données qui ne correspondraient pas à la réalité démographique ne peut qu'être écarté.

14. En troisième lieu, les requérants ne peuvent utilement invoquer la circonstance que les zones rurales seraient, du fait de la mise en oeuvre des règles découlant des dispositions législatives citées au point 2, moins bien représentées que les zones urbaines au sein de l'assemblée départementale.

15. En quatrième et dernier lieu, le Groupe des élus de la droite et du centre ne peut pas plus utilement invoquer le moyen tiré de ce que le décret n'aurait pas procédé à un rééquilibrage des écarts de population par canton d'un département à un autre, dès lors que l'objet du décret est de procéder à une élection au sein d'un seul département.

En ce qui concerne les autres critères de délimitation des cantons :

16. Ni les dispositions des III et IV de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, citées au point 2, ni aucune autre disposition, non plus qu'aucun principe, n'imposaient au Premier ministre de prévoir que les limites des nouveaux cantons, qui sont des circonscriptions électorales, tiennent compte des distances entre communes ou coïncident avec les limites des arrondissements, des circonscriptions législatives ou du ressort des juridictions judiciaires, avec le périmètre des établissements publics de coopération intercommunale ou avec les limites des " bassins de vie " définis par l'Institut national de la statistique et des études économiques. Par suite, les moyens tirés de ce que la nouvelle délimitation des cantons prévue par le décret attaqué " conduit à une énorme disparité de la taille des cantons ", rattache une commune à un canton dont le bureau centralisateur est éloigné, ne respecte ni les limites des bassins de vie, ni celles des arrondissements, ni celles des circonscriptions législatives du département, ni le ressort des tribunaux d'instance du département, ni le périmètre des " schémas de cohérence territoriale " ou des intercommunalités existant dans l'agglomération de Lons-le-Saunier, sont inopérants et ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne le choix du bureau centralisateur du nouveau canton de Mont-sous-Vaudrey :

17. La commune de Villers-Farlay, qui est actuellement chef-lieu du canton du même nom, critique la perte de cette qualité au profit de la commune de Mont-sous-Vaudrey, désignée comme bureau centralisateur du nouveau canton n° 10, dans lequel la situe le décret attaqué. Il ressort toutefois des termes mêmes de ce décret que le second alinéa de son article 11 désigne non pas la commune de Mont-sous-Vaudrey comme chef-lieu du nouveau canton n° 10 mais le bureau centralisateur de cette commune comme bureau centralisateur de ce canton. En vertu de l'article R. 69 du code électoral, lorsque les électeurs de la commune sont répartis en plusieurs bureaux de vote, le bureau centralisateur est chargé d'opérer le recensement général des votes en présence des présidents des autres bureaux. Si l'article R. 112 du même code, dans sa version actuellement en vigueur, prévoit que le recensement général des votes est fait par le bureau du chef-lieu de canton, la version de cet article issue du décret du 18 octobre 2013 portant application de la loi du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral, qui est applicable, comme le décret attaqué, à compter du prochain renouvellement général des assemblées départementales, confie ce rôle au bureau centralisateur du canton. Ainsi, la qualité de bureau centralisateur d'un canton sera, à compter de l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, dépourvue de tout lien avec celle de chef-lieu de canton. Dès lors, en désignant les bureaux centralisateurs des nouveaux cantons, les décrets portant délimitation des cantons d'un département n'ont ni pour objet ni pour effet de procéder au transfert du siège des chefs-lieux de canton. Il suit de là que le moyen soulevé par la commune de Villers-Farlay, tiré de ce que la désignation de la commune de Mont-sous-Vaudrey comme chef-lieu de canton, en lui faisant perdre cette qualité et les services et dotations qui y sont actuellement attachés, entacherait d'erreur d'appréciation l'article 11 du décret attaqué, ne peut qu'être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre à la requête du Groupe des élus de la droite et du centre, que les deux requêtes doivent être rejetées, y compris les conclusions présentées par le Groupe des élus de la droite et du centre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de la commune de Villers-Farlay et du Groupe des élus de la droite et du centre sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Villers-Farlay, au Groupe des élus de la droite et du centre et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 9ème ssjs
Numéro d'arrêt : 377842
Date de la décision : 18/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 déc. 2014, n° 377842
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Marie Deligne
Rapporteur public ?: Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:377842.20141218
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