Vu la requête, enregistrée le 16 octobre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société MSD France, représentée par son représentant légal, dont le siège est 34, avenue Léonard de Vinci, à Courbevoie (92400) ; la société requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 24 juin 2014 du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) soumettant à la procédure d'accord préalable la prise en charge par l'assurance maladie des initiations de traitement par l'ézétimibe seul ou en association fixe avec de la simvastatine ;
2°) de mettre à la charge de l'UNCAM ou, à défaut, de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- la requête est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate, d'une part, à sa situation économique, fragile, en ce qu'elle est de nature à restreindre, dès son entrée en vigueur, les volumes de vente de deux de ses principaux produits, " Ezetrol " et " Inegy ", ce qui aurait de graves conséquences sociales, d'autre part, à la santé publique, dès lors qu'elle aurait pour effet l'augmentation des prescriptions de statines entraînant des risques associés pour la santé des patients ;
- il existe un doute sérieux quant à sa légalité ;
- la décision contestée a été adoptée dans des conditions qui méconnaissent le principe général des droits de la défense et est insuffisamment motivée au regard des exigences de la directive 89/105/CEE ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 315-2 du code de la sécurité sociale ;
- elle constitue un détournement de procédure au regard du régime spécial prévu par les dispositions de l'article R. 163-2 du code de la sécurité sociale ;
- elle est entachée d'une erreur de fait, le caractère particulièrement coûteux de la prise en charge de l'ézétimibe pour l'assurance maladie n'étant pas avéré ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle se fonde sur le non-respect des recommandations de bon usage de la Haute autorité de santé ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au principe de liberté de prescription médicale garantie par les dispositions des articles L. 162-2 et L. 162-2-1 du code de la sécurité sociale et R. 4127-8 du code de la santé publique ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle n'a pas pris en compte les caractéristiques spécifiques d'Ezetrol ;
- la décision contestée est disproportionnée au regard de l'objectif de réduction des dépenses de l'assurance maladie ;
Vu la décision dont la suspension de l'exécution est demandée ;
Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cette décision ;
Vu les observations, enregistrées le 30 octobre 2014, présentées par la Haute autorité de santé ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2014, présenté pour l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, qui conclut, d'une part, au rejet de la requête et, d'autre part, à ce que soit mise à la charge de la société MSD France une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la décision contestée ne porte pas une atteinte grave et immédiate aux intérêts de la société requérante et qu'elle poursuit au surplus un objectif d'intérêt général ;
- aucun des moyens invoqués n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2014, présenté par la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, qui conclut au rejet de la requête ; elle souscrit aux écritures présentées pour l'Union nationale des caisses d'assurance maladie ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 4 novembre 2014, présenté pour la société MSD France, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; elle soutient en outre qu'à la date à laquelle la décision a été prise le collège des directeurs de l'UNCAM n'était pas compétent pour la prendre ;
Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2014 présenté pour l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société MSD France, d'autre part, l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, la Haute autorité de santé et la ministre des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 4 novembre à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société MSD France ;
- les représentants de la société MSD France ;
- Me Foussard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie ;
- les représentants de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ;
- la représentante de la Haute autorité de santé ;
- les représentants de la ministre des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes ;
- la représentante de la Haute autorité de santé ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; qu'il résulte de ces dispositions que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence ; que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;
2. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 315-1 du code de la sécurité sociale : " Le contrôle médical porte sur tous les éléments d'ordre médical qui commandent l'attribution et le service de l'ensemble des prestations de l'assurance maladie, maternité et invalidité (...) " ; que l'article L. 315-2 du même code dispose que: " (...) le bénéfice de certaines prestations mentionnées au I de l'article L. 315-1 peut être subordonné à l'accord préalable du service du contrôle médical. Cet accord préalable peut être exigé pour les prestations dont : - la nécessité doit être appréciée au regard d'indications déterminées ou de conditions particulières d'ordre médical (...) ; le caractère particulièrement coûteux doit faire l'objet d'un suivi particulier afin d'en évaluer l'impact sur les dépenses de l'assurance maladie (...) " que, selon le septième alinéa du même article, " les conditions d'application des alinéas précédents sont fixées par décision du collège des directeurs de l'Union des caisses d'assurance maladie " ; que, sur le fondement de ces dernières dispositions, le collège des directeurs de l'Union des caisses d'assurance maladie (UNCAM) a, par une décision du 24 juin 2014, défini les modalités de mise en oeuvre de cette procédure d'accord préalable en donnant compétence au collège des directeurs pour subordonner le bénéfice d'une prestation déterminée à cet accord ;
3. Considérant qu'en application de ces dispositions, le collège des directeurs de l'UNCAM a pris le 24 juin 2014, la décision, publiée au Journal officiel du 23 septembre, de soumettre, à compter du 1er novembre 2014, la prise en charge des instaurations de traitement par ézétimibe, seul ou en association fixe avec de la simvastatine, à l'accord préalable du service du contrôle médical ; qu'il résulte des termes de cette décision que l'accord préalable n'est requis que pour les prescriptions à des patients ne s'étant pas vu délivrer cette molécule depuis le 1er mai 2014 ;
4. Considérant que la société MSD France, qui produit et commercialise les spécialités " Ezetrol " et " Inegy ", médicaments à base d'ézétimibe, demande la suspension de l'exécution de cette décision ; que, pour justifier de l'urgence qui s'attacherait à cette suspension, elle soutient que l'exécution de la décision aura des conséquences graves, immédiates et irréversibles sur son activité et sur l'emploi, déjà affectés par diverses mesures visant à la réduction des dépenses d'assurance maladie ; que cette mesure intervient en outre dans un contexte de fragilité caractérisé par la mise en oeuvre, au sein de ses effectifs, d'un plan de sauvegarde de l'emploi ; que les spécialités " Ezetrol " et " Inegy ", représentaient, en 2013, plus de 282 millions d'euros de chiffre d'affaires, plus de 150 délégués médicaux se consacrant à leur promotion ; que la procédure d'accord préalable, lourde et contraignante, inspirée par des considérations financières, aura nécessairement pour effet de détourner, de manière définitive, prescripteurs et patients de ces médicaments au profit de spécialités de la même classe thérapeutique ; que la société fait valoir par ailleurs que la décision contestée aura également, de ce fait, des conséquences sanitaires graves, notamment en ce qu'elle induit une hausse mécanique du nombre de prescriptions de statines et des risques associés ;
5. Considérant, d'une part, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la décision contestée a pour effet de soumettre à accord préalable non toute nouvelle prescription d'ézétimibe mais les seules prescriptions à des patients auxquels cette molécule n'a pas été prescrite dans les six mois précédant son entrée en vigueur ; qu'en outre, s'il n'est pas contestable que cette procédure conduira à des refus de prise en charge, laquelle était de droit avant l'entrée en vigueur de la décision contestée ainsi qu'à des reports de prescriptions sur d'autres spécialités, il n'est pas établi que ces refus et reports devraient être à ce point nombreux que la procédure pourrait être assimilée par ses effets à un déremboursement des spécialités concernées, conduisant à leur éviction du marché ; que, d'autre part, la subordination de la prise en charge par l'assurance maladie, des traitements par l'ézétimibe à l'accord du contrôle médical a pour objet de vérifier l'adéquation des prescriptions aux indications pour lesquelles cette molécule est autorisée et pour effet de conditionner son remboursement et non sa prescription ; qu'il n'est pas établi, ainsi, que l'exécution de cette décision aurait par elle-même des effets négatifs sur la santé publique ; que, par suite, eu égard aux modalités d'entrée en vigueur de la décision comme aux incertitudes sur ses conséquences précises, il n'apparait pas, en l'état de l'instruction, que son exécution aurait des effets de la nature de ceux caractérisant une situation d'urgence au sens des dispositions citées ci-dessus alors même que les ventes d'" Ezetrol " et d'" Inegy " représentent de l'ordre de 20% du chiffre d'affaires de la société requérante, laquelle faisait, au surplus, état de résultats bénéficiaires en 2013 ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, les conclusions à fin de suspension présentées par la société MSD France doivent être rejetées, ainsi que ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros à verser à ce titre à l'UNCAM ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société MSD France est rejetée.
Article 2 : La société MSD France versera à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société MSD France, à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, à la Haute autorité de santé et à la ministre des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes.