Vu le mémoire, enregistré le 12 août 2014, présenté par M. A...B..., demeurant au ...Moissy-Cramayel Cedex, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. B...demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 mai 2014 l'ayant déchu de la nationalité française, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 25 et 25-1 du code civil et de l'article 421-2-1 du code pénal ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu le code civil ;
Vu le code pénal ;
Vu la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 ;
Vu la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Luc Briand, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
2. Considérant que M. B...a été déchu de la nationalité française par un décret du 28 mai 2014 pris sur le fondement des articles 25 et 25-1 du code civil, au motif qu'il a été condamné par un jugement devenu définitif du tribunal de grande instance de Paris pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits prévus par l'article 421-2-1 du code pénal ; qu'à l'appui du recours pour excès de pouvoir qu'il a formé contre ce décret, il demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 25 et 25-1 du code civil ainsi que de l'article 421-2-1 du code pénal ;
En ce qui concerne les articles 25 et 25-1 du code civil :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 25 du code civil : " L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride : / 1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ; / 2° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ; / 3° S'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ; / 4° S'il s'est livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France " ; que selon l'article 25-1 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, applicable à la date du décret attaqué : " La déchéance n'est encourue que si les faits reprochés à l'intéressé et visés à l'article 25 se sont produits antérieurement à l'acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition. / Elle ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits. / Si les faits reprochés à l'intéressé sont visés au 1° de l'article 25, les délais mentionnés aux deux alinéas précédents sont portés à quinze ans " ;
4. Considérant, en premier lieu, que le décret portant déchéance de la nationalité française de M. B...a été pris sur le fondement des dispositions du 1° de l'article 25 et de l'article 25-1 du code civil ; que ces dispositions sont, par suite, applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que si le Conseil constitutionnel, a, dans les motifs de sa décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, spécialement examiné les dispositions de la loi du 22 juillet 1996 modifiant l'article 25 du code civil et écarté, au vu du délai de dix ans résultant des dispositions alors en vigueur de l'article 25-1 du même code, les griefs mettant en cause la conformité à la Constitution de ces dispositions, il ne les a pas déclarées conformes à la Constitution dans le dispositif de sa décision ; que les dispositions mises en cause par la question prioritaire de constitutionnalité ne peuvent, par suite, être regardées comme ayant déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ; qu'en outre l'article 25-1 du code civil a été modifié, postérieurement à la décision du Conseil constitutionnel, par la loi 23 janvier 2006, afin de porter à quinze ans les délais prévus pour les cas visés au 1° de l'article 25 ;
6. Considérant, en troisième lieu, que M. B...fait valoir que les dispositions des articles 25 et 25-1 du code civil méconnaissent le principe d'égalité ; que la question ainsi soulevée présente un caractère sérieux ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée à l'encontre du 1° de l'article 25 et de l'article 25-1 du code civil ;
En ce qui concerne l'article 421-2-1 du code pénal :
8. Considérant que l'article 421-2-1 du code pénal qualifie d'acte de terrorisme " le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme " mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 du code pénal ;
9. Considérant que si ces dispositions constituaient le fondement des poursuites pénales engagées à l'encontre du requérant et ayant donné lieu à la condamnation de celui-ci par un jugement du tribunal correctionnel de Paris devenu définitif, elles ne constituent pas le fondement du décret attaqué par M. B...; qu'elles ne sont, par suite, pas applicables au litige, au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; qu'il n'y a pas lieu, dès lors, de les renvoyer au Conseil constitutionnel ;
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du 1° de l'article 25 et de l'article 25-1 du code civil est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l'article 421-2-1 du code pénal.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Conseil Constitutionnel et au Premier ministre.