Vu 1°, sous le n° 378434, le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 24 avril, 7 mai et 14 mai 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la communauté urbaine de Lille, dont le siège est 1 rue du Ballon CS 50749 à Lille Cedex (59034) ; la communauté urbaine de Lille demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1401696 du 7 avril 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, à la demande de la société Bruno Vanmarcke, d'une part, annulé la procédure de passation du lot n° 3 du marché de travaux d'entretien d'immeuble et de fourniture lancée par la communauté urbaine de Lille, et, d'autre part, rejeté ses conclusions et celles de la société Rabot Dutilleul Construction ;
2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la société Bruno Vanmarcke le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°, sous le n° 378446, le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 24 avril, 7 mai et 14 mai 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la communauté urbaine de Lille ; la communauté urbaine de Lille demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1401707 du 7 avril 2014 du juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, en tant qu'il a, à la demande de la société Vanmarcke, en premier lieu, annulé la procédure de passation des lots n° 1 et n° 2 du marché de travaux d'entretien d'immeuble et de fourniture lancée par la communauté urbaine de Lille, en deuxième lieu, annulé les décisions du 4 mars 2014 par lesquelles la commission d'appel d'offre de la communauté urbaine de Lille a rejeté les offres de la société Vanmarcke, en dernier lieu, rejeté ses conclusions et celles de la société Rabot Dutilleul Construction ;
2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la société Vanmarcke le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Natacha Chicot, auditeur,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la communauté urbaine de Lille, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société Bruno Vanmarcke et à Me Ricard, avocat de la société Vanmarcke ;
1. Considérant que les pourvois visés ci-dessus présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. (...) " ; que, selon l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué (...) " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Lille que la communauté urbaine de Lille a lancé une procédure d'appel d'offres en vue de l'attribution d'un marché de travaux d'entretien d'immeuble et de fourniture ; que les sociétés Bruno Vanmarcke et Vanmarcke, titulaires des précédents marchés et candidates, respectivement, au titre du lot n° 3 et des lots nos 1 et 2, ont été informées que leur offre avait été jugée anormalement basse et, par suite, rejetée ; que, par les deux ordonnances attaquées, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, saisi par ces sociétés, a, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, annulé la procédure de passation des lots nos 1, 2 et 3 ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 55 du code des marchés publics : " Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies (...) Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, les procédés de construction ; / 2° Les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou pour réaliser les prestations de services ; / 3° L'originalité de l'offre ; / 4° Les dispositions relatives aux conditions de travail en vigueur là où la prestation est réalisée ; / 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le candidat. (...) " ;
5. Considérant que le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public ; qu'il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé ; que si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre ;
6. Considérant que le juge des référés en estimant que la communauté urbaine de Lille avait commis une erreur manifeste d'appréciation en regardant ces offres comme anormalement basses sans répondre au moyen opérant de la personne publique tiré de ce que les sociétés Bruno Vanmarcke et Vanmarcke n'avaient pas répondu à ses demandes d'explications formulées, en application de l'article 55 du code des marchés publics, pour un certain nombre des prix composant les offres et qu'ainsi les sociétés n'avaient pu justifier les prix bas proposés, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation ; qu'il s'ensuit, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, que la communauté urbaine de Lille est fondée à demander l'annulation des ordonnances attaquées ;
7. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre des procédures de référé engagées par les sociétés Bruno Vanmarcke et Vanmarcke ;
8. Considérant, d'une part, que l'exigence de motivation de la décision rejetant une offre comme anormalement basse, posée par l'article 55 du code des marchés publics précité, a, notamment, pour objet de permettre à l'auteur de cette offre de contester utilement le rejet qui lui a été opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative ; que, par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence ; que, toutefois, un tel manquement n'est plus constitué si les motifs de cette décision ont été communiqués au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction ; que si les sociétés requérantes soutiennent que les décisions portant rejet de leur offre étaient insuffisamment motivées, il résulte, en tout état de cause, de l'instruction que les motifs des décisions litigieuses ont été communiqués en cours d'instance par la communauté urbaine de Lille ;
9. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que, par courriers du 24 janvier 2004, la communauté urbaine de Lille a, conformément aux dispositions de l'article 55 du code des marchés publics précité, informé les deux sociétés requérantes que leurs offres, dont elle avait constaté qu'elles étaient largement inférieures à ses propres estimations ainsi qu'à la moyenne des offres des autres candidats et que certains des prix unitaires qui les composaient étaient inférieurs au prix de revient, étaient susceptibles d'être qualifiées d'anormalement basses et qui leur appartenait, dès lors, d'apporter les précisions et justifications de nature à expliquer un nombre significatif des prix composant l'offre ; que, pour justifier les prix proposés, les deux sociétés requérantes se sont bornées à mettre en avant leur longue expérience et leur qualité de précédent titulaire du marché sans répondre aux demandes précises formulées par le pouvoir adjudicateur ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la communauté urbaine de Lille n'a pas, en écartant les offres des sociétés Bruno Vanmarcke et Vanmarcke comme anormalement basses, commis une erreur manifeste d'appréciation ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les demandes des sociétés Bruno Vanmarcke et Vanmarcke doivent êtres rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de chacune de ces deux sociétés le versement à la communauté urbaine de Lille de la somme de 4 500 euros au titre des mêmes dispositions pour l'ensemble de la procédure ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 7 avril 2014 sont annulées.
Article 2 : Les demandes des sociétés Bruno Vanmarcke et Vanmarcke présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille et leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les sociétés Bruno Vanmarcke et Vanmarcke verseront à la communauté urbaine de Lille la somme de 4 500 euros chacune en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la communauté urbaine de Lille, aux sociétés Bruno Vanmarcke et Vanmarcke et à la société Rabot Dutilleul Construction.