VU LA PROCEDURE SUIVANTE :
1°, sous le n° 376875, par une requête, enregistrée le 31 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la commune de Montigny-la-Resle, représentée par son maire, demande au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-156 du 13 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de l'Yonne.
2°, sous le n° 377062, par une requête, enregistrée le 3 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A...Baloup demande au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir le même décret.
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3°, sous le n° 377640, par une requête, enregistrée le 14 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la commune de Vaumort, représentée par son maire, demande au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir le même décret.
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4°, sous le n° 378318, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 avril et 3 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la communauté de communes Portes de Puisaye Forterre, représentée par sa présidente, demande au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir le même décret.
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Vu :
- les autres pièces des dossiers ;
- le code électoral ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 ;
- le décret n° 2013-938 du 18 octobre 2013 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Anfruns, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public.
CONSIDERANT CE QUI SUIT :
1. Les quatre requêtes visées ci-dessus tendent à l'annulation pour excès de pouvoir du même décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Aux termes de l'article L. 191-1 du code électoral, résultant de la loi du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral : " Le nombre de cantons dans lesquels sont élus les conseillers départementaux est égal, pour chaque département, à la moitié du nombre de cantons existant au 1er janvier 2013, arrondi à l'unité impaire supérieure si ce nombre n'est pas entier impair. / Le nombre de cantons dans chaque département comptant plus de 500 000 habitants ne peut être inférieur à dix-sept. Il ne peut être inférieur à treize dans chaque département comptant entre 150 000 et 500 000 habitants ". Aux termes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la même loi, applicable à la date du décret attaqué : " I.- Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'État après consultation du conseil général qui se prononce dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. À l'expiration de ce délai, son avis est réputé rendu. (...) / III.- La modification des limites territoriales des cantons effectuée en application du I est conforme aux règles suivantes : / a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; / c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3 500 habitants ; / IV.- Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques (...) ou par d'autres impératifs d'intérêt général. "
3. Le décret attaqué a, sur le fondement de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, procédé à une nouvelle délimitation des cantons dans le département de l'Yonne, dont le nombre passe de quarante-deux à vingt-et-un, compte tenu de l'exigence de réduction du nombre des cantons résultant des dispositions de l'article L. 191-1 du code électoral.
Sur la légalité externe :
4. Ni les textes cités au point 2, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire non plus qu'aucun principe n'imposent une consultation des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale du département faisant l'objet d'une nouvelle délimitation des cantons. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait irrégulier faute que ces consultations aient eu lieu ne peut qu'être écarté.
5. Aucune disposition législative n'imposait au pouvoir réglementaire de motiver le décret attaqué.
Sur la légalité interne :
6. Il résulte des dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales que le territoire de chaque canton doit être défini sur des bases essentiellement démographiques. Il en découle que cette délimitation doit être faite en prenant en considération non le nombre des électeurs mais le chiffre de la population. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué se serait fondé à tort sur les chiffres de la population ne peut qu'être écarté.
7. Il est soutenu que le décret attaqué a été élaboré sans tenir compte des données démographiques les plus récentes, issues du décret du 27 décembre 2013. L'article 71 du décret du 18 octobre 2013, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué et dont la légalité n'est pas contestée, dispose, toutefois, que : " (...) Pour la première délimitation générale des cantons opérée en application de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de l'article 46 de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, (...), le chiffre de la population municipale auquel il convient de se référer est celui authentifié par le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 authentifiant les chiffres des populations (...) ". Il est constant que les nouveaux cantons du département de l'Yonne ont été délimités sur la base des données authentifiées par le décret du 27 décembre 2012. Par suite, le moyen tiré de ce que les données retenues pour la nouvelle délimitation des cantons de ce département ne correspondraient pas à la réalité démographique doit être écarté.
8. Il est encore soutenu que le décret attaqué serait entaché d'illégalité, faute que la délimitation des cantons qu'il opère ait pris en compte la délimitation des anciens cantons, le périmètre des " bassins de vie ", la carte des circonscriptions législatives et les limites des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, notamment celles de la communauté d'agglomération de l'Auxerrois et des communautés de communes de Forterre-Val d'Yonne, de la Vanne et du pays d'Othe et Portes de Puisaye Forterre. Or, ni les dispositions précitées au 1 de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, ni aucun autre texte non plus qu'aucun principe n'imposent au Gouvernement de prévoir que les limites des nouveaux cantons, qui sont des circonscriptions électorales, coïncident avec les limites des circonscriptions législatives, les périmètres des établissements publics de coopération intercommunale figurant dans le schéma départemental de coopération intercommunale ou les limites des " bassins de vie " définis par l'Institut national de la statistique et des études économiques. Ces moyens sont, par suite, inopérants. Sont, pour le même motif, également dépourvus d'incidence sur la légalité du décret attaqué les moyens tirés de l'absence de prise en compte des " considérations historiques ou culturelles " ou de la ruralité.
9. Ni les dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, ni aucun texte non plus qu'aucun principe n'imposent au pouvoir réglementaire de prendre comme critères de délimitation des cantons la proximité géographique des communes ou l'absence de disparité de superficie entre les cantons.
10. Si M. Baloup, conseiller général de l'Yonne, et la communauté de communes Portes de Puisaye Forterre critiquent le choix de la commune de Vincelles et la commune de Vaumort celui de la commune de Brienon-sur-Armançon comme bureaux centralisateurs de leurs cantons respectifs, au motif que ces communes seraient géographiquement excentrées, il ne ressort pas des pièces du dossier que leur désignation serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'il n'est pas contesté que ces communes, bien desservies, sont les plus peuplées des nouveaux cantons.
11. La dénomination des cantons ne peut pas être utilement contestée. Par suite, le moyen tiré de ce que la dénomination du canton n° 6 serait inappropriée est inopérant.
12. Le moyen tiré de ce qu'une autre délimitation des cantons aurait été possible, permettant notamment que la commune de Montigny-la-Resle fût rattachée aux cantons d'Auxerre-2 ou d'Auxerre-3 plutôt qu'à celui de Chablis, est également sans incidence sur la légalité du décret attaqué.
13. Le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête de la commune de Vaumort, que les quatre requêtes doivent être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la commune de Montigny-la-Resle, de M. Baloup, de la commune de Vaumort et de la communauté de communes Portes de Puisaye Forterre sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Montigny-la-Resle, à M. Baloup, à la commune de Vaumort, à la communauté de communes Portes de Puisaye Forterre et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Premier ministre.