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23/07/2014 | FRANCE | N°357463

France | France, Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 23 juillet 2014, 357463


Vu la requête, enregistrée le 9 mars 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Maco Pharma, dont le siège est rue Lorthiois à Mouvaux (59420) ; la société requérante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 octobre 2011 par laquelle le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a modifié la décision du 20 octobre 2010 fixant la liste et les caractéristiques des produits sanguins labiles, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours g

racieux formé à l'encontre de la décision du 10 octobre 2011 ;

2°) d'enjoind...

Vu la requête, enregistrée le 9 mars 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Maco Pharma, dont le siège est rue Lorthiois à Mouvaux (59420) ; la société requérante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 octobre 2011 par laquelle le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a modifié la décision du 20 octobre 2010 fixant la liste et les caractéristiques des produits sanguins labiles, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé à l'encontre de la décision du 10 octobre 2011 ;

2°) d'enjoindre à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de maintenir le plasma viro-atténué au bleu de méthylène sur cette liste ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Beurton, auditeur,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de la société Maco Pharma ;

1. Considérant qu'en vertu de l'article L. 1221-8 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable aux décisions attaquées : " (...) A l'exception des produits sanguins labiles destinés à des recherches biomédicales, seuls peuvent être distribués ou délivrés à des fins thérapeutiques, les produits sanguins labiles dont la liste et les caractéristiques sont fixées par décision de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, après avis de l'Etablissement français du sang (...) " ; que, par une décision du 10 octobre 2011, prenant effet le 1er mars 2012, le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a modifié la décision du 20 octobre 2010 fixant la liste et les caractéristiques des produits sanguins labiles pour en supprimer le plasma frais congelé déleucocyté viro-atténué par bleu de méthylène ; que la société Maco Pharma, produisant un dispositif médical, dénommé Theraflex, intervenant dans le procédé de fabrication de ce type de plasma, demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, ainsi que de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le directeur général de l'Agence sur son recours gracieux contre cette décision ;

Sur la légalité externe :

2. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu des dispositions de l'article R. 1221-28 du code de la santé publique alors applicable, la commission nationale d'hémovigilance a pour mission, notamment, de donner un avis au directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé sur les mesures prises ou à prendre pour prévenir la survenance ou la répétition de tout incident ou effet indésirable ; qu'il n'en résulte pas une obligation de consultation sur une décision modifiant la liste des produits sanguins labiles ; que le moyen tiré de l'absence de sa consultation doit, par suite, être écarté ;

3. Considérant, en second lieu, que le code de la santé publique distingue les procédures de matériovigilance, applicables, en vertu de l'article L. 5212-2, en cas d'incident ou de risque d'incident mettant en cause un dispositif médical, et les procédures d'hémovigilance, régies par l'article L. 1221-13, relatives à la surveillance et à l'évaluation des incidents et effets indésirables survenant chez les donneurs ou receveurs de produits sanguins labiles ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire du code de la santé publique n'oblige à procéder à une évaluation conjointe avec le fabricant du dispositif médical utilisé dans le processus de fabrication d'un plasma en cas d'incident d'hémovigilance concernant ce plasma ; que la décision attaquée se borne à modifier la liste des produits sanguins labiles sans mettre en cause le dispositif médical Theraflex ; qu'il suit de là que la société requérante ne peut utilement soutenir que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé aurait méconnu l'article R. 5212-20 du code de la santé publique, applicable en cas d'incident ou de risque d'incident mettant en cause un dispositif médical, en ne procédant pas à une évaluation, conjointement avec elle, du dispositif médical Theraflex préalablement à l'édiction de la décision attaquée ; que, par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie en l'absence d'une telle évaluation ne peut qu'être écarté ;

Sur la légalité interne :

4. Considérant, en premier lieu, que la décision attaquée, par laquelle le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a supprimé le plasma viro-atténué par bleu de méthylène de la liste des produits sanguins labiles, ne porte pas sur un dispositif médical incorporant une " substance qui, si elle est utilisée séparément, est susceptible d'être considérée comme un médicament, à l'exception des médicaments dérivés du sang ", mentionnée au troisième alinéa de l'article R. 5211-22 du code de la santé publique ; que, par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir qu'elle aurait dû être précédée d'une expérimentation préalable, selon les modalités prévues aux articles R. 5121-10 à R. 5121-20 du même code, auxquels renvoie le troisième alinéa de l'article R. 5211-22 ; que la circonstance qu'aucune déclaration de matériovigilance relative au dispositif médical Theraflex n'a été enregistrée sur la période d'observation allant de 2005 à 2010 est sans incidence sur sa légalité ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision attaquée, dont l'entrée en vigueur est différée de près de cinq mois afin de permettre à l'Etablissement français du sang d'adapter la production de plasma et de ne pas faire peser de menace sur l'approvisionnement en plasma thérapeutique des établissements de santé, ait, en tout état de cause, méconnu l'objectif d'indépendance nationale en plasma thérapeutique, résultant de l'article L. 1222-3 du code de la santé publique ; qu'elle n'a pas non plus méconnu le principe de la gratuité des dons, mentionné à l'article L. 1221-1 du même code ;

6. Considérant, en troisième lieu, que la décision attaquée est motivée, d'une part, par le constat d'une fréquence plus élevée de réactions allergiques sévères sur la période d'observation de 2005 à 2010, mettant en cause la sécurité d'utilisation de ce plasma, et, d'autre part, par l'existence d'une variabilité de concentration en fibrinogène entre les établissements de transfusion sanguine, témoignant d'une difficulté de maîtrise du procédé de fabrication de ce plasma ; qu'elle ne se fonde pas sur la variabilité du plasma viro-atténué par bleu de méthylène en facteur VIII, autre protéine agissant comme facteur de coagulation ; que, par suite, la société requérante ne peut se prévaloir de la circonstance que les données sur lesquelles s'est fondée l'agence ne permettraient pas de caractériser une telle variabilité ;

7. Considérant, en quatrième lieu, d'une part, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les études sur lesquelles l'Agence s'est appuyée pour caractériser une fréquence plus importante des réactions allergiques à l'occasion de l'utilisation du plasma viro-atténué par bleu de méthylène, et dont l'Etablissement français du sang n'a pas critiqué la fiabilité dans ses échanges préalables avec l'Agence ni son avis, seraient entachées de biais méthodologiques de nature à remettre en cause le bien-fondé de son appréciation ; que si la société requérante affirme qu'une étude, qu'elle a publiée en avril 2013, met en évidence une baisse régulière du nombre d'épisodes allergiques sur la période 2008-2011, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'agence, qui, au demeurant, avait observé une légère amélioration au cours de la période étudiée tout en concluant à l'existence d'un risque significativement plus grand d'allergies en cas d'utilisation de la technique de viro-atténuation au bleu de méthylène, aurait fondé sa décision sur des constats erronés ;

8. Considérant, d'autre part, que la variabilité de la concentration en fibrinogène est susceptible de traduire une difficulté de maîtrise de la technique de fabrication du plasma ; que le fibrinogène est un facteur de coagulation important pour la bonne assimilation par le receveur du plasma transfusé ; que la société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que la concentration en fibrinogène et sa variabilité entre établissements de transfusion sanguine ne constitueraient pas des critères pertinents pour justifier la suppression du plasma viro-atténué par bleu de méthylène de la liste des produits sanguins labiles ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les données brutes sur lesquelles s'est appuyée l'Agence auraient été insuffisantes, tant dans la méthodologie employée que dans les résultats obtenus, pour en déduire l'existence d'une trop forte variabilité de ce facteur ; que si la société requérante soutient que le plasma viro-atténué par bleu de méthylène respecte les critères de concentration en facteur VIII et en fibrinogène du plasma viro-atténué par amotosalen et par solvant-détergent tels que précisés par deux décisions de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé des 16 mai 2012 et 25 février 2013, il ressort des pièces du dossier, en tout état de cause, que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui se référait, à la date de la décision attaquée, aux mêmes seuils de concentration, avait relevé l'existence, pour des plasmas viro-atténués par bleu de méthylène dans certains établissements de transfusion sanguine, de concentrations en fibrinogène inférieures au seuil ainsi regardé comme minimal ;

9. Considérant, en outre, que, contrairement à ce qu'affirme la société requérante, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a pris en considération les avantages et les risques des autres méthodes de traitement physico-chimique du plasma, notamment par solvant-détergent et par amotosalen, sans traiter de manière discriminatoire la viro-atténuation par bleu de méthylène ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, ainsi que des comptes-rendus du groupe de travail " allergie " de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et de la commission nationale d'hémovigilance, et alors même que l'Etablissement français du sang s'est borné à prendre acte de la mesure litigieuse, que l'Agence, en supprimant, pour les deux motifs précédemment énoncés, le plasma viro-atténué par bleu de méthylène de la liste des produits sanguins labiles, n'a pas, eu égard aux mesures de précaution qui s'imposent en matière de santé publique et en l'état des données scientifiques et techniques disponibles, entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Maco Pharma n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque ; que ses conclusions présentées à fin d'injonction et au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Maco Pharma est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Maco Pharma, à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à la ministre des affaires sociales et de la santé.


Synthèse
Formation : 1ère et 6ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 357463
Date de la décision : 23/07/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 jui. 2014, n° 357463
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Julia Beurton
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet
Avocat(s) : SCP ODENT, POULET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:357463.20140723
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