Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 février et 7 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la commune de Choisy-le-Roi, représentée par son maire ; la commune de Choisy-le-Roi demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n°10PA01486 du 8 décembre 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0702481/7 du tribunal administratif de Melun du 16 février 2010 rejetant sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 20 044 269 euros, augmentée des intérêts légaux à compter du 15 décembre 2006, en réparation du préjudice résultant pour elle de l'absence d'émission de rôles supplémentaires et de rectification, pour les années 2002 à 2005, des bases d'imposition à la taxe professionnelle pour l'usine de traitement des eaux appartenant au syndicat des Eaux d'Ile de France (SEDIF) et exploitée par la Compagnie Générale des Eaux (CGE) sur le territoire de la commune ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la commune de Choisy-le-Roi ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un courrier du 22 décembre 2005, reçu le 26 décembre 2005, la commune de Choisy-le-Roi a demandé à l'administration fiscale l'établissement de rôles supplémentaires de taxe professionnelle au nom de la Compagnie générale des eaux (CGE), au titre des années 2002 à 2005, au motif que la base foncière de l'usine de traitement des eaux, située sur le territoire de la commune, dont la société assurait la gestion pour le compte du Syndicat des Eaux d'Ile de France (SEDIF), aurait été sous-évaluée ; qu'à la suite de cette demande, l'administration a émis des rôles supplémentaires le 30 avril 2006 pour tenir compte de locaux qui n'avaient pas été inclus dans les bases imposables au titre des années 2003 à 2005 ; qu'à la fin de la même année, de nouveaux rôles supplémentaires ont été émis pour les mêmes années à partir de déclarations de la Compagnie Générale des Eaux portant sur des constructions nouvelles ; qu'estimant ces rehaussements insuffisants, la commune de Choisy-le-Roi a demandé la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de la perte de ressources fiscales pour les années 2002 à 2005 ; que, par un jugement du 16 février 2010, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ; que la commune se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 décembre 2011 rejetant son appel contre ce jugement ;
Sur l'indemnisation réclamée au titre de l'année 2002 :
2. Considérant que la cour a jugé que l'administration n'avait commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en n'effectuant pas une correction des bases de la taxe professionnelle pour l'année 2002 avant l'expiration, le 31 décembre 2005, du délai prévu par l'article L. 174 du livre des procédures fiscales ;
3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 174 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Les omissions ou les erreurs concernant la taxe professionnelle peuvent être réparées par l'administration jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due. / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la sixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce. " ; que si la commune soutient que seul le délai spécial de six ans prévu par les dispositions du second alinéa de cet article était applicable en l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'il n'était ni établi ni même allégué que la société contribuable n'aurait pas déposé dans le délai légal ses déclarations ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce ; que les conditions d'application du second alinéa de l'article L. 174 n'étant, ainsi, pas réunies, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé que le délai de prescription expirait, s'agissant de l'imposition due au titre de l'année 2002, le 31 décembre 2005 ;
4. Considérant, d'autre part, que pour juger que l'administration n'avait pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, la cour s'est fondée sur la brièveté du délai séparant la réception du courrier adressé par la commune et l'expiration du délai de reprise de l'administration, le 31 décembre 2005, ainsi que sur la circonstance qu'une modification des bases implique que le contribuable soit mis à même de présenter ses observations, conformément au principe général des droits de la défense ; qu'en statuant ainsi, la cour, qui contrairement à ce que soutient la commune, n'avait pas à rechercher si l'appréciation de la situation de la CGE au regard de la taxe professionnelle comportait une difficulté particulière, n'a ni commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;
Sur l'indemnisation réclamée au titre des années 2003 à 2005 :
5. Considérant qu'après avoir indiqué que la commune de Choisy-le-Roi soutenait que la méthode de détermination des bases imposables à la taxe professionnelle des années 2003 à 2005, en particulier l'évaluation de la valeur locative des biens passibles de la taxe foncière selon les modalités particulières prévues à l'article 1501 du code général des impôts, était erronée et conduisait à une insuffisance des cotisations de taxe professionnelle mises en définitive à la charge de la CGE au titre de ces années et que la commune faisait valoir que la valeur locative des immobilisations passibles de taxe foncière comprise dans l'assiette de la taxe professionnelle aurait dû être déterminée selon la méthode comptable prévue à l'article 1499 du même code, la cour a estimé que la commune n'établissait pas, par les documents imprécis qu'elle produisait, que la méthode d'évaluation retenue par l'administration conduisait à une estimation des bases d'imposition inférieure à celle à laquelle aurait conduit la méthode comptable qu'elle revendiquait ; qu'elle en a déduit que l'existence du préjudice allégué n'était pas établie et que, sans qu'il fût besoin d'examiner si les services fiscaux avaient commis une faute en retenant une méthode erronée, il y avait lieu de rejeter la demande indemnitaire de la commune ;
6. Considérant, toutefois, que s'il appartient, en principe, à la victime d'un dommage d'établir la réalité du préjudice qu'elle invoque, le juge ne saurait lui demander de fournir des éléments de preuve qu'elle ne peut détenir ; que si la cour a pu estimer, sans les dénaturer, que les tableaux produits devant elle par la commune pour justifier de la réalité du préjudice dont elle demandait l'indemnisation étaient " imprécis ", elle n'a pu, sans méconnaître les règles d'administration de la preuve, déduire de cette seule circonstance qu'aucun préjudice n'était indemnisable, dès lors que, comme elle l'a elle-même relevé, la commune soutenait devant elle que la méthode d'évaluation de la valeur locative des biens mise en oeuvre par l'administration était entachée d'illégalité et qu'elle faisait valoir, sans être contredite, que l'administration disposait seule des éléments permettant de chiffrer la sous-évaluation des bases d'imposition qui résultait de l'illégalité qu'elle invoquait et de préciser ainsi l'étendue exacte de son préjudice ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la commune de Choisy-le-Roi est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi au titre des années 2003 à 2005 ;
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à la commune de Choisy-le-Roi ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 décembre 2011 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la requête de la commune de Choisy-le-Roi tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité au titre des années 2003 à 2005.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la commune de Choisy-le-Roi en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Choisy-le-Roi et au ministre des finances et des comptes publics.