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04/07/2014 | FRANCE | N°375927

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère ssr, 04 juillet 2014, 375927


Vu le mémoire, enregistré le 11 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par la société FRP VII, dont le siège est au 121, avenue des Champs Elysées à Paris (75008), en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; la société FRP VII demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande, présentée le 10 décembre 2013, tendant à l'abrogation des di

spositions du deuxième alinéa de l'article R. 145-20 du code de commerc...

Vu le mémoire, enregistré le 11 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par la société FRP VII, dont le siège est au 121, avenue des Champs Elysées à Paris (75008), en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; la société FRP VII demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande, présentée le 10 décembre 2013, tendant à l'abrogation des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 145-20 du code de commerce, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 145-33 à L. 145-39 du code de commerce ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 juin 2014, présentée par la société FRP VII ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et l'article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Justine Lieber, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant que l'article L. 145-33 du code de commerce dispose que le montant du loyer du bail commercial, révisé ou renouvelé, doit refléter la valeur locative et qu'à défaut d'accord entre les parties, cette valeur est fixée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage ; que l'article L. 145-34 du même code prévoit que, lors du renouvellement du bail, à moins d'une modification notable de certains des éléments mentionnés à l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler ne peut excéder une variation déterminée, en fonction des indices de référence mentionnées par cet article permettant de calculer ce plafond ; que l'article L. 145-35 prévoit une procédure facultative de conciliation pour les litiges nés de l'application de l'article L. 145-34 ; que l'article L. 145-36 prévoit des conditions particulières de fixation du prix des baux pour certains terrains et locaux aménagés en vue d'une seule utilisation, des locaux à usage exclusif de bureaux et des salles de cinéma ; que les articles L. 145-37 à L. 145-39 prévoient et encadrent la possibilité de réviser le loyer en cours de bail, l'article L. 145-38 prévoyant notamment que : " La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. / De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable. / Par dérogation aux dispositions de l'article L. 145-33, et à moins que ne soit rapportée la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel du coût de la construction ou, s'ils sont applicables, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer. (...) " ; que l'article L. 145-39 prévoit la possibilité d'inclure dans le bail une clause d'échelle mobile, permettant de demander une révision " chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire " ;

3. Considérant que la société FRP VII soutient que les articles L. 145-33 à L. 145-39 du code de commerce méconnaissent la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre, découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que ces dispositions empêchent le bailleur, lors du renouvellement ou de la révision d'un bail commercial, de fixer librement le montant du nouveau loyer, qui peut être fixé par le juge en cas de désaccord des parties en fonction de critères reflétant la valeur locative du bien et ce alors même que cette valeur locative peut ne pas avoir été prise en compte par les parties lors de la conclusion initiale du bail et alors qu'aucun motif d'intérêt général ni aucune exigence constitutionnelle ne justifie une telle atteinte à ces libertés ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des limitations justifiées par un motif d'intérêt général, à condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; que les dispositions contestées, qui encadrent les conditions dans lesquelles le loyer est fixé lors du renouvellement ou de la révision d'un bail commercial, répondent aux objectifs d'intérêt général de protection des titulaires de baux commerciaux contre des variations excessives de loyers susceptibles de remettre en cause leur exploitation, et de préservation de la stabilité des relations contractuelles ; que les dispositions prévoyant un encadrement du taux de variation du loyer, lors du renouvellement du bail, ne remettent pas en cause la libre négociation du loyer initial par les parties ; que, s'agissant du renouvellement du bail, la règle encadrant l'évolution du loyer, d'une part n'est pas d'ordre public, en vertu de l'article L. 145-15 du code de commerce, et ne s'applique donc pas si les parties l'ont exclue de leur contrat initial, d'autre part ne s'applique pas lorsque la durée du bail est supérieure à neuf années ; que, s'agissant des dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-39 définissant les conditions dans lesquelles le bail peut être révisé à la demande d'une des parties, celles-ci ne trouvent à s'appliquer que si l'une des parties, preneur ou bailleur, demande la révision ; que les dispositions de l'article L. 145-38, qui encadrent la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale, se réfèrent à des indices objectifs corrélés à l'évolution de l'activité économique ; que le législateur a prévu plusieurs hypothèses dans lesquelles l'encadrement de la variation du loyer ne trouve pas à s'appliquer, notamment, s'agissant de la révision, en cas de variation avérée des facteurs locaux de commercialité, et, s'agissant du renouvellement du bail, en cas de modification notable dans les éléments de calcul de la valeur locative ; que, s'agissant de la révision d'un loyer indexé, la clause d'échelle mobile prévue à l'article L. 145-39 ne s'applique que lorsque les parties ont entendu assortir le bail d'une telle clause, dont la mise en oeuvre peut être demandée indifféremment par le preneur ou par le bailleur, à condition que soit atteint un seuil de variation de plus d'un quart par rapport au loyer initialement fixé ; que, dans ces conditions, les dispositions en cause ne portent pas d'atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle ni à la liberté d'entreprendre ; que la circonstance que le juge puisse être saisi par l'une des parties d'un litige relatif à l'application de ces dispositions, et notamment, en vertu de l'article L. 145-34 en sus d'une saisine éventuelle de la commission départementale de conciliation prévue par cet article, ne saurait non plus être constitutive par elle-même d'une atteinte à ces libertés ; qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté contractuelle et de la liberté d'entreprendre n'a pas de caractère sérieux ;

5. Considérant, en second lieu, que la société FRP VII soutient que les articles L. 145-33 à L. 145-39 du code de commerce méconnaissent le droit de propriété, constitutionnellement garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles interdiraient au bailleur de définir les conditions financières de mise à disposition d'un bien dont il est propriétaire, alors qu'elles ne sont ni justifiées par un motif d'intérêt général, ni proportionnées à l'objectif poursuivi ; que, toutefois, les articles L. 145-33 à L. 145-39 du code de commerce n'emportent nulle privation du doit de propriété, mais se bornent à apporter des limites à son exercice ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ces restrictions, qui visent à limiter les variations, à la hausse comme à la baisse, des loyers en cours ou en fin de bail, n'interdisent pas aux parties de fixer librement le niveau du loyer initial, encadrent ces variations de loyer en fonction d'indices objectifs eux-mêmes corrélés à l'activité économique et prévoient plusieurs exceptions aux règles encadrant la variation des loyers qu'elles définissent ; qu'elles sont justifiées par des objectifs d'intérêt général visant à protéger les titulaires de baux commerciaux contre des variations excessives de loyers susceptibles de remettre en cause leur exploitation, et à préserver la stabilité des relations contractuelles ; que la circonstance que le juge puisse être saisi en cas de désaccord des parties sur les variations du montant du loyer, et fixer le cas échéant le montant du loyer par voie judiciaire ne constitue nullement une atteinte au droit de propriété ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les dispositions en cause méconnaîtraient le droit de propriété tel qu'il est garanti, notamment, par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne présente pas non plus de caractère sérieux ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel, les moyens tirés par la société FRP VII de ce que les articles L. 145-33 à L. 145-39 du code de commerce portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doivent être écartés ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société FRP VII.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société FRP VII et à la garde des sceaux, ministre de la justice. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère ssr
Numéro d'arrêt : 375927
Date de la décision : 04/07/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 jui. 2014, n° 375927
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie-Justine Lieber
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester

Origine de la décision
Date de l'import : 17/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:375927.20140704
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