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25/06/2014 | FRANCE | N°359629

France | France, Conseil d'État, 6ème / 1ère ssr, 25 juin 2014, 359629


Vu 1°, sous le n° 359629, la requête, enregistrée le 23 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. C...B...et Mme A...B..., demeurant ... ; M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) de condamner la SCP Célice-Blancpain-Soltner à leur verser une indemnité de 81 260,11 euros en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi en raison des manquements de cette société d'avocats dans le cadre du pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat enregistré sous le n° 280929 ;

2°) de mettre à la charge de la SCP Célice-Blancpai

n-Soltner la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de jus...

Vu 1°, sous le n° 359629, la requête, enregistrée le 23 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. C...B...et Mme A...B..., demeurant ... ; M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) de condamner la SCP Célice-Blancpain-Soltner à leur verser une indemnité de 81 260,11 euros en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi en raison des manquements de cette société d'avocats dans le cadre du pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat enregistré sous le n° 280929 ;

2°) de mettre à la charge de la SCP Célice-Blancpain-Soltner la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens ;

Vu 2°, sous le n° 359630, la requête, enregistrée le 23 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société TNC 3, dont le siège est 45, rue des Sources à Vieux-Charmont (25600), représentée par son gérant en exercice ; la société TNC 3 demande au Conseil d'Etat :

1°) de condamner la SCP Célice-Blancpain-Soltner à lui verser une indemnité de 94 372,17 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison des manquements de cette société d'avocats dans le cadre du pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat enregistré sous le n° 280928 ;

2°) de mettre à la charge de la SCP Célice-Blancpain-Soltner la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu l'ordonnance du 10 septembre 1817, notamment son article 13 modifié par le décret n° 2002-76 du 11 janvier 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Foussard, avocat de M. et MmeB..., à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la SCP Célice-Blancpain-Soltner, à Me Foussard, avocat de la société TNC 3, et à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

1. Considérant que les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme B...sont les associés fondateurs de la société TNC 3 qui exploite depuis 1989 un commerce de lingerie à Sochaux (Doubs) ; qu'après avoir fait l'objet d'un contrôle fiscal au titre des années 1990 à 1992 ayant abouti à ce que soient respectivement mis à leur charge un supplément d'impôt sur le revenu et des suppléments d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, les époux B...et la société TNC 3 ont contesté ces décisions devant le tribunal administratif de Besançon puis devant la cour administrative d'appel de Nancy qui, pour l'essentiel, a rejeté leurs prétentions par deux arrêts du 10 mars 2005 ; que ces arrêts ont été notifiés aux parties le 24 mars 2005 ; que, par lettre en date du 10 mai 2005, l'avocat des intéressés a, en vue de déposer un pourvoi en cassation, saisi la SCP Célice-Blancpain-Soltner en lui indiquant, de manière erronée, que les arrêts avaient été notifiés le 27 mars 2005 ; qu'à la suite de cette demande, la SCP Célice-Blancpain-Soltner a formé deux pourvois, enregistrés le 27 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous les nos 280928 et 280929, et mentionné son intention de produire, dans chaque cas, un mémoire complémentaire ; que, par un appel téléphonique en date du 8 juin 2005, les époux B...ont informé le cabinet Célice-Blancpain-Soltner de la date réelle de notification des arrêts attaqués ; qu'après échanges entre les intéressés et leur avocat aux Conseils, aucun mémoire complémentaire n'a été déposé au soutien des pourvois ; que les deux pourvois ont été rejetés par deux ordonnances du président de la 8ème sous-section de la Section du contentieux du 5 octobre 2005 au motif qu'en l'absence de production d'un mémoire complémentaire dans le délai de trois mois imparti par l'article R. 611-22 du code de justice administrative, les requérants étaient réputés s'être désistés de leur action ; qu'après avoir saisi, le 11 décembre 2009, le conseil de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation qui, par un avis du 14 octobre 2010, a estimé que la SCP Célice-Blancpain-Soltner n'avait pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle, les époux B...et la société TNC 3 demandent au Conseil d'État, en application de l'article 13 de l'ordonnance du 10 septembre 1817 modifiée relative aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, de condamner la SCP Célice-Blancpain-Soltner en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de la perte d'une chance sérieuse d'obtenir la cassation des arrêts qu'ils entendaient attaquer et la décharge de tout ou partie des impositions laissées à leur charge par ces arrêts ;

3. Considérant, en premier lieu, que, pour apprécier si l'avocat a commis une faute, il y a lieu de déterminer s'il a normalement accompli avec les diligences suffisantes les devoirs de sa charge, à la condition que son client l'ait mis en mesure de le faire ; qu'il appartient notamment à l'avocat de recueillir auprès de ses clients l'ensemble des éléments d'information et les documents propres à lui permettre d'assurer, au mieux, la défense de leurs intérêts ; que, pour l'appréciation de la responsabilité de l'avocat, il y a lieu de tenir compte, le cas échéant, du comportement du client et de ses autres conseils ; que, dans le cas où il y aurait eu négligence, il y a lieu de déterminer si cette négligence, en privant le client d'une chance sérieuse de succès du recours, a été de nature à lui porter un préjudice de nature à lui ouvrir droit à réparation ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment de la lettre du 10 mai 2005 par laquelle le conseil des requérants l'a saisie, que la SCP Célice-Blancpain-Soltner a reçu instruction de déposer les pourvois devant le Conseil d'État avant le 28 mai 2005 ; que cette lettre, rédigée en termes catégoriques par un professionnel du droit et qui indiquait que les arrêts avaient été notifiés au client le 27 mars 2005, selon les informations communiquées par ce dernier, n'appelait pas, dans le court délai qui lui était imparti, de vérifications supplémentaires de la part de l'avocat aux Conseils, qui a accepté cette mission et déposé le 27 mai 2005 deux pourvois au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; que, dans ces conditions, la SCP Célice-Blancpain-Soltner n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle du fait de l'introduction tardive des pourvois formés par les époux B...et la société TNC 3 ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de ce qui précède que, dès lors que la tardiveté des pourvois avait, en tout état de cause, pour effet de rendre leurs recours irrecevables, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la SCP Célice-Blancpain-Soltner aurait commis une faute en ne déposant pas de mémoire complémentaire dans le délai prévu par l'article R. 611-22 du code de justice administrative ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment des courriers adressés par les requérants à leur avocat, que ceux-ci connaissaient les délais de recours et leurs effets sur la recevabilité des pourvois ; que ces informations leur ont, en outre, été rappelées par la lettre du 20 septembre 2005 par laquelle la SCP Célice-Blancpain-Soltner leur indiquait que leurs recours en cassation étaient irrecevables et les invitait à s'en désister ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la SCP Célice-Blancpain-Soltner aurait manqué à son devoir de conseil en ne les informant en temps utile ni des conséquences de la tardiveté du recours ni de celles d'un défaut de production de mémoire complémentaire ne peut qu'être écarté ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés, en l'absence de faute de la SCP Célice-Blancpain-Soltner, à lui demander réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis ;

Sur les dépens :

8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser la contribution pour l'aide juridique à la charge de M. et Mme B...et de la société TNC 3 ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la SCP Célice-Blancpain-Soltner, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme B...et de la société TNC 3 la somme globale de 3 000 euros à verser à la SCP Célice-Blancpain-Soltner, au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de M. et Mme B...et de la société TNC 3 sont rejetées.

Article 2 : M. et Mme B...et la société TNC 3 verseront à la SCP Célice-Blancpain-Soltner une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C...B..., premier requérant dénommé, et à la SCP Célice-Blancpain-Soltner. Les autres requérants seront informés de la présente décision par Me Foussard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'État.

Copie en sera adressée pour information à l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème / 1ère ssr
Numéro d'arrêt : 359629
Date de la décision : 25/06/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - MAGISTRATS ET AUXILIAIRES DE LA JUSTICE - AUXILIAIRES DE LA JUSTICE - AVOCATS - AVOCATS AU CONSEIL D'ETAT ET À LA COUR DE CASSATION - RESPONSABILITÉ - INTRODUCTION TARDIVE D'UN POURVOI SUR LA BASE D'INDICATIONS ERRONÉES SUR LA DATE DE NOTIFICATION DE L'ARRÊT ATTAQUÉ - ABSENCE DE FAUTE EN L'ESPÈCE.

37-04-04-01 Pour apprécier si l'avocat a commis une faute, il y a lieu de déterminer s'il a normalement accompli avec les diligences suffisantes les devoirs de sa charge, à la condition que son client l'ait mis en mesure de le faire. Il appartient notamment à l'avocat de recueillir auprès de ses clients l'ensemble des éléments d'information et les documents propres à lui permettre d'assurer, au mieux, la défense de leurs intérêts. Pour l'appréciation de la responsabilité de l'avocat, il y a lieu de tenir compte, le cas échéant, du comportement du client et de ses autres conseils.... ,,En l'espèce, pourvois en cassation introduits tardivement par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sur la base des indications erronées contenue dans la lettre que le conseil des requérants lui avait adressée. Absence de faute de l'avocat aux Conseils dès lors que cette lettre, rédigée en termes catégoriques par un professionnel du droit et indiquant que les arrêts avaient été notifiés au client, selon les informations communiquées par ce dernier, à une date qui s'est avérée inexacte, n'appelait pas, dans le court délai qui lui était imparti, de vérifications supplémentaires de la part de l'avocat aux Conseils.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - CONDITIONS D'EXERCICE DES PROFESSIONS - PROFESSIONS S'EXERÇANT DANS LE CADRE D'UNE CHARGE OU D'UN OFFICE - AVOCATS AUX CONSEILS - RESPONSABILITÉ - INTRODUCTION TARDIVE D'UN POURVOI SUR LA BASE D'INDICATIONS ERRONÉES SUR LA DATE DE NOTIFICATION DE L'ARRÊT ATTAQUÉ - ABSENCE DE FAUTE EN L'ESPÈCE.

55-03-05-01 Pour apprécier si l'avocat a commis une faute, il y a lieu de déterminer s'il a normalement accompli avec les diligences suffisantes les devoirs de sa charge, à la condition que son client l'ait mis en mesure de le faire. Il appartient notamment à l'avocat de recueillir auprès de ses clients l'ensemble des éléments d'information et les documents propres à lui permettre d'assurer, au mieux, la défense de leurs intérêts. Pour l'appréciation de la responsabilité de l'avocat, il y a lieu de tenir compte, le cas échéant, du comportement du client et de ses autres conseils.... ,,En l'espèce, pourvois en cassation introduits tardivement par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sur la base des indications erronées contenue dans la lettre que le conseil des requérants lui avait adressée. Absence de faute de l'avocat aux Conseils dès lors que cette lettre, rédigée en termes catégoriques par un professionnel du droit et indiquant que les arrêts avaient été notifiés au client, selon les informations communiquées par ce dernier, à une date qui s'est avérée inexacte, n'appelait pas, dans le court délai qui lui était imparti, de vérifications supplémentaires de la part de l'avocat aux Conseils.


Publications
Proposition de citation : CE, 25 jui. 2014, n° 359629
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Xavier de Lesquen
Avocat(s) : FOUSSARD ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:359629.20140625
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