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22/05/2014 | FRANCE | N°379943

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 22 mai 2014, 379943


Vu la requête, enregistrée le 9 mai 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société Sacrée Prod, dont le siège social est situé 7, rue Claude Monet à Sains-en-Amiénois (80680), représentée par son représentant légal en exercice ; la société requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1402734 du 7 mai 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant

, d'une part, à la suspension de l'exécution de la décision du 4 mars 2014 du ser...

Vu la requête, enregistrée le 9 mai 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société Sacrée Prod, dont le siège social est situé 7, rue Claude Monet à Sains-en-Amiénois (80680), représentée par son représentant légal en exercice ; la société requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1402734 du 7 mai 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de la décision du 4 mars 2014 du service prévention et lutte contre la fraude de Pôle emploi procédant à la radiation de son compte d'employeur à compter du 31 mars 2014 et de l'avis de versement de régularisation en date du 1er avril 2014 qui lui a été adressé en conséquence, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à Pôle emploi de lui attribuer sans délai un nouveau compte et un numéro d'affiliation ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- l'ordonnance du juge des référés est irrégulière, pour avoir été rendue au-delà du délai de 48 heures imparti au juge pour statuer par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

- le juge des référés a commis une erreur de droit, en rejetant comme irrecevable, parce que tardive, la demande de suspension de la décision de radiation contestée et qualifié, à tort, ses conclusions à fin d'injonction de demande accessoire, alors que cette décision continue à produire des effets juridiques ;

- la condition d'urgence est remplie, dès lors que, n'ayant plus de compte employeur depuis le 1er avril 2014, la société ne peut plus exercer son activité d'entreprise de spectacle et devra licencier ses salariés et rompre les contrats avec les artistes pour la saison en cours, ce qui l'exposera à des pénalités contractuelles ; que les effets de cette clôture se poursuivant dans le temps et l'empêchant d'obtenir le renouvellement de sa licence, ses conclusions sont recevables, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif ;

- la décision contestée porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre, en la plaçant ainsi que ses employés et les artistes avec lesquels elle a contracté, dans l'impossibilité d'exercer leur profession ;

- la décision contestée ne repose sur aucune base légale et a été prise à l'issue d'une procédure illégale, qui porte atteinte à son droit à un procès équitable ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 mai 2014, présenté par Pôle Emploi qui conclut au rejet de la requête ;

il soutient que :

- le juge judiciaire est seul compétent pour connaître d'un litige relatif à un acte d'affiliation, qui, indissociable d'un acte de recouvrement, relève du contentieux de la sécurité sociale ;

- qu'en tout état de cause, au sein de la juridiction administrative, le tribunal administratif de Grenoble n'était pas territorialement compétent pour statuer sur la demande de la société Sacrée Prod ;

- que la société Sacrée Prod a déclaré des prestations qui ne relèvent pas du spectacle vivant, permettant ainsi à des allocataires de bénéficier à tort du régime dérogatoire d'assurance chômage des intermittents du spectacle ; qu'elle a prétendu à tort avoir la qualité d'employeur au sens de l'article L. 5422-13 du code du travail ; que ses déclarations ont été à bon droit rejetées ;

- que Pôle emploi tient des articles 35 des annexes VIII et X au règlement général annexé à la convention d'assurance chômage, le pouvoir de supprimer le compte employeur de la société requérante, dès lors qu'il avait été constaté que la société procédait en qualité d'employeur à des déclarations qu'elle n'avait pu justifier, malgré de nombreuses demandes d'éclaircissements ; que les pratiques illégales de la société s'apparentent à une activité illégale de portage salarial ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 16 mai 2014, présenté par la société Sacrée Prod, qui persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ;

elle soutient, en outre, que :

- Pôle Emploi ne fournit pas les courriers adressés aux artistes ;

- la qualité d'intermittent doit s'apprécier pour chaque contrat exécuté par les artistes ;

- la société Sacrée Prod n'exerce pas d'activité de portage salarial ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 16 mai 2014, présenté pour Pôle Emploi, qui persiste dans ses conclusions et demande, en outre, qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Sacrée Prod, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code du travail ;

Vu les annexes VIII et X au règlement général annexé à la convention du 6 mai 2011 relative à l'indemnisation du chômage ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Sacrée Prod et, d'autre part, Pôle Emploi ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 16 mai 2014 à 14 heures, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Meier-Bourdeau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Sacrée Prod ;

- les représentants de la société Sacrée Prod ;

- Me Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Pôle Emploi ;

- le représentant de Pôle emploi ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. " ;

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 7122-3 du code du travail " toute personne établie sur le territoire qui exerce l'activité d'entrepreneur de spectacles vivants doit détenir une licence d'entrepreneur de spectacles " ; que l'article L. 7122-4 précise que " lorsque l'activité d'entrepreneur de spectacles vivants est exercée par une personne morale, la licence est accordée au représentant légal ou statutaire de celle-ci... ; que l'article L. 7122-9 dispose que " la licence d'entrepreneur de spectacles vivants est délivrée pour une durée déterminée renouvelable " ; qu'il résulte, d'autre part, des dispositions combinées de l'article L. 5312-1 et du e) de l'article L. 5427-1 du code du travail que l'établissement public Pôle Emploi assure, pour le compte de l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage, le recouvrement des contributions d'assurance chômage dues par les employeurs des salariés engagés à titre temporaire qui relèvent des professions de la production cinématographique, de l'audiovisuel ou du spectacle ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par arrêté du préfet de la région Picardie, en date du 29 mars 2011, a été attribuée à M. A...B..., représentant légal de la SARL Sacrée Prod, une licence d'entrepreneur de spectacles pour une durée de trois ans ; que le 4 mars 2014, le service de la lutte contre la fraude de Pôle Emploi a informé cette société de la clôture, à compter du 31 mars 2014, du compte employeur qui lui avait été attribué pour le paiement de ses contributions à l'assurance chômage ; que le 1er avril 2014, ce service a adressé en conséquence de cette radiation un avis de versement de régularisation à la société Sacrée Prod ; que la société a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de la décision du 4 mars 2014 et de l'avis de versement de régularisation du 1er avril 2014 et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à Pôle Emploi de lui attribuer, sans délai, un nouveau compte employeur ; que la société Sacré Prod relève appel de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;

4. Considérant que le litige porté devant le juge des référés relatif à l'atteinte qu'un acte pris par un établissement public administratif, dans l'exercice d'une mission confiée par la loi, aurait porté à une liberté fondamentale n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative ; que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, dans le ressort duquel se trouve le service de Pôle emploi auteur de la décision litigieuse, a pu, dès lors, sans erreur de droit retenir sa compétence pour juger de la requête de la société Sacrée Prod ;

5. Considérant que l'exécution de la décision du 4 mars 2014 portant radiation de son compte employeur à compter du 1er avril 2014 continue de produire ses effets à l'égard de la société Sacrée Prod, dès lors, d'une part, qu'elle ne peut plus verser les contributions à l'assurance chômage pour les prestations rendues après cette date dans le cadre de son activité d'entrepreneur de spectacles, d'autre part, que cette radiation fait obstacle à l'instruction du renouvellement de la licence qu'elle détient ; qu'ainsi l'entrée en vigueur, le 1er avril, de cette décision n'a pas privé le recours de son objet ; que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a, par suite, commis une erreur de droit, en rejetant comme dépourvues d'objet et, par suite, irrecevables les conclusions de la société requérante tendant à la suspension de la décision du 4 mars 2014 , ainsi que, par voie de conséquence, celles relatives à ce qu'il soit enjoint à Pôle emploi de rétablir le compte supprimé ; qu'en revanche, c'est à bon droit qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre l'avis de versement de régularisation, qui ne constitue qu'un acte préparatoire à la fixation d'un éventuel reversement ; que l'ordonnance attaquée est, par suite, irrégulière et doit être annulée, en tant qu'elle rejette les conclusions relatives à la décision du 4 mars 2014, ainsi que les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à Pôle emploi de rétablir le compte employeur ;

6. Considérant qu'il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant par voie d'évocation, de se prononcer dans cette limite sur le référé introduit par la société Sacré Prod ;

7. Considérant qu'il n'y a urgence à ordonner la suspension d'une décision administrative que s'il est établi qu'elle préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du demandeur ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'en outre, lorsque le requérant fonde son intervention non sur la procédure de suspension régie par l'article L. 521-1 du code de justice administrative, mais sur la procédure de protection particulière instituée par l'article L. 521-2 de ce code, il lui appartient de justifier de circonstances caractérisant une situation d'urgence qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par l'article L. 521-2 soient remplies, qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les quarante-huit heures ;

8. Considérant que, si la décision litigieuse fait obstacle depuis le 1er avril 2014 au versement par la société requérante des cotisations à l'assurance chômage des artistes qu'elle emploie, cette circonstance ne caractérise pas, à la date de la présente ordonnance, une situation d'urgence impliquant qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise à très bref délai ; qu'ainsi, la société Sacré Prod n'est pas fondée à saisir le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que sa requête doit , dans ses conditions être rejetée ;

9. Considérant que l'Etat n'étant pas partie au litige ne saurait, en tout état de cause, être condamné à verser à la société Sacré Prod la somme que celle-ci demande au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n' y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Sacrée Prod la somme que demande Pôle emploi au titre des mêmes dispositions ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 7 mai 2014 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est annulée, en tant qu'elle rejette les conclusions de la requête de la société Sacrée Prod tendant à la suspension de la décision du 4 mars 2014 et à ce qu'il soit enjoint à Pôle emploi de lui attribuer un nouveau compte employeur.

Article 2 : Les conclusions de la requête de la société Sacrée Prod présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, tendant à la suspension de la décision du 4 mars 2014 et à ce qu'il soit enjoint à Pôle emploi de lui attribuer un nouveau compte employeur, sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Sacré Prod et par Pôle emploi sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Sacrée Prod et à Pôle Emploi.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 379943
Date de la décision : 22/05/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 mai. 2014, n° 379943
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP MEIER-BOURDEAU, LECUYER ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:379943.20140522
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