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05/05/2014 | FRANCE | N°357802

France | France, Conseil d'État, 5ème / 4ème ssr, 05 mai 2014, 357802


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mars et 14 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme A...B..., demeurant... ; Mme B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10VE04027 du 8 novembre 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel contre le jugement n° 0606811 du 12 octobre 2010 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier René Dubos de Pontoise à réparer les préjudices qu'elle a subis e

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mars et 14 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme A...B..., demeurant... ; Mme B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10VE04027 du 8 novembre 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel contre le jugement n° 0606811 du 12 octobre 2010 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier René Dubos de Pontoise à réparer les préjudices qu'elle a subis en raison de la faute commise par le centre hospitalier à l'occasion de la pose d'un implant contraceptif ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier René Dubos de Pontoise le versement à Maître Jacoupy d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 et de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles Touboul, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Delamarre, avocat de Mme B...et à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier René Dubos ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'après la naissance de son septième enfant Mme B... a subi une intervention, pratiquée le 15 novembre 2004 au centre hospitalier René Dubos de Pontoise, en vue de l'implantation dans son bras d'un dispositif contraceptif efficace pendant trois ans ; qu'elle a toutefois découvert en septembre 2005 qu'elle était enceinte ; qu'une interruption volontaire de grossesse n'étant plus légalement possible en France, elle a fait pratiquer cette intervention en Espagne par césarienne ; qu'ayant appris, par des analyses réalisées en février 2007, qu'aucun implant contraceptif n'avait en réalité été posé dans son bras, elle a recherché la responsabilité du centre hospitalier René Dubos à raison des préjudices pécuniaire, esthétique et moral qu'elle avait subis ; que, par un jugement du 12 octobre 2010, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a retenu qu'en ne procédant pas aux vérifications qui auraient permis de détecter l'échec de l'implantation du dispositif contraceptif, le centre hospitalier René Dubos avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité mais que les préjudices allégués par Mme B... n'étaient pas en relation directe avec cette faute et ne lui ouvraient par suite pas droit à indemnité ; que, par un arrêt du 8 novembre 2011, contre lequel l'intéressée se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel contre ce jugement ;

En ce qui concerne les préjudices causés par la grossesse non désirée :

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si, dans ses écritures devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise puis devant la cour administrative d'appel de Versailles, Mme B... demandait réparation d'un préjudice pécuniaire, d'un préjudice esthétique, d'un préjudice moral et de souffrances résultant des conditions dans lesquelles avait été pratiquée l'interruption volontaire de grossesse, elle faisait également état d'un préjudice moral lié à cette grossesse non désirée elle-même ; qu'ainsi, en retenant que l'ensemble des préjudices invoqués par Mme B...se rapportaient aux seules conditions et suites de l'interruption volontaire de grossesse, la cour administrative d'appel s'est méprise sur la portée des écritures de l'intéressée ;

En ce qui concerne les conditions de réalisation de l'interruption volontaire de grossesse et ses suites :

3. Considérant que la cour administrative d'appel a estimé que les préjudices liés à l'interruption volontaire de grossesse subie par Mme B...étaient imputables au diagnostic tardif de son état, alors qu'elle avait consulté à deux reprises en août 2005 son médecin gynécologue ; qu'elle ne s'est pas interrogée sur le point de savoir si ce diagnostic tardif pouvait s'expliquer par la certitude erronée sur la présence du dispositif contraceptif ; qu'en jugeant que les préjudices invoqués ne résultaient pas de la faute commise par le centre hospitalier dans la pose de l'implant contraceptif, sans rechercher si cette faute avait été à l'origine du retard de diagnostic, elle a commis une erreur de droit ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...est fondée à demander que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 8 novembre 2011 soit annulé en tant qu'il se prononce sur les préjudices liés à la faute commise par le centre hospitalier René Dubos ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée ;

6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, si le préjudice pécuniaire, le préjudice esthétique et les souffrances dont Mme B...demande réparation sont liés aux conditions dans lesquelles a été pratiquée l'interruption volontaire de grossesse, le préjudice moral qu'elle allègue se rapporte non seulement aux conditions de cette intervention mais aussi à la grossesse non désirée elle-même ;

En ce qui concerne les préjudices causés par la grossesse non désirée :

7. Considérant que les préjudices moraux résultant d'une grossesse non désirée, notamment les troubles psychologiques liés à la découverte de cet état et aux choix auxquels il confronte l'intéressée, sont susceptibles d'ouvrir droit à réparation lorsqu'ils résultent directement d'une faute d'un centre hospitalier ;

8. Considérant qu'en l'espèce, les troubles psychologiques subis par Mme B...du fait de la découverte de son état, alors qu'elle pensait bénéficier d'un implant contraceptif, sont directement imputables à la faute commise dans la pose de son implant contraceptif le 15 novembre 2004 par le centre hospitalier René Dubos ; que Mme B...est dès lors fondée à demander que le préjudice moral qui en est résulté pour elle soit réparé par le centre hospitalier ;

En ce qui concerne l'interruption volontaire de grossesse et ses suites :

9. Considérant que les préjudices consécutifs à une interruption volontaire de grossesse, qui résulte de la décision de l'intéressée de ne pas poursuivre sa grossesse, ne peuvent être regardés comme découlant directement d'une faute commise par un centre hospitalier dans la pose d'un dispositif contraceptif ; que, toutefois, lorsqu'une telle faute a pour conséquence que la grossesse n'est découverte qu'au-delà de la douzième semaine et prive par suite l'intéressée du droit de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans les conditions prévues à l'article L. 2212-1 du code de la santé publique, les préjudices résultant directement de la privation d'une telle possibilité sont susceptibles d'ouvrir droit à réparation ;

10. Considérant que si, en l'espèce, Mme B...a consulté à deux reprises en août 2005 son médecin gynécologue, il est constant que ces consultations ont eu lieu après la fin de la douzième semaine de grossesse, terme fixé par l'article L. 2212-1 du code de la santé publique pour recourir à une interruption volontaire de grossesse ; que le fait que Mme B..., malgré son aménorrhée, n'a pas consulté un médecin à une date plus précoce résulte de sa conviction qu'elle bénéficiait d'un dispositif contraceptif empêchant toute grossesse ; qu'il n'est, par ailleurs, pas contesté que cette aménorrhée faisait partie des effets secondaires connus du dispositif dont elle pensait qu'il avait été implanté ; que, dans ces conditions, la faute commise par le centre hospitalier René Dubos dans la pose de l'implant contraceptif doit être regardée comme ayant été à l'origine de la découverte tardive de l'état de grossesse de Mme B..., qui l'a placée dans l'impossibilité d'user de son droit de faire pratiquer une interruption volontaire de grossesse dans les conditions prévues par l'article L. 2212-1 du code de la santé publique ; que Mme B...est dès lors fondée à demander au centre hospitalier René Dubos réparation du préjudice qui en est résulté pour elle ; qu'en revanche, les préjudices pécuniaire et esthétique et la souffrance liés aux conditions mêmes de l'interruption volontaire de grossesse que l'intéressée a pris la décision de faire pratiquer ne sont pas en lien direct avec la faute commise par le centre hospitalier ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande en ce qui concerne le préjudice moral lié à la grossesse non désirée et le préjudice lié à l'impossibilité d'user de son droit de faire pratiquer une interruption volontaire de grossesse dans les conditions prévues par l'article L. 2212-1 du code de la santé publique ; qu'il en sera fait une juste appréciation en lui allouant la somme de 10 000 euros au titre de chacun de ces préjudices;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que Mme B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle devant le Conseil d'Etat ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Maître Delamarre, nommé en remplacement de Maître Jacoupy, avocat de MmeB..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge du centre hospitalier René Dubos le versement à Maître Delamarre de la somme de 3 000 euros ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 8 novembre 2011 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il statue sur les préjudices imputables à la faute commise par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise.

Article 2 : Le centre hospitalier René Dubos de Pontoise est condamné à verser à Mme B... la somme de 20 000 euros en réparation de ses préjudices.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 12 octobre 2010 est annulé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Le centre hospitalier René Dubos de Pontoise versera à Maître Delamarre, avocat de MmeB..., la somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme B...est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au centre hospitalier René Dubos de Pontoise.


Synthèse
Formation : 5ème / 4ème ssr
Numéro d'arrêt : 357802
Date de la décision : 05/05/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mai. 2014, n° 357802
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Charles Touboul
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : LE PRADO ; DELAMARRE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:357802.20140505
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