Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 février et 29 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Lisieux Invest Hôtel, dont le siège est 2, rue Lord Byron à Paris (75008) ; la société Lisieux Invest Hôtel demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n°09VE02645-10VE02615 du 29 décembre 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté ses requêtes tendant à l'annulation des jugements n°0304306-0600627-0608281-0710659 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise des 23 juin 2009 et 5 mai 2010 ordonnant un supplément d'instruction puis rejetant ses demandes tendant à la réduction des cotisations de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2002, 2004, 2005 et 2006 dans les rôles de la commune de Chaumontel, à raison de l'exploitation d'un hôtel " Première classe " ;
2°) de mettre la somme de 4 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Séverine Larere, Maître des Requêtes,
- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SNC Lisieux Invest Hôtel ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 1467 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions contestées : " La taxe professionnelle a pour base : 1° Dans le cas des contribuables autres que les titulaires de bénéfices non commerciaux, les agents d'affaires et les intermédiaires de commerce employant moins de cinq salariés : / a. la valeur locative, telle qu'elle est définie aux articles 1469, 1518 A et 1518 B, des immobilisations corporelles dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence définie aux articles 1467 A et 1478, à l'exception de celles qui ont été détruites ou cédées au cours de la même période ; / b. les salaires au sens du 1 de l'article 231 ainsi que les rémunérations allouées aux dirigeants de sociétés mentionnés aux articles 62 et 80 ter, versés pendant la période de référence définie au a à l'exclusion des salaires versés aux apprentis sous contrat et aux handicapés physiques ; ces éléments sont pris en compte pour 18 % de leur montant ; (...) " ; qu'il résulte de l'article 1469 du même code, alors applicable, que, pour les biens passibles de la taxe foncière, la valeur locative est calculée suivant les règles fixées pour l'établissement de cette taxe ; que selon l'article 1498 du code général des impôts : "(...) 2° a. Pour les biens loués à des conditions de prix anormales ou occupés par leur propriétaire, occupés par un tiers à un autre titre que la location, vacants ou concédés à titre gratuit, la valeur locative est déterminée par comparaison. / Les termes de comparaison sont choisis dans la commune. Ils peuvent être choisis hors de la commune pour procéder à l'évaluation des immeubles d'un caractère particulier ou exceptionnel ; / b. La valeur locative des termes de comparaison est arrêtée : / Soit en partant du bail en cours à la date de référence de la révision lorsque l'immeuble type était loué normalement à cette date, / Soit, dans le cas contraire, par comparaison avec des immeubles similaires situés dans la commune ou dans une localité présentant, du point de vue économique, une situation analogue à celle de la commune en cause et qui faisaient l'objet à cette date de locations consenties à des conditions de prix normales ; 3° A défaut de ces bases, la valeur locative est déterminée par voie d'appréciation directe " ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Lisieux Invest Hôtel, qui exploite un hôtel " Première Classe " à Chaumontel (Val d'Oise), a sollicité la réduction des cotisations de taxe professionnelle mises à sa charge au titre des années 2002, 2004, 2005 et 2006 en invoquant l'irrégularité de l'évaluation de la valeur locative de l'immeuble ; que, par un jugement du 5 mai 2010, rendu après un jugement avant-dire droit du 23 juin 2009, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, après avoir, d'une part, pris acte de ce que l'administration admettait l'irrégularité de l'évaluation initiale et, d'autre part, écarté l'application de la méthode par comparaison prévue au 2° de l'article 1498 du code général des impôts, a jugé que la mise en oeuvre d'une évaluation par appréciation directe aboutissait à une valeur locative supérieure à celle qui avait été retenue par l'administration et rejeté, en conséquence, les demandes de la société Lisieux Invest Hôtel ; que ces jugements ont été confirmés par l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Versailles ;
Sur la détermination de la valeur locative par comparaison :
3. Considérant, en premier lieu, que les dispositions précitées de l'article 1498 du code général des impôts font obstacle à ce qu'un immeuble commercial dont la valeur locative a été fixée par voie d'appréciation directe soit retenu comme terme de comparaison pour déterminer, selon la méthode indiquée au 2° de cet article, la valeur locative d'un autre immeuble commercial ; que c'est, par suite, sans erreur de droit qu'après avoir relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'il résultait des documents produits par le ministre, et notamment de la fiche d'évaluation sur laquelle figurait la mention " évaluation directe ", que le local-type n° 10 du procès-verbal de la commune de Chennevières-sur-Marne avait été évalué par voie d'appréciation directe, que la cour en a déduit que le local-type n° 55 du procès-verbal complémentaire de Villeneuve-Saint-Georges, dont il résultait de l'instruction qu'il avait été évalué par comparaison avec ce dernier local, avait fait l'objet d'une évaluation irrégulière et ne pouvait, dès lors, être retenu comme terme de comparaison pour déterminer, selon la méthode indiquée au 2° de cet article, la valeur locative d'un autre immeuble commercial ; que son arrêt est suffisamment motivé sur ce point ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que le juge ne peut retenir un terme de comparaison, pour l'application de la méthode prévue par le 2° de l'article 1498 précité du code général des impôts, qu'après avoir vérifié, au vu des éléments figurant dans le dossier qui lui est soumis, la régularité de son évaluation ; que, pour écarter le local-type n° 43 du procès-verbal des opérations d'évaluation foncière de la commune de Villejuif, proposé par la société, la cour, après avoir relevé qu'il résultait de l'instruction que le bail en cours au 1er janvier 1970 avait été conclu entre une société et son gérant et qu'il mettait à la charge du preneur toutes les dépenses de grosses réparations de l'article 606 du code civil, a jugé qu'il n'était pas démontré, par les pièces produites au dossier par la société, que ce bail avait néanmoins été conclu à des conditions de prix normales ; qu'en statuant ainsi, la cour, qui n'a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis, n'a ni commis d'erreur de droit au regard des dispositions précitées de l'article 1498 du code général des impôts ni méconnu son office ; que le moyen tiré de ce que son arrêt serait insuffisamment motivé doit, en outre, être écarté ;
5. Considérant, en troisième lieu, que c'est également par une motivation suffisante, exempte d'erreur de droit, que la cour a jugé que le local-type n° 33 du procès-verbal de la commune de Morangis ne pouvait servir de terme de référence, pour l'application de la méthode d'évaluation par comparaison, dès lors qu'il résultait de l'instruction qu'il était occupé, au 1er janvier 1970, par son propriétaire et que la circonstance que le procès-verbal mentionne la lettre " C " n'était pas de nature à établir que ce local-type aurait lui-même été évalué par comparaison avec un autre local-type, alors qu'aucun autre local de cette sorte n'était indiqué au procès-verbal ; qu'en statuant ainsi, la cour a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;
6. Considérant, enfin, que la cour a écarté le local-type n° 35 mentionné dans le procès-verbal d'évaluation foncière de la commune de Clamart et le local-type n° 34 des évaluations foncières de la commune de Villeneuve-le-Roi aux motifs, pour le premier, qu'il correspondait à un hôtel construit en 1900 ayant fait l'objet d'un bail le 24 novembre 1969 qui ne pouvait être comparé à l'hôtel litigieux, lequel fait partie d'une chaîne d'hôtels de conception moderne et, pour le second, qu'il s'agissait d'un hôtel de type ancien, non comparable à un hôtel de chaîne, alors même qu'il aurait fait l'objet d'aménagements ayant permis d'améliorer le niveau de ses équipements et de ses prestations depuis le 1er janvier 1970 ; qu'il résulte de cette motivation, qui est suffisante, que la cour n'a pas, contrairement à ce que soutient le pourvoi, apprécié les caractéristiques des locaux-types à la date du 1er janvier 1970 ; que le moyen tiré de ce qu'elle aurait, ce faisant, commis une erreur de droit doit, par suite, être écarté ;
Sur la détermination de la valeur locative par voie d'appréciation directe :
7. Considérant qu'aux termes de l'article 324 AB de l'annexe III au code général des impôts : " Lorsque les autres moyens font défaut, il est procédé à l'évaluation directe de l'immeuble en appliquant un taux d'intérêt à sa valeur vénale, telle qu'elle serait constatée à la date de référence si l'immeuble était libre de toute location ou occupation. Le taux d'intérêt susvisé est fixé en fonction du taux des placements immobiliers constatés dans la région à la date de référence pour des immeubles similaires " ; qu'aux termes de l'article 324 AC de la même annexe : " En l'absence d'acte et de toute autre donnée récente faisant apparaître une estimation de l'immeuble à évaluer susceptible d'être retenue, sa valeur vénale à la date de référence est appréciée d'après la valeur vénale d'autres immeubles d'une nature comparable ayant fait l'objet de transactions récentes, situés dans la commune même ou dans une localité présentant du point de vue économique une situation analogue à celle de la commune en cause. La valeur vénale d'un immeuble peut également être obtenue en ajoutant à la valeur vénale du terrain, estimée par comparaison avec celle qui ressort de transactions récentes relatives à des terrains à bâtir situés dans une zone comparable, la valeur de reconstruction au 1er janvier 1970 dudit immeuble, réduite pour tenir compte, d'une part, de la dépréciation immédiate et, d'autre part, du degré de vétusté de l'immeuble et de son état d'entretien, ainsi que de la nature, de l'importance, de l'affectation et de la situation de ce bien " ;
8. Considérant que, devant la cour, la société Lisieux Invest Hôtel soutenait que dès lors, d'une part, que le 3° de l'article 1498 du code général des impôts ne prévoit pas que la valeur locative doive être appréciée en se référant à la date du 1er janvier 1970 visée par les dispositions précitées de l'article 324 AC de l'annexe III et, d'autre part, que le Conseil d'Etat a jugé que les dispositions de l'instruction du 1er octobre 1941 à laquelle un acte dit loi du 15 mars 1942, maintenu en vigueur à la suite de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, a donné valeur législative, ont une valeur législative et sont applicables à la taxe foncière pour autant qu'elles ne sont pas contraires à l'ordonnance du 7 janvier 1959, à la loi du 2 février 1968 et à la loi du 31 décembre 1973, il convenait de se référer, pour la mise en oeuvre de la méthode de l'appréciation directe, à la date du 1er août 1939 fixée par cette instruction ;
9. Considérant, toutefois, qu'il résulte des dispositions de l'article 1516 du code général des impôts, qui prévoient que les valeurs locatives des propriétés bâties et non bâties sont mises à jour suivant une procédure comportant la constatation annuelle des changements affectant ces propriétés, l'actualisation, tous les trois ans, des évaluations résultant de la précédente révision générale et l'exécution de révisions générales, que la date à laquelle il convient de se placer pour déterminer la valeur locative d'un immeuble est, quelle que soit la méthode d'évaluation retenue, celle de la dernière révision générale ; que la date de la dernière révision cadastrale a été fixée, en application des dispositions de l'article 1516 du code général des impôts, au 1er janvier 1970 par l'article 39 du décret du 28 novembre 1969 codifié à l'article 324 AK de l'annexe III au même code; que c'est, par suite, sans erreur de droit que la cour a jugé qu'il y avait lieu de se référer, pour la mise en oeuvre de la méthode d'appréciation directe, à la date du 1er janvier 1970 et non à celle du 1er août 1939 ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Lisieux Invest Hôtel n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ; que ses conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la SNC Lisieux Invest Hôtel est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SNC Lisieux Invest Hôtel et au ministre des finances et des comptes publics.