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03/04/2014 | FRANCE | N°358258

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 03 avril 2014, 358258


Vu la requête, enregistrée le 3 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association France nature environnement, dont le siège est 10, rue Barbier au Mans (72000), et par l'association Eau et rivières de Bretagne, dont le siège est Venelle de la caserne à Guingamp (22200) ; les associations France nature environnement et Eau et rivières de Bretagne demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, d'une part, le décret n° 2011-1257 du 10 octobre 2011 relatif aux programmes d'actions à mettre en oeuvre en vue de la pro

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Vu la requête, enregistrée le 3 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association France nature environnement, dont le siège est 10, rue Barbier au Mans (72000), et par l'association Eau et rivières de Bretagne, dont le siège est Venelle de la caserne à Guingamp (22200) ; les associations France nature environnement et Eau et rivières de Bretagne demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, d'une part, le décret n° 2011-1257 du 10 octobre 2011 relatif aux programmes d'actions à mettre en oeuvre en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole, d'autre part, la décision du 3 février 2012 par laquelle le ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement a rejeté leur recours gracieux contre ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu la directive 91/676/CEE du Conseil du 12 décembre 1991 ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie Roussel, auditeur,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

1. Considérant que le décret attaqué, qui modifie ou crée plusieurs articles réglementaires du code de l'environnement, a été pris pour compléter la transposition de la directive du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles ; qu'il définit, notamment, à l'article R. 211-81 du code de l'environnement, les mesures du programme d'actions national à mettre en oeuvre pour protéger les eaux de ce type de pollution ; que les associations requérantes demandent, dans le dernier état de leurs conclusions, l'annulation pour excès de pouvoir du 5° de l'article R. 211-81 ainsi que celle de l'article R. 211-81-5 du code de l'environnement, dans leur rédaction issue du décret attaqué, ainsi que de la décision rejetant leur recours gracieux contre ce décret ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. Considérant que le décret attaqué a pour objet la refonte de l'architecture des programmes d'actions destinés à protéger les eaux contre les nitrates d'origine agricole ; qu'il n'entre dans aucun des cas, prévus respectivement par les articles L. 512-5, L. 512-7 et L. 512-10 du code de l'environnement relatifs aux régimes d'autorisation, d'enregistrement et de déclaration des installations classées pour la protection de l'environnement, dans lesquels le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques doit être consulté ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'une telle consultation aurait été irrégulièrement omise doit être écarté ;

Sur la légalité interne du décret attaqué :

3. Considérant qu'en vertu de son article premier, la directive du Conseil du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles vise à : " - réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles, / - prévenir toute nouvelle pollution de ce type " ; que, par ailleurs, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'environnement : " I. - Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : / (...) 2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ; / 3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ; (...) " ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu de l'article R. 211-81 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue du décret attaqué, les mesures du programme d'actions national en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole comprennent notamment la limitation de la quantité maximale d'azote contenu dans les effluents d'élevage pouvant être épandue annuellement par exploitation, y compris les déjections des animaux eux-mêmes, ainsi que les modalités de calcul associées ; qu'aux termes du 5° de cet article : " cette quantité ne peut être supérieure à 170 kg d'azote par hectare de surface agricole utile " ; que les associations requérantes soutiennent que la modification, par le décret attaqué, du mode de calcul de ce plafond, jusque-là établi par hectare de surface agricole utile, déduction faite des surfaces où l'épandage est interdit, a eu pour effet de relever la quantité maximale d'azote pouvant être épandue annuellement par exploitation et, ce faisant, en " affaiblissant " le dispositif de lutte contre la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole, de méconnaître, dans cette mesure, les objectifs fixés par l'article 1er de la directive du 12 décembre 1991 ainsi que les dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement ;

5. Considérant, toutefois, que la mesure de la quantité maximale d'azote pouvant être épandue annuellement fixée par le décret attaqué, qui permet d'ailleurs l'harmonisation des règles françaises avec la mesure utilisée dans les autres Etats membres de l'Union européenne, est conforme aux dispositions du 2 de l'annexe III de la directive du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, qui dispose que " la quantité d'effluents d'élevage épandue annuellement y compris par les animaux eux-mêmes, ne dépasse pas une quantité donnée par hectare. Cette quantité donnée par hectare correspond à la quantité d'effluents contenant 170 kilogrammes d'azote " ; que, par ailleurs, le plafond d'épandage prévu par le 5° de l'article R. 211-81 du code de l'environnement, qui facilite le contrôle par les autorités compétentes du respect de la norme fixée, ne constitue que l'une des mesures du programme d'actions national pour la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole, énumérées par cet article ; qu'ainsi le moyen tiré de la méconnaissance de l'objectif de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau fixé par l'article L. 211-1 du code de l'environnement ne peut qu'être écarté ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que l'article R. 211-81 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue du décret attaqué, prévoit que le programme d'actions national comporte également : " 3° Les modalités de limitation de l'épandage des fertilisants azotés fondée sur un équilibre, pour chaque parcelle, entre les besoins prévisibles en azote des cultures et les apports en azote de toute nature, y compris l'azote de l'eau d'irrigation. ", ; qu'en retenant ainsi un principe d'équilibre de la fertilisation à la parcelle, il ne méconnaît pas les objectifs de la directive du 12 décembre 1991, dont le 1 de l'annexe III prévoit que les programmes d'actions comportent des règles concernant : " 3) la limitation de l'épandage des fertilisants, conformément aux bonnes pratiques agricoles et compte tenu des caractéristiques de la zone vulnérable concernée, notamment: / a) de l'état des sols, de leur composition et de leur pente; / b) des conditions climatiques, des précipitations et de l'irrigation; / c) de l'utilisation des sols et des pratiques agricoles, notamment des systèmes de rotation des cultures ; / et fondée sur un équilibre entre: / i) les besoins prévisibles en azote des cultures et ii) l'azote apporté aux cultures par le sol et les fertilisants correspondant à: / - la quantité d'azote présente dans le sol au moment où les cultures commencent à l'utiliser dans des proportions importantes (quantités restant à la fin de l'hiver), / - l'apport d'azote par la minéralisation nette des réserves d'azote organique dans le sol, / - les apports de composés azotés provenant des effluents d'élevage, / - les apports de composés azotés provenant des engrais chimiques et autres composés. " ; que si les requérantes soutiennent par ailleurs que la mise en oeuvre du principe d'équilibre de la fertilisation à la parcelle, en raison de son caractère complexe et difficilement contrôlable, " affaiblit " la lutte contre la pollution des eaux par les nitrates et méconnaît l'article L. 211-1 du code de l'environnement, un tel moyen ne peut qu'être écarté, dès lors que les dispositions attaquées de l'article R. 211-81 du code de l'environnement n'ont pas, par elles-mêmes, pour objet de définir les mesures que doit comporter le programme d'actions national ; qu'au soutien de leur moyen, les requérantes se bornent au demeurant à se prévaloir des réserves émises par l'Autorité environnementale dans son avis du 12 octobre 2011, postérieur au décret attaqué, sur le projet d'arrêté définissant le contenu même du programme national d'actions, qui sont en tout état de cause sans incidence sur la légalité du décret attaqué ;

7. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article R. 211-81-5, dans sa rédaction issue du décret attaqué : " Dans les cas de situations exceptionnelles, en particulier climatiques, le préfet de département peut déroger temporairement aux mesures prévues aux 1°, 2°, 6° et 7° du I de l'article R. 211-81 des programmes d'actions national et régional après avoir pris l'avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques. Il en informe les ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement et le préfet de région. " ;

8. Considérant, d'une part, qu'en prévoyant la possibilité de telles dérogations, dont la durée et le champ sont limités, les dispositions de l'article R. 211-81-5 issues du décret attaqué ne méconnaissent pas, par elles-mêmes, les objectifs de la directive du 12 décembre 1991 ; que, contrairement à ce qui est soutenu, la référence à des " situations exceptionnelles, en particulier climatiques ", dans lesquelles les autorités administratives pourraient se trouver dans l'obligation de prendre les mesures qu'impose la protection de l'ordre public et de la santé publique, permet de circonscrire avec une précision suffisante les cas dans lesquels des dérogations peuvent être mises en oeuvre ; qu'aucun principe ni aucune disposition ne font obstacle à ce que le pouvoir de déroger, pour une durée et un nombre de mesures limités, aux programmes d'actions soit confié au préfet de département;

9. Considérant, d'autre part, qu'à la date du décret attaqué, les décisions prévues par les dispositions contestées de l'article R. 211-81-5 relevaient des dispositions de l'article L. 120-1 du code de l'environnement, qui prévoient les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable, et dont le IV précisait que ces conditions ne s'appliquent pas " lorsque l'urgence justifiée par la protection de l'environnement, de la santé publique ou de l'ordre public ne permet pas l'organisation d'une procédure de participation du public " ; que les requérantes ne peuvent utilement contester, autrement que par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité, les modalités ainsi prévues par le législateur ; qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 7 de la Charte de l'environnement doit être écarté ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les associations France nature environnement et Eau et rivières de Bretagne ne sont pas fondées à demander l'annulation, pour excès de pouvoir, du décret du 10 octobre 2011 relatif aux programmes d'actions à mettre en oeuvre en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole, en tant qu'il modifie le 5° de l'article R. 211-81 ainsi que l'article R. 211-81-5 du code de l'environnement ; qu'il suit de là que leurs conclusions dirigées contre la décision rejetant leur recours gracieux contre ce décret, ainsi que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête des associations France nature environnement et Eau et rivières de Bretagne est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée aux associations France nature environnement et Eau et rivières de Bretagne et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Copie en sera donnée pour information au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 358258
Date de la décision : 03/04/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 avr. 2014, n° 358258
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie Roussel
Rapporteur public ?: M. Xavier de Lesquen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:358258.20140403
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