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12/03/2014 | FRANCE | N°359645

France | France, Conseil d'État, 8ème / 3ème ssr, 12 mars 2014, 359645


Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mai et 21 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le ministre délégué, chargé du budget ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11PA02999 du 27 mars 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur l'appel de la société MJA, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société de gestion Laborde, a, d'une part, annulé le jugement n° 0505524 du 4 janvier 2007 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il avait rejet

la demande de cette société tendant à la condamnation de l'Etat à l'inde...

Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mai et 21 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le ministre délégué, chargé du budget ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11PA02999 du 27 mars 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur l'appel de la société MJA, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société de gestion Laborde, a, d'une part, annulé le jugement n° 0505524 du 4 janvier 2007 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il avait rejeté la demande de cette société tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice subi par la société de gestion Laborde du fait de l'établissement de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de l'exercice clos en 1990, d'autre part, condamné l'Etat à verser à la société MJA, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société de gestion Laborde la somme de 609 796 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Maxime Boutron, auditeur,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de la société de gestion Laborde ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de deux vérifications de comptabilité de la société MM. A...etB..., aux droits de laquelle est venue la société de gestion Laborde, portant respectivement sur les années 1987 à 1989, puis 1990 à 1992, l'administration a notamment remis en cause l'allègement d'impôt sur les sociétés dont cette société avait bénéficié au titre de l'article 44 quater du code général des impôts alors en vigueur, au motif que son activité n'était pas au nombre de celles ouvrant droit à cet allègement ; qu'elle a mis en recouvrement les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant de ces contrôles ; qu'en particulier, elle a adressé à la société, le 22 janvier 1996, un commandement de payer les cotisations supplémentaires ainsi établies au titre de l'exercice clos en 1990 et procédé à la saisie conservatoire de ses comptes bancaires ; qu'en juin 1996, la société a été placée en liquidation judiciaire ; que les redressements litigieux ont tous été abandonnés en 2000 à la suite d'instances engagées par la société au motif que l'activité de la société entrait dans le champ d'application de l'article 44 quater susmentionné ; que le mandataire judiciaire de la société a demandé à l'Etat la réparation du préjudice subi par la société de gestion Laborde du fait des procédures d'établissement et de recouvrement des impôts litigieux ; qu'après avoir confirmé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il avait jugé que les services du recouvrement n'avaient pas commis de faute, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, par une décision du 30 mai 2011, a censuré l'arrêt de cette cour en tant qu'il concernait la responsabilité des services d'établissement de l'impôt et renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour administrative d'appel de Paris ; que celle-ci, par un arrêt du 27 mars 2012, dont le ministre délégué, chargé du budget, demande l'annulation, après avoir circonscrit l'étendue du litige à la mise en cause de la responsabilité de l'administration fiscale du fait de l'établissement des impositions supplémentaires mises à la charge de la société de gestion Laborde au titre de l'exercice clos en 1990, conformément aux dernières écritures de son liquidateur devant la cour, a condamné l'Etat à verser à la société MJA, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société de gestion Laborde, une somme de 609 796 euros en réparation du préjudice subi ; que, par la voie du pourvoi incident, la société MJA, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société de gestion Laborde, demande l'annulation du même arrêt en tant qu'il a limité l'indemnisation de son préjudice à un tiers ;

Sur le pourvoi principal du ministre délégué, chargé du budget :

2. Considérant qu'une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice ; qu'un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie ; que le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition ; qu'enfin, l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'après avoir estimé, par une appréciation souveraine des faits qui n'est pas entachée de dénaturation, que l'administration disposait, au plus tard, dès la fin de l'année 1994 de tous les éléments nécessaires pour porter une appréciation correcte sur la nature de l'activité de la société de gestion Laborde, la cour a pu en déduire, sans commettre d'erreur de droit, ni dénaturer les faits soumis à son examen, que l'administration avait commis une faute en poursuivant en 1996 le recouvrement des impositions mises à la charge de cette société au titre de l'exercice clos en 1990 et en n'en prononçant le dégrèvement qu'au cours de l'année 2000 durant l'instance contentieuse ; que la cour n'a ni dénaturé les faits soumis à son examen, ni entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique, en jugeant que la circonstance que la société avait tardé à saisir le juge de l'impôt de la contestation des cotisations litigieuses et à produire certaines pièces permettant de conforter la qualification de son activité, ne présentait pas le caractère d'une faute de nature à exonérer l'administration de sa responsabilité ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que si le Conseil d'Etat statuant au contentieux, par sa décision du 30 mars 2011, a jugé que les services de recouvrement de l'impôt n'avaient commis aucune faute, la cour, en statuant comme elle l'a fait, n'a pas reproché à l'administration une faute des services de recouvrement, mais une faute des services d'établissement de l'impôt, dont la conséquence légale a été la mise en recouvrement des impositions litigieuses et la saisie conservatoire des comptes bancaires de la société ; que la cour n'a, ainsi, nullement méconnu l'autorité de la chose jugée par le Conseil d'Etat dans sa décision précitée ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'après avoir relevé que la saisie conservatoire de ses comptes bancaires avait privé la société de gestion Laborde de ses liquidités et l'avait mise dans l'impossibilité de faire face au paiement de certaines de ses dettes venant à échéance, la contraignant, du moins pour partie, à se déclarer en cessation de paiement, la cour a pu en déduire, sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique et sans dénaturer les faits soumis à son examen, qu'il existait un lien direct de causalité entre la faute de l'administration et la mise en liquidation judiciaire de la société, quand bien même la société connaissait par ailleurs des difficultés économiques et financières dont la cour a d'ailleurs tenu compte en jugeant que la liquidation judiciaire de celle-ci n'était imputable au comportement de l'administration qu'à concurrence du tiers ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre délégué, chargé du budget, n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, qui est suffisamment motivé ;

Sur le pourvoi incident de la société MJA, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société de gestion Laborde :

7. Considérant que, contrairement à ce que soutient la société MJA, la cour, pour estimer que la liquidation judiciaire de la société était due à hauteur du tiers au comportement de l'administration, ne s'est pas fondée sur la circonstance que le passif fiscal représentait un tiers du passif total de la société au moment de sa mise en liquidation judiciaire ; qu'en estimant que les difficultés économiques et financières que la société connaissait par ailleurs étaient responsables pour les deux tiers de sa mise en liquidation judiciaire et en limitant, en conséquence, à un tiers l'indemnisation du préjudice subi par la société du fait de sa liquidation, la cour a porté sur les faits soumis à son examen une appréciation souveraine qui n'est pas entachée de dénaturation et n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'il suit de là que la société MJA, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société de gestion Laborde n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a limité son indemnisation au tiers du préjudice subi ;

Sur les conclusions de la société MJA, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société de gestion Laborde, présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société MJA au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi du ministre délégué, chargé du budget, et le pourvoi incident de la société MJA, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société de gestion Laborde, sont rejetés.

Article 2 : L'Etat versera à la société MJA, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société de gestion Laborde, une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à la société MJA, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société de gestion Laborde.


Synthèse
Formation : 8ème / 3ème ssr
Numéro d'arrêt : 359645
Date de la décision : 12/03/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - DIVERS - RESPONSABILITÉ DES SERVICES FISCAUX LORS DE L'EXÉCUTION D'OPÉRATIONS SE RATTACHANT AUX PROCÉDURES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT AYANT CONTRIBUÉ À LA MISE EN LIQUIDATION JUDICIAIRE DE LA SOCIÉTÉ - PARTAGE DE RESPONSABILITÉ ENTRE L'ETAT ET LA SOCIÉTÉ EN RAISON DES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES DE CETTE DERNIÈRE - EXISTENCE EN L'ESPÈCE - CONSÉQUENCE - CONDAMNATION DE L'ETAT À NE RÉPARER QUE LA FRACTION DU PRÉJUDICE IMPUTABLE À SA FAUTE.

19-01-06 Faute commise par les services fiscaux lors de l'établissement de l'impôt sur les sociétés ayant contribué à la mise en liquidation judiciaire de la société victime de cette faute. Compte tenu des difficultés économiques et financières de cette société, cette liquidation judiciaire n'était en l'espèce en lien direct avec le comportement de l'administration qu'à concurrence du tiers.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITÉ EN RAISON DES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS DES SERVICES PUBLICS - SERVICES ÉCONOMIQUES - SERVICES FISCAUX - RESPONSABILITÉ DES SERVICES FISCAUX LORS DE L'EXÉCUTION D'OPÉRATIONS SE RATTACHANT AUX PROCÉDURES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT AYANT CONTRIBUÉ À LA MISE EN LIQUIDATION JUDICIAIRE DE LA SOCIÉTÉ - PARTAGE DE RESPONSABILITÉ ENTRE L'ETAT ET LA SOCIÉTÉ EN RAISON DES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES DE CETTE DERNIÈRE - EXISTENCE EN L'ESPÈCE - CONSÉQUENCE - CONDAMNATION DE L'ETAT À NE RÉPARER QUE LA FRACTION DU PRÉJUDICE IMPUTABLE À SA FAUTE.

60-02-02-01 Faute commise par les services fiscaux lors de l'établissement de l'impôt sur les sociétés ayant contribué à la mise en liquidation judiciaire de la société victime de cette faute. Compte tenu des difficultés économiques et financières de cette société, cette liquidation judiciaire n'était en l'espèce en lien direct avec le comportement de l'administration qu'à concurrence du tiers.


Publications
Proposition de citation : CE, 12 mar. 2014, n° 359645
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Maxime Boutron
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert
Avocat(s) : SCP ODENT, POULET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:359645.20140312
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