Vu le mémoire, enregistré le 30 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la société Les laboratoires Servier, dont le siège est 50, rue Carnot à Suresnes (92284), en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; la société demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation du jugement n° 1211832 du 15 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 2 février 2012 par laquelle le directeur général de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a refusé de lui communiquer les données sources de deux études de la caisse relatives à la spécialité pharmaceutique Mediator, ainsi que de la décision implicite née du silence gardé pendant plus de deux mois à compter de la date de saisine de la commission d'accès aux documents administratifs, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du f) du 2° du I de l'article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1968 ;
Vu le code de procédure civile ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, notamment son article 6 ;
Vu l'arrêté du 1er décembre 2011 relatif à la mise en oeuvre du système national d'information interrégimes de l'assurance maladie ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Les laboratoires Servier ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
2. Considérant qu'il résulte des articles 1er et 2 de la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal que l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une mission de service public sont tenues de communiquer aux personnes qui en font la demande les documents administratifs qu'elles détiennent, définis comme les documents produits ou reçus dans le cadre de leur mission de service public, sous réserve des dispositions de l'article 6 de cette loi ; qu'aux termes du f) du 2° du I de cet article 6, ne sont pas communicables les documents dont la consultation ou la communication porterait atteinte " au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, eu égard à l'exigence de transparence imposée aux personnes mentionnées par la loi du 17 juillet 1978, que la seule circonstance que la communication d'un document administratif soit de nature à affecter les intérêts d'une partie à une procédure juridictionnelle, ou qu'un document ait été transmis à une juridiction dans le cadre d'une instance engagée devant elle, ne fait pas obstacle à la communication par les personnes précitées de ces documents ou des documents qui leur sont préparatoires ; qu'en revanche, pour assurer le respect tant du principe constitutionnel d'indépendance des juridictions, qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, résultant des articles 12, 15 et 16 de cette Déclaration, le législateur a pu exclure la communication des documents administratifs, sauf autorisation donnée par l'autorité judiciaire ou par la juridiction administrative compétente, dans l'hypothèse où cette communication risquerait d'empiéter sur les compétences et prérogatives de cette autorité ou de cette juridiction, auxquelles il appartient seules, dans le cadre des procédures engagées devant elles et en vertu des principes et des textes qui leur sont applicables, d'assurer le respect des droits de la défense et le caractère contradictoire de la procédure ; que, par suite, la société Les laboratoires Servier n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du f) du 2° du I de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 porteraient atteinte au principe du droit à un recours juridictionnel effectif non plus qu'au principe des droits de la défense et au principe du caractère contradictoire de la procédure qui en est le corollaire ; qu'elle n'est pas davantage fondée à soutenir que le législateur aurait méconnu la compétence qui lui est confiée par l'article 34 de la Constitution ;
4. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré par la société Les laboratoires Servier, à l'appui de son pourvoi en cassation, de ce que le f) du 2° du I de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être regardé comme non sérieux ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Les laboratoires Servier.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Les laboratoires Servier, à la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.