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04/12/2013 | FRANCE | N°361669

France | France, Conseil d'État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 04 décembre 2013, 361669


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 août et 2 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. A...B..., demeurant au ... ; M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10DA01183 du 24 mai 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0707374 du 30 juin 2010 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 20 avril 2007 du ministre du transport, de l'équipement,

du tourisme et de la mer autorisant son licenciement, d'autre part, à...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 août et 2 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. A...B..., demeurant au ... ; M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10DA01183 du 24 mai 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0707374 du 30 juin 2010 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 20 avril 2007 du ministre du transport, de l'équipement, du tourisme et de la mer autorisant son licenciement, d'autre part, à l'annulation de cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de la société Esterra la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Louis Dutheillet de Lamothe, Auditeur,

- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de M. B...et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Esterra ;

1. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'à l'effet de concourir à la mise en oeuvre de la protection ainsi instituée, l'article R. 436-4 du code du travail alors applicable, devenu l'article R. 2421-11, dispose que l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat " ;

Sur la légalité externe de l'autorisation de licenciement :

2. Considérant que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné ; qu'il implique que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance en temps utile de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation ; qu'il implique également de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation ; que, toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur ;

3. Considérant que, si le caractère contradictoire de l'enquête administrative implique de mettre à même le salarié de prendre connaissance, en temps utile, de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement ainsi que des éléments déterminants qui ont pu être recueillis par l'inspecteur du travail au cours de l'instruction de cette demande, il n'impose pas à l'administration de lui communiquer, de sa propre initiative ou dans tous les cas, l'ensemble de ces pièces et éléments ; que la cour administrative d'appel, en relevant, au vu des observations, écrites comme orales, faites par M. B... au cours de l'instruction de la demande d'autorisation de licenciement, que l'intéressé n'avait pas été privé de la possibilité de présenter utilement sa défense, a implicitement mais nécessairement considéré que M. B...avait été mis à même de prendre connaissance, en temps utile, de l'ensemble des pièces auxquelles il devait pouvoir accéder ; que, par suite, en retenant qu'à supposer même que, comme il le prétendait, M. B...n'aurait pas eu communication de certaines pièces du dossier, cette circonstance n'avait pas, en l'espèce, entaché la procédure d'irrégularité, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ;

Sur la légalité interne de l'autorisation de licenciement :

4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 512-2 du code du travail, alors en vigueur et désormais repris à l'article L. 2512-1 du code du travail : " Les dispositions de la présente section s'appliquent aux personnels de l'État, des régions, des départements et des communes comptant plus de 10 000 habitants ainsi qu'aux personnels des entreprises, des organismes et des établissements publics ou privés lorsque ces entreprises, organismes et établissements sont chargés de la gestion d'un service public (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 521-3 du même code : " Lorsque les personnels mentionnés à l'article L. 521-2 font usage du droit de grève, la cessation concertée du travail doit être précédée d'un préavis. / Le préavis émane de l'organisation ou d'une des organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national, dans la catégorie professionnelle ou dans l'entreprise, l'organisme ou le service intéressé. / Il précise les motifs du recours à la grève. / Le préavis doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève à l'autorité hiérarchique ou à la direction de l'établissement, de l'entreprise ou de l'organisme intéressé. Il fixe le lieu, la date et l'heure du début ainsi que la durée limitée ou non, de la grève envisagée/ Pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier " ;

5. Considérant que ces dispositions sont applicables dès lors que l'organisme en cause assure la gestion d'un service public, quelles que soient les modalités de dévolution du service ou de l'éventuelle rémunération du gestionnaire du service ; que, dès lors, la cour administrative d'appel de Douai n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les dispositions qui viennent d'être citées étaient applicables à la société Esterra, à qui la communauté urbaine de Lille avait confié la gestion du service public de collecte et de transport des déchets et ordures ménagères, quelle que soit la modalité de rémunération du service ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que la participation à un mouvement de cessation concertée du travail ne respectant pas le préavis de cinq jours prévus par les dispositions de l'article L. 521-3 du code du travail alors en vigueur ne constitue une faute que l'employeur est en droit de sanctionner qu'à la condition que les salariés aient conscience d'enfreindre ces dispositions ;

7. Considérant, en troisième lieu, que selon les énonciations de l'arrêt attaqué, M. B...a participé les 29 et 30 mai 2006 à un mouvement de grève, qui n'avait pas fait l'objet préalablement d'un préavis alors qu'il était informé de l'obligation de déposer un tel préavis avant le début de cette grève ; que la cour a pu, sans erreur de droit, juger que le préavis reçu par l'employeur le 3 mai 2006 pour une grève à compter du " 7 mars 2006 " n'avait pas eu pour effet de régulariser le mouvement déclenché le 2 mai, ce dont l'employeur avait informé le salarié dès le 5 mai, ainsi que la cour l'a relevé sans dénaturation ; qu'elle en a déduit, sans erreur de droit ni dénaturation des faits, que M. B...avait eu conscience de prendre part à un mouvement de grève irrégulier ; que la cour a également relevé qu'outre le fait d'avoir participé consciemment à un mouvement de grève illicite dans une entreprise chargée de la gestion d'un service public, M. B...avait, les 3, 4, 5 et 10 mai 2006, empêché les représentants de la direction de sortir de l'entreprise en se couchant devant les roues de leur véhicules, si bien que l'intervention de la police s'était révélée nécessaire pour permettre la sortie des représentants de la direction, avait tenu des propos agressifs et menaçants au responsable de la sécurité et en présence d'un huissier, et avait fait pénétrer dans les locaux de l'entreprise, sans autorisation et en forçant le passage contrôlé par les agents de sécurité, une personne étrangère à celle-ci ; qu'ayant relevé l'ensemble de ces faits sans dénaturation, la cour n'a pas commis d'erreur de qualification juridique en estimant que les faits reprochés à M. B...constituaient des fautes de nature à justifier son licenciement ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Esterra qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M.B..., au titre des mêmes dispositions, la somme de 3 000 euros à verser à la société Esterra ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. B...est rejeté.

Article 2 : M. B...versera à la société Esterra une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., à la société Esterra et à la ministre de l'écologie, du développement durable et l'énergie.


Synthèse
Formation : 4ème et 5ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 361669
Date de la décision : 04/12/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 déc. 2013, n° 361669
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Rapporteur public ?: M. Rémi Keller
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY ; SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:361669.20131204
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