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29/10/2013 | FRANCE | N°371233

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 29 octobre 2013, 371233


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 et 29 août 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le département du Gard, représenté par le président du conseil général ; le département demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1301830 du 26 juillet 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, sur la demande de l'agence d'architecture Chamard Fraudet, annulé la procédure de l'appel d'o

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 et 29 août 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le département du Gard, représenté par le président du conseil général ; le département demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1301830 du 26 juillet 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, sur la demande de l'agence d'architecture Chamard Fraudet, annulé la procédure de l'appel d'offres ouvert du marché de maîtrise d'oeuvre pour la mise en accessibilité des collèges publics et des bâtiments départementaux du département du Gard à compter de l'examen des offres et a enjoint au département, s'il entend poursuivre la procédure, de la reprendre au stade de l'examen des offres ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de l'agence d'architecture Chamard Fraudet ;

3°) de mettre à la charge de l'agence d'architecture Chamard Fraudet la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et le montant de la contribution à l'aide juridique prévue à l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du département du Gard ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. (...) " ; que, selon l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué (...) " ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 55 du code des marchés publics : " Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies (...) Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, les procédés de construction ; / 2° Les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou pour réaliser les prestations de services ; / 3° L'originalité de l'offre ; / 4° Les dispositions relatives aux conditions de travail en vigueur là où la prestation est réalisée ; / 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le candidat. (...) " ;

3. Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions citées ci-dessus que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nîmes qu'estimant anormalement basse l'offre présentée par l'agence d'architecture Chamard Fraudet en vue de l'attribution d'un marché de maîtrise d'oeuvre pour la mise en accessibilité aux personnes handicapées des collèges publics et des bâtiments départementaux, le département du Gard a invité ce candidat à lui donner les explications appropriées en application de l'article 55 du code des marchés publics ; qu'en se fondant sur la circonstance que le département n'avait, ce faisant, pas posé à l'agence d'architecture Chamard Fraudet de question spécifique sur " les modalités de réalisation de la prestation de service proposée " pour en déduire que les dispositions de l'article 55 du code des marchés publics avaient été méconnues, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a commis une erreur de droit ;

5. Considérant, d'autre part, que l'exigence de motivation de la décision rejetant une offre comme anormalement basse, posée par l'article 55 cité ci-dessus, a, notamment, pour objet de permettre à l'auteur de cette offre de contester utilement le rejet qui lui a été opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative ; que, par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence ; que, toutefois, un tel manquement n'est plus constitué si les motifs de cette décision ont été communiqués au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction ; que, par suite, en se fondant sur la circonstance que le rejet de l'offre de l'agence d'architecture Chamard Fraudet n'était pas motivé, sans rechercher si les motifs de cette décision n'avait pas été communiqués en cours d'instance par le département du Gard, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a également commis une erreur de droit ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le département du Gard est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

7. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par l'agence d'architecture Chamard Fraudet ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la mission de maîtrise d'oeuvre objet du marché en cause, d'une durée de sept ans, porte sur la mise en accessibilité de 52 bâtiments dont 46 établissements d'enseignement secondaire et présente de ce fait un certain degré de complexité ; que l'offre de l'agence d'architecture Chamard Fraudet est largement inférieure à l'estimation du département du Gard, à la moyenne des offres des candidats, à celle du candidat retenu ainsi qu'au barème indicatif pour des missions de ce type proposé par la mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques ; que pour justifier le prix proposé, l'agence d'architecture Chamard Fraudet se borne à mettre en avant sa longue expérience et le contexte économique difficile ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que le département du Gard n'a pas, en écartant l'offre de l'agence d'architecture Chamard Fraudet comme anormalement basse, commis une erreur manifeste d'appréciation ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande de l'agence d'architecture Chamard Fraudet doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre de ces mêmes dispositions par le département du Gard et à la société BETEM Languedoc Roussillon ; qu'enfin, il y a lieu de laisser la contribution pour l'aide juridique à la charge du département du Gard ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 26 juillet 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes est annulée.

Article 2 : La demande présentée par l'agence d'architecture Chamard Fraudet devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.

Article 3 : Les conclusions des parties présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi du département du Gard est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au département du Gard, à la société BETEM Languedoc Roussillon et à l'agence d'architecture Chamard Fraudet.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 371233
Date de la décision : 29/10/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - FORMATION DES CONTRATS ET MARCHÉS - FORMALITÉS DE PUBLICITÉ ET DE MISE EN CONCURRENCE - REJET DES OFFRES ANORMALEMENT BASSES (ART - 55 DU CMP) - 1) OBLIGATION POUR LE POUVOIR ADJUDICATEUR DE SOLLICITER PRÉALABLEMENT DU CANDIDAT TOUTES PRÉCISIONS ET JUSTIFICATIONS DE NATURE À EXPLIQUER LE PRIX PROPOSÉ - EXISTENCE - OBLIGATION DE LUI POSER - À CE TITRE - DES QUESTIONS SPÉCIFIQUES - ABSENCE - 2) CONTRÔLE DU JUGE DU RÉFÉRÉ PRÉCONTRACTUEL DE LA DÉCISION DE REJETER L'OFFRE POUR CE MOTIF - CONTRÔLE RESTREINT [RJ1] - 3) OBLIGATION DE MOTIVATION DE LA DÉCISION DE REJET - DÉFAUT - MANQUEMENT AUX OBLIGATIONS DE TRANSPARENCE ET DE MISE EN CONCURRENCE INVOCABLE DEVANT LE JUGE DU RÉFÉRÉ PRÉCONTRACTUEL - EXISTENCE - LIMITE - CAS OÙ LES MOTIFS DE LA DÉCISION ONT ÉTÉ COMMUNIQUÉS AU CANDIDAT ÉVINCÉ À LA DATE À LAQUELLE LE JUGE DES RÉFÉRÉS STATUE ET OÙ LE DÉLAI QUI S'EST ÉCOULÉ ENTRE CETTE COMMUNICATION ET LA DATE À LAQUELLE LE JUGE STATUE A ÉTÉ SUFFISANT POUR PERMETTRE À CE CANDIDAT DE CONTESTER UTILEMENT SON ÉVICTION.

39-02-005 1) Il résulte des dispositions de l'article 55 du code des marchés publics (CMP) que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques.,,,2) Le juge du référé précontractuel exerce un contrôle limité à l'erreur manifeste d'appréciation sur la décision du pouvoir adjudicateur de rejeter une offre comme anormalement basse en application de l'article 55 du code des marchés publics.,,,3) L'exigence de motivation de la décision rejetant une offre comme anormalement basse, posée par l'article 55, a, notamment, pour objet de permettre à l'auteur de cette offre de contester utilement le rejet qui lui a été opposé devant le juge du référé précontractuel. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Toutefois, un tel manquement n'est plus constitué si les motifs de cette décision ont été communiqués au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - PROCÉDURES D'URGENCE - REJET PAR LE POUVOIR ADJUDICATEUR D'UNE OFFRE ANORMALEMENT BASSE (ART - 55 DU CMP) - 1) CONTRÔLE DU JUGE DU RÉFÉRÉ PRÉCONTRACTUEL - CONTRÔLE RESTREINT [RJ1] - 2) OBLIGATION DE MOTIVATION DE LA DÉCISION DE REJET - DÉFAUT - MANQUEMENT AUX OBLIGATIONS DE TRANSPARENCE ET DE MISE EN CONCURRENCE INVOCABLE DEVANT LE JUGE DU RÉFÉRÉ PRÉCONTRACTUEL - EXISTENCE - LIMITE - CAS OÙ LES MOTIFS DE LA DÉCISION ONT ÉTÉ COMMUNIQUÉS AU CANDIDAT ÉVINCÉ À LA DATE À LAQUELLE LE JUGE DES RÉFÉRÉS STATUE ET OÙ LE DÉLAI QUI S'EST ÉCOULÉ ENTRE CETTE COMMUNICATION ET LA DATE À LAQUELLE LE JUGE STATUE A ÉTÉ SUFFISANT POUR PERMETTRE À CE CANDIDAT DE CONTESTER UTILEMENT SON ÉVICTION.

39-08-015-01 1) Le juge du référé précontractuel exerce un contrôle limité à l'erreur manifeste d'appréciation sur la décision du pouvoir adjudicateur de rejeter une offre comme anormalement basse en application de l'article 55 du code des marchés publics (CMP).,,,2) L'exigence de motivation de la décision rejetant une offre comme anormalement basse, posée par l'article 55, a, notamment, pour objet de permettre à l'auteur de cette offre de contester utilement le rejet qui lui a été opposé devant le juge du référé précontractuel. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Toutefois, un tel manquement n'est plus constitué si les motifs de cette décision ont été communiqués au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.


Références :

[RJ1]

Cf., sur l'existence d'un tel degré de contrôle par le juge de plein contentieux du référé précontractuel, CE, 21 mai 2010, Commune d'Ajaccio, n° 333737, T. p. 849.

Rappr., sur le contrôle restreint exercé sur le refus du pouvoir adjudicateur de rejeter une offre comme anormalement basse, CE, 1er mars 2012, Département de la Corse du Sud, n° 354159, à mentionner aux Tables ;

sur le contrôle restreint exercé en excès de pouvoir sur la décision de la personne publique d'écarter une offre anormalement basse, CE, 15 avril 1996, Commune de Poindimie, n° 133171, inédite au Recueil ;

CE, 29 janvier 2003, Département d'Ille-et-Vilaine, n° 208096, inédite au Recueil.


Publications
Proposition de citation : CE, 29 oct. 2013, n° 371233
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François Lelièvre
Rapporteur public ?: M. Bertrand Dacosta
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:371233.20131029
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