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04/10/2013 | FRANCE | N°355097

France | France, Conseil d'État, 1ère / 6ème ssr, 04 octobre 2013, 355097


Vu la requête, enregistrée le 21 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Les laboratoires Servier, dont le siège est 50, rue Carnot à Suresnes (92284) ; la société requérante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) du 19 octobre 2011 en tant qu'elle a fixé à 70 % le taux de participation des assurés pour la spécialité Protelos à compter du 1er janvier 2012 ;

2°) de mettre à la charge de l'E

tat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice...

Vu la requête, enregistrée le 21 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Les laboratoires Servier, dont le siège est 50, rue Carnot à Suresnes (92284) ; la société requérante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) du 19 octobre 2011 en tant qu'elle a fixé à 70 % le taux de participation des assurés pour la spécialité Protelos à compter du 1er janvier 2012 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 1er ;

Vu la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Gaël Raimbault, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Les Laboratoires Servier et à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie ;

1. Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions du code de la sécurité sociale et notamment de ses articles L. 161-37 et R. 163-15 qu'une commission de la Haute Autorité de santé, dénommée commission de la transparence, est chargée de donner des avis sur les spécialités pharmaceutiques, en vue de procéder à leur inscription ou à leur réinscription sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux mentionnée à l'article L. 162-17 du même code et d'en définir les conditions de remboursement ; qu'aux termes du 6° de l'article R.163-18 de ce code, cet avis porte notamment sur " leur classement au regard de la participation des assurés aux frais d'acquisition dans trois catégories déterminées selon que le service médical rendu est soit majeur ou important, soit modéré, soit faible " ; qu'en application de ces dispositions, la commission de la transparence a, par un avis du 11 mai 2011 rendu dans le cadre de la procédure de réinscription quinquennale de la spécialité Protelos sur la liste des spécialités remboursables, recommandé que cette spécialité soit classée dans la catégorie des spécialités dont le service médical rendu est modéré ;

2. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article R. 322-1 du code de la sécurité sociale : " La participation de l'assuré prévue au I de l'article L. 322-2 est fixée par le conseil de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie dans les limites suivantes : / (...) 6° De 70 à 75 % pour les médicaments principalement destinés au traitement des troubles ou affections sans caractère habituel de gravité et pour les médicaments dont le service médical rendu, tel que défini au I de l'article R. 163-3 a été classé comme modéré en application du 6° de l'article R. 163-18 ; (...) " ; que l'article R. 322-9-4 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, disposait que : " Si, dans un délai de deux mois à compter de l'entrée en vigueur d'une modification des limites de taux de participation de l'assuré mentionnées à l'article R. 322-1, le conseil de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie n'a pas fixé le taux de la participation de l'assuré dans les limites ainsi modifiées, le taux applicable est égal soit à la limite minimale si le taux fixé antérieurement lui est inférieur, soit à la limite maximale si le taux fixé antérieurement lui est supérieur " ; que le conseil de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) n'ayant pas, à la date de la décision litigieuse, fixé le taux de la participation de l'assuré au sein de la fourchette ainsi définie, il résulte de ces dispositions que le taux applicable était alors de 70% ;

3. Considérant qu'aux termes du I de l'article R. 163-13 du code de la sécurité sociale : " (...) Le directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie informe l'entreprise qui exploite un médicament inscrit sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 de son intention de modifier le taux de participation de l'assuré aux frais d'acquisition de ce médicament lorsque cette modification résulte d'un changement dans l'appréciation du niveau de service médical rendu par le produit. (...) / (...) l'entreprise qui exploite le médicament peut présenter des observations écrites ou demander à être entendue par la commission prévue à l'article R. 163-15, dans le mois suivant réception de cette information " ; qu'en application des dispositions précitées et de l'avis de la commission de la transparence mentionné ci-dessus, le directeur général de l'UNCAM a averti la société Les laboratoires Servier de son intention d'appliquer un taux de participation des assurés de 70 % à la spécialité Protelos à compter du 1er janvier 2012 ; que le laboratoire Servier a alors demandé à être entendu par la commission de la transparence, en application des dispositions de l'article R. 163-13 du même code ; que cette audition a eu lieu le 21 septembre 2011 et a donné lieu à un nouvel avis du même jour, dont le contenu reprend celui de l'avis rendu le 11 mai précédent ; que le directeur général de l'UNCAM a décidé, le 11 octobre 2011, d'appliquer ce taux de 70 % à la spécialité Protelos à compter du 1er janvier 2012 ; que la société requérante conteste cette décision ;

Sur les moyens tirés de la régularité de la procédure suivie devant la commission de la transparence :

4. Considérant, en premier lieu, que s'il est, d'une part, soutenu que la convocation des membres de la commission de la transparence n'aurait pas respecté les dispositions en vigueur, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ; que, d'autre part, aux termes de l'article R. 163-15 du code de la sécurité sociale : " La commission de la transparence comprend : / (...) 2° Six membres suppléants, nommés dans les mêmes conditions que les membres titulaires, qui assistent aux séances avec voix consultative (...) " ; qu'ainsi, la circonstance que des membres suppléants auraient assisté aux séances de la commission de la transparence ne saurait entacher son avis d'irrégularité ;

5. Considérant, en second lieu, que le règlement intérieur de cette commission prévoit que, lorsque le distributeur de la spécialité pharmaceutique objet de l'avis en cours d'élaboration a demandé à être entendu, la délibération et le vote ont lieu après cette audition ; qu'il découle de ces dispositions que des positions publiquement prises par les membres de la commission antérieurement à cette audition sont de nature à vicier l'avis émis ; que si le requérant soutient que le site d'information " Impact santé " a rapporté les déclarations faites par le président de la commission le 12 septembre 2011, ce dernier a seulement entendu, par ses propos, rappeler les règles de procédure applicables à la fixation du taux de participation des assurés, sans prendre position sur l'avis qui serait émis postérieurement à l'audition ; qu'ainsi, la circonstance qu'il ait tenu ces propos avant de participer à la réunion n'a pas, par elle-même, entraîné une méconnaissance des dispositions du règlement intérieur de la commission, non plus que, en tout état de cause, d'un principe de respect du caractère contradictoire de la procédure qui découlerait de l'article R. 163-13 du code de la sécurité sociale ;

Sur l'insuffisance de motivation :

6. Considérant que le point 2 de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes d'assurance-maladie dispose que : " Toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d'assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables (...) " ; qu'en se référant dans le courrier accompagnant le projet de décision à l'avis rendu par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé le 11 mai 2011, lui-même communiqué à la société fabricant la spécialité, selon lequel au vu de son service médical rendu celle-ci ne devrait être prise en charge par l'assurance-maladie qu'à hauteur de 30 %, l'auteur de la décision n'a, en tout état de cause, pas méconnu la règle de motivation posée ;

Sur l'erreur de droit :

7. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions du code de la sécurité sociale rappelées ci-dessus que, dès lors que la commission de la transparence avait classé le service médical rendu par le Protelos comme " modéré ", le directeur général de l'UNCAM était tenu, en application des dispositions précitées des articles R. 322-1 et R. 322-9-4 du code de la sécurité sociale, de lui attribuer un taux de participation des assurés de 70 % ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'il se serait cru à tort lié par l'avis de la commission de la transparence ne peut qu'être écarté ;

Sur les erreurs manifestes d'appréciation, la méconnaissance du principe d'égalité et l'atteinte à la concurrence :

8. Considérant qu'aux termes des dispositions du I de l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale : " Les médicaments sont inscrits sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 au vu de l'appréciation du service médical rendu qu'ils apportent indication par indication. Cette appréciation prend en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique (...) " ; qu'en application des articles R. 163-18 et R. 322-1 du code de la sécurité social précités, l'appréciation du service médical rendu constitue le principal élément conduisant à la fixation du taux de participation des assurés ;

9. Considérant, en premier lieu, que s'il est soutenu que la spécialité Protelos constituerait le traitement de l'ostéoporose le plus efficace parmi les diverses spécialités disponibles et notamment par rapport aux biphosphonates, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de la circonstance invoquée qu'une étude aurait démontré que le ranélate de strontium, principe actif du Protelos, aurait une meilleure efficacité sur la microarchitecture osseuse que ses concurrents, que la commission de la transparence aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant, dans ses avis des 11 mai et 21 septembre 2011, que ces différentes spécialités présentaient une efficacité comparable ;

10. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le Protelos présente un profil de risque plus dangereux que ceux de ses concurrents, d'une part, du fait du risque d'événements thromboemboliques veineux, dont l'incidence n'a pas diminué malgré la surveillance pharmacologique dont la spécialité a fait l'objet, et, d'autre part et surtout, du fait du risque de " syndrome de DRESS ", réaction allergique sévère pouvant conduire au décès, imprévisible, dont aucun facteur de risque n'a été identifié et dont l'incidence n'a pu être diminuée par la modification des précautions d'emploi qui figurent dans le résumé des caractéristiques du produit ; que, contrairement à ce qui est soutenu, ce dernier risque a été identifié postérieurement à l'avis de la commission de la transparence émis en 2005, lors de la mise sur le marché du Protelos ; que, par suite, en estimant que le service médical rendu par cette spécialité devait être regardé comme " modéré " et non plus comme " important ", eu égard au rapport entre son efficacité et ses effets indésirables, ainsi qu'à sa place dans la stratégie thérapeutique de lutte contre l'ostéoporose, la commission de la transparence n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ;

11. Considérant, en troisième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la circonstance que la commission de la transparence se soit prononcée au vu des seules études disponibles entacherait son avis d'erreur manifeste d'appréciation ;

12. Considérant, en quatrième lieu, que le respect du principe d'égalité devant la loi et les règles de concurrence imposaient à la commission de la transparence de s'assurer que les différences pouvant exister dans son appréciation du service médical rendu par des spécialités directement substituables compte tenu de leur place dans la stratégie thérapeutique ne soient pas manifestement disproportionnées au regard des motifs susceptibles de les justifier ; que, toutefois, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la commission de la transparence n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en déterminant le service médical rendu applicable à la spécialité Protelos ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des éléments produits par la société requérante, que les biphosphonates, non plus que la spécialité Evista, aient présenté des risques similaires à ceux du Protelos qui auraient justifié la même appréciation du service médical rendu ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté ; qu'il ne peut qu'en être de même, en tout état de cause, du moyen tiré, par voie de conséquence, de la violation de l'article L. 420-2 du code de commerce ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision du directeur général de l'UNCAM, qui tire les conséquences de l'avis de la commission de la transparence en attribuant à la spécialité Protelos un taux de participation des assurés de 70 %, n'est pas non plus entachée d'erreur manifeste d'appréciation et n'a méconnu ni le principe d'égalité, ni les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Les laboratoires Servier doit être rejetée, y compris, l'Etat n'étant pas partie à l'instance, ses conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de ce dernier sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre sur ce même fondement à la charge de la société Les laboratoires Servier le versement à l'UNCAM d'une somme de 3 000 euros ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Les laboratoires Servier est rejetée.

Article 2 : La société Les laboratoires Servier versera une somme de 3 000 euros à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Les laboratoires Servier et à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie.

Copie en sera adressée pour information à la ministre des affaires sociales et de la santé et à la Haute Autorité de santé.


Synthèse
Formation : 1ère / 6ème ssr
Numéro d'arrêt : 355097
Date de la décision : 04/10/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 oct. 2013, n° 355097
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Gaël Raimbault
Rapporteur public ?: Mme Maud Vialettes
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP BARADUC, DUHAMEL

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:355097.20131004
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