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02/10/2013 | FRANCE | N°368900

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 02 octobre 2013, 368900


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 mai et 10 juin 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le département de Lot-et-Garonne, représenté par le président du conseil général ; le département de Lot-et-Garonne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1301410 du 13 mai 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, en tant que, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, il a, à la demande de la société Camineo, annulé la procédure de

passation du marché lancé par le département de Lot-et-Garonne ayant pour o...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 mai et 10 juin 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le département de Lot-et-Garonne, représenté par le président du conseil général ; le département de Lot-et-Garonne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1301410 du 13 mai 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, en tant que, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, il a, à la demande de la société Camineo, annulé la procédure de passation du marché lancé par le département de Lot-et-Garonne ayant pour objet la création d'une application numérique mobile de découverte du patrimoine naturel et bâti ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Camineo ;

3°) de mettre à la charge de la société Camineo le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de la propriété intellectuelle ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Natacha Chicot, Auditeur,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Ricard, avocat du département de Lot-et-Garonne et à la SCP Odent, Poulet, avocat de la société Camineo ;

1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative que le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il délègue peut être saisi, avant la conclusion d'un contrat de commande publique ou de délégation de service public, d'un manquement, par le pouvoir adjudicateur, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 8 février 2013, le département de Lot-et-Garonne a lancé une consultation, selon la procédure adaptée prévue par l'article 28 du code des marchés publics, en vue de la passation d'un marché ayant pour objet la création d'une application numérique mobile de découverte du patrimoine naturel et bâti ; que, par un courrier du 11 avril 2013, le département a informé la société Camineo que son offre était classée à la troisième place et que le marché était attribué à la société GMT éditions ; que le département de Lot-et-Garonne demande l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux du 13 mai 2013 en tant qu'elle annule la procédure de passation du marché ;

3. Considérant qu'aux termes du III de l'article 53 du code des marchés publics : " Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. Les autres offres sont classées par ordre décroissant. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions, qui sont applicables tant aux procédures formalisées qu'à la procédure adaptée, que le pouvoir adjudicateur est tenu de rejeter les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables ;

4. Considérant que le département de Lot-et-Garonne soutenait, devant le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, que l'offre de la société Camineo était irrégulière et que cette société, dont l'offre devait être rejetée, ne pouvait donc, en tout état de cause, avoir été lésée, au stade de l'examen des offres, par les manquements qu'elle invoquait ; qu'en écartant ce moyen au seul motif que l'offre de la société Camineo avait été examinée et classée, alors qu'une telle circonstance ne peut faire obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur se prévale de l'irrégularité de cette offre devant le juge du référé précontractuel, le juge des référés a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'ordonnance attaquée doit être annulée en tant qu'elle a annulé la procédure de passation du marché en cause ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de statuer, dans cette mesure, au titre de la procédure de référé engagée par la société Camineo ;

6. Considérant qu'un candidat dont la candidature ou l'offre est irrégulière n'est pas susceptible d'être lésé par les manquements qu'il invoque sauf si cette irrégularité est le résultat du manquement qu'il dénonce ; qu'ainsi qu'il a été dit, le département de Lot-et-Garonne peut se prévaloir de ce que l'offre de la société Camineo serait irrégulière et de ce que cette société ne pourrait dès lors, en tout état de cause, avoir été lésée, au stade de l'examen des offres, par les manquements qu'elle invoque, alors même que l'offre de la société a été classée à l'issue de la procédure de passation du marché et rejetée pour un autre motif ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'offre présentée par la société Camineo ne respecte pas les prescriptions des articles 5.1 et suivants du cahier des charges de la consultation qui imposent la cession, au département de Lot-et-Garonne et au comité départemental du tourisme de Lot-et-Garonne, à titre exclusif, des droits de propriété intellectuelle attachés à l'application objet du marché ; qu'une telle obligation s'impose ainsi clairement aux candidats, sans qu'il puisse être utilement soutenu qu'elle ne constitue pas un critère de sélection des offres ;

8. Considérant que la société Camineo soutient toutefois que la méconnaissance de ces prescriptions ne peut conduire à regarder son offre comme irrégulière, dès lors que de telles prescriptions méconnaissent le principe de libre accès à la commande publique, qu'elles sont contraires aux dispositions de l'article L. 131-1 du code de propriété intellectuelle, et que le cahier des charges de la consultation est entaché, sur ce point, d'une contradiction ;

9. Considérant, en premier lieu, que le département a pu légalement choisir, eu égard à la nature de son besoin, de disposer, à titre exclusif, de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés à l'application en cause ; qu'il n'a, ce faisant, imposé aucune contrainte technique susceptible de porter atteinte au principe de libre accès à la commande publique ; que, contrairement à ce que soutient la société Camineo, le choix du département de Lot-et-Garonne ne conduisait pas à exclure les offres proposant des applications conçues à partir de logiciels libres, dès lors que la cession des droits de propriété intellectuelle porte sur la seule application numérique ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que la méconnaissance de l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle, qui est relatif aux conditions de la transmission des droits de l'auteur, ne peut en tout état de cause être utilement alléguée pour contester la légalité des articles 5.1 et suivants du cahier des charges de la consultation, qui ne constituent pas l'acte de cession des droits de propriété intellectuelle ;

11. Considérant, en troisième lieu, que si la société Camineo soutient que les prescriptions du cahier des charges sont entachées de contradiction, elle n'apporte, à l'appui de ce moyen, aucune précision permettant d'en apprécier le bien fondé ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'offre de la société Camineo est irrégulière et que, ainsi que le soutient le département, celle-ci n'est pas susceptible, en l'espèce, d'avoir été lésée et ne risque pas d'être lésée, fût-ce de façon indirecte, par les manquements qu'elle invoque, qui ne sont pas à l'origine de l'irrégularité de son offre ; qu'ainsi, la demande de la société Camineo ne peut qu'être rejetée ;

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du département de Lot-et-Garonne qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, au titre des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société Camineo la somme de 4 500 euros à verser au département de Lot-et-Garonne au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, tant devant le tribunal administratif de Bordeaux que devant le Conseil d'Etat ainsi que la somme de 1 500 euros à verser à la société GMT éditions au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens devant le tribunal administratif de Bordeaux ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux en date du 13 mai 2013 est annulée en tant qu'elle annule la procédure de passation du marché lancé par le département de Lot-et-Garonne en vue de la création d'une application numérique mobile de découverte du patrimoine naturel et bâti.

Article 2 : La demande présentée par la société Camineo devant le tribunal administratif de Bordeaux sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du même code sont rejetées.

Article 3 : La société Camineo versera au département de Lot-et-Garonne la somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que la somme de 1 500 euros à la société GMT éditions au titre des mêmes dispositions.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au département de Lot-et-Garonne, à la société Camineo et à la société GMT éditions.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 368900
Date de la décision : 02/10/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - PROCÉDURES D'URGENCE - 1) CONTRÔLE DU JUGE - OBLIGATIONS IMPOSÉES AUX CANDIDATS - ATTEINTE PORTÉE AUX PRINCIPES ET RÈGLES DE LA COMMANDE PUBLIQUE - CONTRÔLE NORMAL - 2) ESPÈCE.

39-08-015-01 1) Le juge du référé précontractuel exerce un contrôle normal sur l'atteinte que sont susceptibles de porter aux principes et règles de la commande publique les obligations imposées par le pouvoir adjudicateur aux candidats.,,,2) En l'espèce, pas de méconnaissance du principe de libre accès à la commande publique par le pouvoir adjudicateur à avoir prévu, eu égard à la nature de son besoin, que les candidats s'engagent à lui céder l'ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés à l'application objet du marché.

PROCÉDURE - PROCÉDURES DE RÉFÉRÉ AUTRES QUE CELLES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - PROCÉDURE PROPRE À LA PASSATION DES CONTRATS ET MARCHÉS - 1) CONTRÔLE DU JUGE DU RÉFÉRÉ PRÉCONTRACTUEL - OBLIGATIONS IMPOSÉES AUX CANDIDATS - ATTEINTE PORTÉE AUX PRINCIPES ET RÈGLES DE LA COMMANDE PUBLIQUE - CONTRÔLE NORMAL - 2) ESPÈCE.

54-03-05 1) Le juge du référé précontractuel exerce un contrôle normal sur l'atteinte que sont susceptibles de porter aux principes et règles de la commande publique les obligations imposées par le pouvoir adjudicateur aux candidats.,,,2) En l'espèce, pas de méconnaissance du principe de libre accès à la commande publique par le pouvoir adjudicateur à avoir prévu, eu égard à la nature de son besoin, que les candidats s'engagent à lui céder l'ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés à l'application objet du marché.


Publications
Proposition de citation : CE, 02 oct. 2013, n° 368900
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Natacha Chicot
Rapporteur public ?: M. Bertrand Dacosta
Avocat(s) : RICARD ; SCP ODENT, POULET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:368900.20131002
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