La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/09/2013 | FRANCE | N°348587

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 25 septembre 2013, 348587


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 avril et 18 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SARL Safran Port Edouard Herriot, dont le siège est rue de Dôle, Port de Lyon Edouard Herriot à Lyon (69007), représentée par son gérant ; elle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09LY00848 du 17 février 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0805086 du 5 février 2009 par lequel le tribunal administratif de Lyon, à

la demande de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), a ordonné son expulsi...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 avril et 18 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SARL Safran Port Edouard Herriot, dont le siège est rue de Dôle, Port de Lyon Edouard Herriot à Lyon (69007), représentée par son gérant ; elle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09LY00848 du 17 février 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0805086 du 5 février 2009 par lequel le tribunal administratif de Lyon, à la demande de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), a ordonné son expulsion de l'emplacement qu'elle occupe dans le port Edouard Herriot de Lyon, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de deux mois, et l'a condamnée à verser à la CNR la somme de 58 068,99 euros d'indemnités d'occupation ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la CNR la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du domaine de l'Etat ;

Vu le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la SARL Safran Port Edouard Herriot et à la SCP Monod, Colin, avocat de la compagnie nationale du Rhône ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une convention du 27 mai 1935, approuvée par décret du 27 novembre 1937, l'Etat a concédé à la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) la gestion et l'exploitation du port Edouard Herriot à Lyon ; que, par un contrat du 5 octobre 1998, la CNR a accordé pour une durée de 25 ans à la société Safran Lyon Edouard Herriot une autorisation, constitutive de droit réel, d'occuper un terrain d'une superficie d'environ 3 000 m², situé rue de Dole dans l'enceinte de ce port, afin d'y édifier un restaurant interentreprises, l'exploitation de celui-ci étant confié à un tiers ; que, par un jugement du 10 octobre 2002, le tribunal de commerce de Lyon a placé cette société en liquidation judiciaire ; que, par deux ordonnances en date du 14 novembre 2002, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de cette société a autorisé le liquidateur judiciaire à céder la construction à usage de restaurant, le droit d'occupation des lieux ainsi que les droits réels correspondants à M. A...et à Mlle B...ou à toute société qu'ils constitueraient ; que la SARL Safran Port Edouard Herriot, constituée par M. A...et MlleB..., occupe le terrain depuis décembre 2002 ; que le 6 août 2008, la CNR a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à l'expulsion de la société ainsi qu'à sa condamnation à lui verser des indemnités au titre de cette occupation ; que, par un arrêt du 17 février 2011, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté la requête de la société tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 février 2009 faisant droit à cette demande ; qu'eu égard aux moyens dont le Conseil d'Etat est saisi, le pourvoi de la SARL Safran Port Edouard Herriot doit être regardé comme dirigé contre cet arrêt en tant qu'il porte sur la demande d'expulsion présentée par la CNR ;

2. Considérant, en premier lieu, que, lorsque le juge administratif est saisi d'une demande tendant à l'expulsion d'un occupant d'une dépendance appartenant à une personne publique, il lui incombe, pour déterminer si la juridiction administrative est compétente pour se prononcer sur ces conclusions, de vérifier que cette dépendance relève du domaine public à la date à laquelle il statue ; qu'à cette fin, il lui appartient de rechercher si cette dépendance a été incorporée au domaine public, en vertu des règles applicables à la date de l'incorporation, et, si tel est le cas, de vérifier en outre qu'à la date à laquelle il se prononce, aucune disposition législative ou, au vu des éléments qui lui sont soumis, aucune décision prise par l'autorité compétente n'a procédé à son déclassement ;

3. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, pour se prononcer sur le moyen tiré de ce que le tribunal administratif de Lyon avait à tort reconnu la compétence de la juridiction administrative pour statuer sur la demande dont il avait été saisi le 6 août 2008 par la Compagnie Nationale du Rhône, la cour a à bon droit retenu le 5 février 2009, date de lecture du jugement du tribunal ;

4. Considérant que la cour a souverainement relevé que les terrains occupés par la société étaient compris dans le périmètre concédé par l'Etat à la CNR, bordaient la darse n° 2 du port Edouard Herriot à Lyon et que leur situation les destinait à concourir aux activités de manutention et de logistique nécessaires à l'activité du port fluvial ; qu'eu égard à ces motifs, la cour a nécessairement estimé que cette parcelle constituait l'un des éléments de l'organisation d'ensemble du port Edouard Herriot, concourant au même titre que les autres parties du port à l'utilité générale qui a déterminé l'affectation des terrains du port et leur concession par l'Etat à la CNR ; qu'en jugeant que cette parcelle appartenait au domaine public fluvial de l'Etat, la cour n'a pas commis d'erreur de droit dès lors que, avant le 1er juillet 2006, date d'entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques, la parcelle en litige relevait, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, du domaine public ; qu'est sans incidence le fait que la cour a mentionné à tort les dispositions des articles L. 2111-7 et L. 2111-10 du code général de la propriété des personnes publiques, lesquelles n'étaient pas applicables à la date d'incorporation de la dépendance en cause dans le domaine public, dès lors que ces dispositions reprennent en substance l'état du droit en vigueur lors de cette incorporation ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 34-2 du code du domaine de l'Etat, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les droits, ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier ne peuvent être cédés, (...), pour la durée de validité du titre restant à courir, (...), qu'à une personne agréée par l'autorité compétente, en vue d'une utilisation compatible avec l'affectation du domaine public occupé. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 57-7 du même code alors en vigueur : " I. - Préalablement à la signature de tout contrat ayant pour objet, (...), la transmission (...), du droit réel qui a été conféré par un titre d'occupation du domaine public en cours de validité, la personne physique ou morale qui, par l'effet de ce contrat, se trouvera totalement ou partiellement substituée au titulaire de ce titre doit être agréée par l'autorité qui l'a délivré.(...)/ II. - La demande d'agrément, qui est adressée à cette autorité par pli recommandé avec demande d'avis de réception postal comporte : 1° Les nom, prénoms, profession, nationalité et domicile de demandeur ou, si la demande émane d'une personne morale, les précisions suivantes : nature, dénomination, siège social et objet de la personne morale ainsi que les nom, prénoms, qualité, pouvoirs du signataire de la demande et, le cas échéant, du ou des représentants habilités auprès de l'administration ; 2° Les documents nécessaires à l'identification de l'immeuble concerné par la cession ou la transmission envisagée ainsi que du titulaire actuel sur cet immeuble du droit réel conféré par le titre d'occupation du domaine public ; 3° Des justifications de la capacité technique et financière du demandeur à respecter, pour ce qui concerne l'immeuble en cause, les conditions auxquelles le titre d'occupation du domaine public a conféré un droit réel ; 4° Une copie du projet de contrat de cession ou de transmission totale ou partielle du droit réel (...) ; 5° L'engagement de payer la redevance domaniale correspondant au droit réel cédé.(...) ; (...) III. - Le silence gardé pendant un délai de trois mois à compter de la date de l'avis de réception de la demande par l'autorité à laquelle elle a été adressée vaut agrément de la cession du droit réel aux conditions convenues entre les parties. " ; que l'article 7 du cahier des conditions générales d'amodiation des terrains des ports industriels concédés à la CNR et l'article 14-3 du cahier qui s'y est substitué à compter de 2003 prévoient qu'un amodiataire ne peut céder son droit sans un agrément préalable de la CNR ;

6. Considérant, d'une part, que la cour a relevé que, si la CNR avait été informée que le tribunal de commerce avait autorisé, dans le cadre de la liquidation de la société Safran Lyon Edouard Herriot, la reprise par M. A...et Mlle B...ou toute personne morale qui leur succéderait, du droit d'occuper et d'exploiter la parcelle litigieuse, pour la durée restant à courir du contrat du 5 octobre 1998, elle n'avait été saisie d'aucune demande d'agrément des deux cessionnaires ni de la SARL Safran Port Edouard Herriot, nouvellement constituée ; qu'en statuant ainsi, la cour n'a dénaturé ni la lettre adressée le 8 octobre 2002 par M. A...à la CNR, non conforme aux prescriptions des dispositions précitées du II de l'article R. 57-7 du code du domaine de l'Etat, ni le courrier électronique adressé le 10 janvier 2003 au notaire chargé de préparer l'acte de cession, par lequel la CNR déclarait ne pas s'opposer à la cession des éléments du fonds de commerce, ni aucune pièce du dossier qui lui était soumis ;

7. Considérant, d'autre part, que le moyen tiré de ce que la cour aurait entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant que la société requérante occupait sans titre la parcelle litigieuse au motif qu'elle n'avait pas obtenu d'agrément formel, alors qu'un tel agrément ressortait du comportement sans ambiguïté de la CNR à son égard, ne peut qu'être écarté, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que la société n'a en tout état de cause pas fait état devant elle d'un tel comportement de la CNR ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'en jugeant que le délai de trois mois courant à compter de la réception de la demande par l'autorité gestionnaire du domaine et à l'issue duquel le silence gardé par cette dernière vaut agrément tacite n'avait pas couru et en en déduisant que la société requérante n'était dès lors pas fondée à se prévaloir de l'acquisition tacite d'un titre d'occupation de la parcelle litigieuse, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL Safran Port Edouard Herriot n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;

10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la CNR qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL Safran Port Edouard Herriot le versement à la CNR d'une somme de 3 000 euros au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la SARL Safran Port Edouard Herriot est rejeté.

Article 2 : La SARL Safran Port Edouard Herriot versera à la Compagnie nationale du Rhône la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SARL Safran Port Edouard Herriot et à la Compagnie nationale du Rhône.

Copie en sera adressée, pour information, au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.


Synthèse
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 348587
Date de la décision : 25/09/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR UN CRITÈRE JURISPRUDENTIEL - DOMAINE - DOMAINE PUBLIC - OCCUPATION - OFFICE DU JUGE SAISI D'UNE DEMANDE TENDANT À L'EXPULSION D'UN OCCUPANT D'UNE DÉPENDANCE APPARTENANT À UNE PERSONNE PUBLIQUE - VÉRIFICATION DE LA COMPÉTENCE DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE - VÉRIFICATION DE L'APPARTENANCE AU DOMAINE PUBLIC DE CETTE DÉPENDANCE À LA DATE À LAQUELLE LE JUGE STATUE - MODALITÉS.

17-03-02-02-02-02 Lorsqu'un tribunal administratif est saisi d'une demande tendant à l'expulsion d'un occupant d'une dépendance appartenant à une personne publique, il lui incombe, pour déterminer si la juridiction administrative est compétente pour se prononcer sur ces conclusions, de vérifier que cette dépendance relève du domaine public à la date à laquelle il statue. Il lui appartient de rechercher si cette dépendance a été incorporée au domaine public, en vertu des règles applicables à la date de l'incorporation, et, si tel est le cas, de vérifier en outre qu'à la date à laquelle il se prononce, aucune disposition législative ou, au vu des éléments qui lui sont soumis, aucune décision prise par l'autorité compétente n'a procédé à son déclassement.

DOMAINE - DOMAINE PUBLIC - PROTECTION DU DOMAINE - PROTECTION CONTRE LES OCCUPATIONS IRRÉGULIÈRES - OFFICE DU JUGE SAISI D'UNE DEMANDE TENDANT À L'EXPULSION D'UN OCCUPANT D'UNE DÉPENDANCE APPARTENANT À UNE PERSONNE PUBLIQUE - VÉRIFICATION DE LA COMPÉTENCE DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE - VÉRIFICATION DE L'APPARTENANCE AU DOMAINE PUBLIC DE CETTE DÉPENDANCE À LA DATE À LAQUELLE LE JUGE STATUE - MODALITÉS.

24-01-03-02 Lorsqu'un tribunal administratif est saisi d'une demande tendant à l'expulsion d'un occupant d'une dépendance appartenant à une personne publique, il lui incombe, pour déterminer si la juridiction administrative est compétente pour se prononcer sur ces conclusions, de vérifier que cette dépendance relève du domaine public à la date à laquelle il statue. Il lui appartient de rechercher si cette dépendance a été incorporée au domaine public, en vertu des règles applicables à la date de l'incorporation, et, si tel est le cas, de vérifier en outre qu'à la date à laquelle il se prononce, aucune disposition législative ou, au vu des éléments qui lui sont soumis, aucune décision prise par l'autorité compétente n'a procédé à son déclassement.


Publications
Proposition de citation : CE, 25 sep. 2013, n° 348587
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon
Rapporteur public ?: Mme Nathalie Escaut
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT ; SCP MONOD, COLIN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:348587.20130925
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award