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23/08/2013 | FRANCE | N°371316

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 23 août 2013, 371316


Vu le recours, enregistré le 16 août 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur ; le ministre demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1300668 du 18 juillet 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, d'une part, suspendu l'exécution des décisions faisant obligation à M. B... A...de quitter le territoire français et ordonnant son placement en rétention administrativ

e et, d'autre part, enjoint au préfet de Guyane de délivrer à M. A...un ...

Vu le recours, enregistré le 16 août 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur ; le ministre demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1300668 du 18 juillet 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, d'une part, suspendu l'exécution des décisions faisant obligation à M. B... A...de quitter le territoire français et ordonnant son placement en rétention administrative et, d'autre part, enjoint au préfet de Guyane de délivrer à M. A...un recépissé constatant le dépôt d'une demande d'asile jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile ait statué sur sa demande ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par M. A...en première instance ;

il soutient que :

- l'ordonnance attaquée est insuffisamment motivée ;

- le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne a commis une erreur de droit en affirmant que le droit constitutionnel d'asile implique que l'étranger, dont la demande d'asile a été examinée, puis rejetée, par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides selon une procédure prioritaire, soit autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile ait statué sur sa demande ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 août 2013, présenté pour M. A..., qui conclut au rejet du recours, à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Spinosi renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat ; il soutient que :

- l'ordonnance contestée n'est ni insuffisamment motivée ni entachée d'erreur de droit ; en effet, toute autre solution que celle retenue par le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne, selon laquelle le respect du droit constitutionnel d'asile implique que l'étranger qui a sollicité la reconnaissance de la qualité de réfugié ait le droit de demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué par le juge sur sa demande, ne serait pas compatible avec les exigences de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la Constitution ;

- le préfet de la Guyane, en prononçant la rétention administrative de M. A... et l'obligation pour celui-ci de quitter le territoire français avant même que la CNDA n'ait statué sur son recours, a méconnu le droit d'asile consacré par le droit national et international ;

- le placement de M. A...en procédure prioritaire n'est pas motivée ni en fait, ni en droit, et fait une interprétation manifestement erronée des dispositions de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'intervention, enregistrée le 20 août 2013, présentée par la Cimade dont le siège est situé 64, rue Clisson à Paris (75013), représentée par son président en exercice, qui conclut aux mêmes fins que M. A...par les mêmes moyens ; elle soutient en outre qu'elle a intérêt à intervenir ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur, d'autre part, M. A...;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 21 août 2013 à 14 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- la représentante du ministre de l'intérieur ;

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- le représentant de la Cimade ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;

Sur l'intervention présentée par la Cimade :

1. Considérant que la Cimade a intérêt au maintien de l'ordonnance attaquée ; que son intervention est, par suite, recevable ;

Sur la requête d'appel :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

3. Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; que, si ce droit implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par les articles L. 741-4 et L. 723-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il résulte de leurs dispositions combinées que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides statue par priorité sur les demandes émanant de personnes auxquelles le document provisoire de séjour prévu à l'article L. 742-1 a été refusé au motif, notamment, que la demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente ; que, selon l'article L. 742-6 du même code, l'étranger qui se trouve dans ce cas bénéficie du droit de se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'office, aucune mesure d'éloignement ne pouvant être mise à exécution avant cette décision ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.A..., ressortissant haïtien, est entré sur le territoire français, selon ses propres dires, le 21 août 2011 ; que sa demande d'admission provisoire au séjour au titre de l'asile a été refusée par une décision du préfet de Guyane le 14 septembre 2011 ; que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), examinant la demande de M. A...selon une procédure prioritaire, l'a rejetée le 22 décembre 2011 ; que M. A...a alors formé un recours auprès de la Cour nationale du droit d'asile le 9 janvier 2012 ; que le préfet de Guyane a pris à son encontre, le 15 juillet 2013, d'une part, une décision d'obligation de quitter le territoire sans délai, d'autre part, un arrêté portant placement en rétention pour une durée de cinq jours ; que le ministre de l'intérieur relève appel de l'ordonnance du 18 juillet 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de ces décisions jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile statue sur le recours de M.A... ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions mentionnées au point 3 que, lorsque l'OFPRA a rejeté une demande d'asile qui lui a été transmise selon une procédure prioritaire prévue par l'article L. 723-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le demandeur perd tout droit à se maintenir sur le territoire alors même qu'il a contesté la décision de l'OFPRA devant la Cour nationale du droit d'asile ; qu'il n'appartient pas au juge des référés dans l'exercice des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative de revenir, au regard de la Constitution, sur le caractère non suspensif du recours présenté devant la Cour nationale du droit d'asile à l'encontre d'une décision de l'OFPRA rendue dans le cadre de la procédure prioritaire qui résulte de ces dispositions législatives ; qu'il ne lui appartient pas davantage, eu égard à son office, de se prononcer sur la compatibilité de ces dispositions législatives avec les stipulations d'une convention internationale ou d'écarter leur application au regard du droit de l'Union européenne, sauf, s'agissant du droit de l'Union européenne, si elles lui apparaissaient manifestement incompatibles avec les exigences qui découlent de ce droit ; que les dispositions en cause relatives à l'examen des demandes d'asile selon la procédure prioritaire, lorsque la demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente, n'apparaissent pas manifestement, compte tenu notamment de leur champ d'application et des recours ouverts aux intéressés, incompatibles avec les articles 18 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

6. Considérant qu'il appartient en revanche au juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'apprécier, au vu des circonstances particulières de l'espèce, si la mise à l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, avant l'intervention de la Cour nationale du droit d'asile porterait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui est dit aux points 5 et 6 qu'en suspendant l'exécution des mesures attaquées au seul motif de principe que la Cour nationale du droit d'asile n'a pas encore statué sur la demande de M.A..., sans rechercher si une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale résulterait, dans les circonstances particulières de l'espèce, de la mise à l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, avant l'intervention de la Cour nationale du droit d'asile, le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne a entaché son ordonnance d'une erreur de droit ;

8. Considérant qu'il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. A...devant le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne ;

9. Considérant que le traitement de la demande d'asile de M. A...selon la procédure prioritaire ne caractérise pas, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale aux exigences qu'imposent les droits fondamentaux, qu'il s'agisse du droit d'asile ou du droit à un recours effectif ; qu'il s'ensuit que l'éventualité que l'obligation de quitter le territoire français, ainsi que la fin consécutive du bénéfice des mesures d'accueil, dont il fait l'objet, soient exécutées avant que la Cour nationale du droit d'asile ait statué sur son cas ne fait pas apparaître de méconnaissance grave et manifeste du droit d'asile ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, d'une part, suspendu l'exécution des décisions faisant obligation à M. A... de quitter le territoire français et ordonnant son placement en rétention administrative et, d'autre part, enjoint au préfet de Guyane de délivrer à M. A...un récépissé constatant le dépôt d'une demande d'asile jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile ait statué sur sa demande ; que, par suite, cette ordonnance doit être annulée et les conclusions de M. A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne ainsi que celles présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat doivent être rejetées ; qu'il y a lieu d'admettre M. A...au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de la Cimade est admise.

Article 2 : M. A...est admis à l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 3 : L'ordonnance du 18 juillet 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Cayenne est annulée.

Article 4: La demande présentée par M. A...devant le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne ainsi que ses conclusions présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur, à M. B...A...et à la Cimade.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 371316
Date de la décision : 23/08/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 aoû. 2013, n° 371316
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:371316.20130823
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