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29/07/2013 | FRANCE | N°370543

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 29 juillet 2013, 370543


Vu le recours, enregistré le 25 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur ; le ministre demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1303113 du 10 juillet 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en tant que par celle-ci le juge des référés a, d'une part, suspendu l'exécution de l'arrêté du 21 mars 2013 par lequel le préfet de l'Aveyron a prononcé la remise aux autorité

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Vu le recours, enregistré le 25 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur ; le ministre demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1303113 du 10 juillet 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en tant que par celle-ci le juge des référés a, d'une part, suspendu l'exécution de l'arrêté du 21 mars 2013 par lequel le préfet de l'Aveyron a prononcé la remise aux autorités polonaises de M.B..., d'autre part, enjoint au préfet de l'Aveyron de remettre en liberté M. B...et de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours suivant la notification de son ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par M. B...en première instance ;

il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que M. B...a tardé à saisir le juge des référés de première instance sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

- le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a entaché son ordonnance d'une dénaturation des faits en omettant de prendre en considération certaines pièces versées au dossier en première instance ;

- le préfet de l'Aveyron n'a commis ni erreur de droit, ni erreur manifeste d'appréciation, dans sa décision relative à M.B..., dès lors que celui-ci n'a pas établi qu'il subirait de mauvais traitements en Pologne ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2013, présenté par M. B... qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat ; il soutient que :

- la compétence du signataire de l'appel du ministre n'est pas établie, ni l'urgence à exercer un recours quinze jours après l'ordonnance attaquée ;

- la condition d'urgence était remplie ;

- le préfet de l'Aveyron a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile ;

- le préfet de l'Aveyron a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d'aller et venir ;

- le requérant n'a pas été en mesure d'assurer sa défense devant un juge de manière effective ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 26 juillet 2013, présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut aux mêmes fins ; il soutient, en outre que :

- le préfet de l'Aveyron n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d'aller et venir, dès lors qu'il était nécessaire que M. B... soit placé en rétention administrative afin de mettre à exécution la procédure de réadmission ;

- que la mesure d'éloignement ne s'oppose pas à son droit à assurer sa défense de manière effective, dès lors qu'il pourra être représenté par son avocat ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu la directive (CE) n° 2005/85 du Conseil du 1er décembre 2005 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le décret du 5 juillet 2013 portant délégation de signature ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur, d'autre part, M.B... ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 27 juillet 2013 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentantes du ministre de l'intérieur ;

- Me Gaschignard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M.B... ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...de nationalité géorgienne, entré en France selon ses déclarations le 21 novembre 2012, a déposé le 10 décembre 2012 une demande d'asile à la préfecture de l'Aveyron ; que la comparaison du relevé décadactylaire de ses empreintes avec le fichier EURODAC a établi qu'elles avaient déjà été relevées le 24 octobre 2012 par les autorités polonaises ; que le préfet a, en conséquence, saisi ces autorités d'une demande de réadmission qui a été acceptée le 22 janvier 2013 ; que par un arrêté du 21 mars 2013, le préfet de l'Aveyron a refusé à M. B...son admission au séjour et ordonné sa remise aux autorités polonaises ; que l'incarcération de l'intéressé, condamné pour deux faits de vol, du 4 avril au 21 mai 2013 a fait cependant obstacle à la mise en oeuvre immédiate de cette réadmission ; qu'il a fait l'objet d'une assignation à résidence par décision du préfet de l'Aveyron en date du 17 mai, puis d'une décision de placement en rétention administrative prise par le même préfet le 1er juillet, qui a été prolongée par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 9 juillet ; que le ministre de l'intérieur relève appel de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a suspendu, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 21 mars 2013 prononçant la remise de M B...aux autorités polonaises et a enjoint au préfet de l'Aveyron de remettre en liberté l'intéressé et de réexaminer sa situation dans le délai de 8 jours à compter de la notification de l'ordonnance ;

Sur les fins de non recevoir opposées au recours du ministre :

3. Considérant, d'une part, que le recours du ministre de l'intérieur a été enregistré au greffe du conseil d'Etat le 25 juillet, dans le délai de 15 jours mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 523-1 du code de justice administrative ;

4. Considérant, d'autre part, que par décret en date du 5 juillet 2013 délégation a été donnée à la sous-directrice du conseil juridique et du contentieux, à l'effet de signer, au nom du ministre de l'intérieur, tous actes, arrêtés, décisions et pièces comptables, dans la limite des attributions de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les fins de non recevoir soulevées par M.B..., tirées de ce que le pourvoi est tardif et qu'il aurait été présenté par une personne n'ayant pas qualité pour représenter le ministre de l'intérieur dans la présente instance, doivent être écartées ;

Sur le bien fondé de l'ordonnance attaquée :

6. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile "la décision de remise à un Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile peut être exécutée d'office par l'administration après que l'étranger a été mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix " ;

7. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que par lettre du 22 février 2013, accompagnée de sa traduction en géorgien, le préfet de l'Aveyron, en informant M. B... de l'accord des autorités polonaises à son transfert vers la Pologne, l'a averti de ce qu'il avait la possibilité de présenter des observations, d'avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix ; que par lettre du 4 juillet 2013 notifiée et traduite oralement en géorgien à M. B...le même jour, le préfet de l'Aveyron a avisé l'intéressé de ce que la mesure de transfert prise à son encontre le 21 mars pourrait faire l'objet d'une exécution d'office et de ce qu'il avait, à nouveau, la possibilité de présenter ses observations, d'avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix ; que la mise en rétention administrative de l'intéressé le même jour n'était pas de nature à empêcher M. B...de faire usage de ces droits, qu'il a, au demeurant, exercés, en faisant appel à un conseil pour présenter, dès le 8 juillet, une requête auprès du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son recours, que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse s'est fondé, pour faire droit à la demande de M. B...sur ce que l'intéressé n'avait pas bénéficié régulièrement des garanties procédurales prévues par l'article L. 531-1 précité ;

9. Considérant qu'il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par MB... ;

Sur les autres moyens de M.B... :

10. Considérant, en premier lieu, que si M B...soutient qu'il n'a pas été informé des modalités de la procédure d'asile et n'a pas été entendu, il ressort des pièces du dossier qu'après s'être présenté le 10 décembre 2012 aux services compétents, il s'est vu immédiatement remettre une convocation pour un entretien fixé au 14 janvier 2013, destiné à mettre en oeuvre la procédure d'asile et mentionnant, notamment, la possibilité de se faire assister par un interprète ; que M. B...a été entendu à cette date et qu'il s'est vu remettre par écrit et en russe, langue qu'il lit et comprend, une notice d'information sur les modalités d'application du règlement du conseil n°343/ 2003 du 18 février 2003, des délais qu'il prévoit et de ses effets ;

11. Considérant en deuxième lieu, que si M. B...soutient qu'il était resté dans l'ignorance des délais dans lesquels il devait être remis aux autorités polonaises, il ressort des pièces du dossier qu'il a été informé par un courrier en date du 22 février 2013 de l'accord de ces autorités à son transfert ; que l'arrêté du 21 mars portant remise de l'intéressé aux autorités polonaises, qui lui a été notifié le 28 mars, portait mention de ce qu'il était envisagé que cette remise soit faite d'office ; que par arrêté du 17 mai 2013 l'assignant à résidence, le préfet de l'Aveyron a signifié à l'intéressé qu'il était autorisé à rester sur le territoire français pour répondre à la convocation, en date du 19 mars 2013, d'avoir à se rendre à l'audience du tribunal correctionnel de Rodez le 3 septembre 2013 ; que le 4 juillet le préfet de l'Aveyron a cependant avisé M. B...que, dès lors qu'il pouvait se faire représenter par un avocat à l'audience juridictionnelle, l'autorité administrative envisageait, à nouveau, une exécution d'office de l'arrêté du 21 mars 2013 ;

12. Considérant, en troisième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'état de santé de l'intéressé justifierait, qu'il doive rester en France afin de recevoir des soins auxquels il n'aurait pas effectivement accès en Pologne ; que la Pologne est, par ailleurs, un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il en résulte que M. B... n'est pas fondé à se prévaloir, sans plus de précision, de la clause de souveraineté prévue par l'article 53-1 de la Constitution, qui aurait permis de retenir la compétence de la France pour instruire sa demande d'asile, ni de la dérogation prévue à l'article 3-2 du règlement communautaire n° 343/2003 du 18 février 2003, ni davantage de la clause humanitaire définie par l'article 15 de ce règlement ;

13. Considérant, en dernier lieu, que si M. B...soutient que son renvoi en Pologne pour l'instruction de sa demande d'asile le priverait de la possibilité de déférer à la convocation qui lui a été adressée le 19 mars par le tribunal correctionnel de Rodez pour le 3 septembre 2013, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 29 mars attaqué, ni sur la décision de procéder d'office à son exécution, dès lors que l'intéressé peut se faire représenter ou demander ultérieurement une autorisation de séjour pour la durée nécessaire à sa comparution devant cette juridiction ;

14. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la décision du préfet de l'Aveyron d'ordonner la réadmission de l'intéressé vers la Pologne, ne peut, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, être regardée comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile, à la liberté d'aller et venir de M.B... ou à la liberté fondamentale d'assurer de manière effective sa défense devant le juge ; que le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée et le rejet de la demande présentée par M. B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse ;

Sur les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme demandée par M.B... ;

O R D O N N E :

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Article l : Les articles 2, 3, 4 et 5 de l'ordonnance n°1303113 du 10 juillet 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse sont annulés.

Article 2 : La demande présentée en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative par M. B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, ainsi que ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 370543
Date de la décision : 29/07/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 29 jui. 2013, n° 370543
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:370543.20130729
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