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16/05/2013 | FRANCE | N°368337

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 16 mai 2013, 368337


Vu le recours, enregistré le 7 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat présenté par le ministre de l'intérieur, qui demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1305373/9 du 20 avril 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, d'indiquer à M. C... le ou les centres d'accueil pour demandeurs d'asile ou le centre d'hébergement ou de réinsertion

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Vu le recours, enregistré le 7 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat présenté par le ministre de l'intérieur, qui demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1305373/9 du 20 avril 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, d'indiquer à M. C... le ou les centres d'accueil pour demandeurs d'asile ou le centre d'hébergement ou de réinsertion sociale susceptibles de l'accueillir, et ce, dans un délai de 10 jours suivant la notification de l'ordonnance à intervenir ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris par M. C... ;

il soutient que :

- le juge des référés de première instance a méconnu le principe du contradictoire garanti par les articles L. 5 et L. 522-1 du code de justice administrative en ne lui laissant pas un délai suffisant pour produire une défense écrite ainsi qu'en ne visant pas la note en délibéré produite ; la présence d'un représentant du préfet n'est pas mentionnée ;

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la situation de détresse dont se prévaut M. C...n'est pas établie de manière circonstanciée ;

- le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris n'a porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, dès lors qu'il a accompli toutes les diligences nécessitées par la situation particulière du demandeur, célibataire et sans charge de famille, et compte tenu de la saturation du dispositif national d'accueil ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2013, présenté pour M. C..., qui conclut au rejet du recours et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :

- l'absence de la mention de la présence du représentant du préfet résulte d'une simple erreur matérielle ;

- le délai de convocation à l'audience était suffisant, sa situation étant, comme le mentionne le préfet lui-même dans sa note en délibéré, connue de l'administration ;

- la note en délibéré du préfet ne contenait aucune circonstance de fait ou de droit nouvelle nécessitant la réouverture de l'instruction ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que sa situation de grande précarité, due à l'absence de tout hébergement, est caractérisée ;

- le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile en ne recherchant pas un hébergement d'urgence alors qu'il est dépourvu de toit depuis dix-huit mois ;

- le préfet ne pouvait se borner à alléguer le caractère saturé du dispositif d'accueil en Ile-de-France et devait, si nécessaire, rechercher un hébergement hors de cette région ;

- l'absence d'hébergement ne lui permet pas de préparer sa défense devant la Cour nationale du droit d'asile dans de bonnes conditions ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur et, d'autre part, M.C... ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 13 mai 2013 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

- Me Waquet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. C... ;

- M.C... ;

à l'issue de laquelle l'instruction a été prolongée jusqu'au mercredi 15 mai à 20 heures ;

Vu le mémoire, enregistré le 14 mai 2013, présenté pour M.C..., transmettant un certificat médical attestant qu'il serait préférable que, compte tenu de son état de santé, il obtînt rapidement un hébergement d'urgence ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 15 mai 2013, présenté par le ministre de l'intérieur, qui reprend les conclusions et les moyens de son précédent mémoire ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 15 mai 2013, présenté pour M. C..., qui tend aux mêmes fins que son recours ;

Vu la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à l'accueil des demandeurs d'asile ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. " ;

2. Considérant qu'au sens des dispositions précitées de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la notion de liberté fondamentale englobe, s'agissant des ressortissants étrangers qui sont soumis à des mesures spécifiques réglementant leur entrée et leur séjour en France, et qui ne bénéficient donc pas, à la différence des nationaux, de la liberté d'entrée sur le territoire, le droit constitutionnel d'asile qui a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié, dont l'obtention est déterminante pour l'exercice par les personnes concernées des libertés reconnues de façon générale aux ressortissants étrangers ; que la privation du bénéfice des mesures, prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté ; que le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à l'accueil des demandeurs d'asile : " Définitions. Aux fins de la présente directive, on entend par : ... "conditions matérielles d'accueil" : les conditions d'accueil comprenant le logement, la nourriture et l'habillement, fournis en nature ou sous forme d'allocation financière ou de bons, ainsi qu'une allocation journalière... " ; qu'aux termes de son article 13 : "...2. Les Etats membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d'accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d'assurer la subsistance des demandeurs. ...5. Les conditions d'accueil matérielles peuvent être fournies en nature ou sous la forme d'allocations financières ou de bons ou en combinant ces formules. Lorsque les Etats membres remplissent les conditions matérielles d'accueil sous forme d'allocations financières ou de bons, l'importance de ces derniers est fixée conformément aux principes définis dans le présent article. " ; qu'aux termes de l'article 14 : " modalités des conditions matérielles d'accueil :... 8. Pour les conditions matérielles d'accueil, les Etats membres peuvent, à titre exceptionnel, fixer des modalités différentes de celles qui sont prévues dans le présent article, pendant une période raisonnable, aussi courte que possible, lorsque : - une première évaluation des besoins spécifiques du demandeur est requise, - les conditions matérielles d'accueil prévues dans le présent article n'existent pas dans une certaine zone géographique, - les capacités de logement normalement disponibles sont temporairement épuisées, - le demandeur d'asile se trouve en rétention ou à un poste frontière, dans un local qu'il ne peut quitter. Ces différentes conditions couvrent, en tout état de cause, les besoins fondamentaux. " ;

4. Considérant qu'en vertu des dispositions des articles L. 348-1 et suivants et R. 348-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles les demandeurs d'asile peuvent être admis à l'aide sociale pour être accueillis dans les centres pour demandeurs d'asile, et que ceux qui ne bénéficient pas d'un niveau de ressources suffisant bénéficient d'une allocation mensuelle de subsistance, dont le montant est fixé par l'article 3 de l'arrêté du 31 mars 2008 portant application de l'article R. 348-4 du code de l'action sociale et des familles ; qu'ils ont également vocation à bénéficier, outre du dispositif d'accueil d'urgence spécialisé pour demandeurs d'asile, qui a pour objet de les accueillir provisoirement dans des structures collectives ou dans des hôtels en attente d'un accueil en centre pour demandeurs d'asile, du dispositif général de veille sociale prévu par l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles, lequel peut conduire à leur admission dans un centre d'hébergement d'urgence ou un centre d'hébergement et de réinsertion sociale ; qu'enfin, en vertu des articles L. 5423-8-1° et L. 5423-9-2° du code du travail, les demandeurs d'asile peuvent bénéficier, sous condition d'âge et de ressources, d'une allocation temporaire d'attente à condition de ne pas être bénéficiaires d'un séjour en centre d'hébergement pris en charge au titre de l'aide sociale ;

5. Considérant que, pour une application aux demandeurs d'asile des dispositions précitées du droit interne conforme aux objectifs de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003, l'autorité compétente qui, sur sa demande d'admission au bénéfice du statut de réfugié doit, au plus tard dans le délai de quinze jours prescrit à l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mettre le demandeur d'asile en possession d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il ait été statué sur cette demande, sans préjudice, le cas échéant, de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, doit également, aussi longtemps qu'il est admis à se maintenir sur le territoire en qualité de demandeur d'asile et quelle que soit la procédure d'examen de sa demande, lui assurer, selon ses besoins et ses ressources, des conditions d'accueil comprenant le logement, la nourriture et l'habillement, fournies en nature ou sous la forme d'allocations financières ou de bons ou en combinant ces formules ; que si, notamment lorsqu'une première évaluation des besoins spécifiques du demandeur est requise ou lorsque les capacités de logement normalement disponibles sont temporairement épuisées, l'autorité administrative peut recourir à des modalités différentes de celles qui sont normalement prévues, c'est pendant une période raisonnable, aussi courte que possible, et en couvrant les besoins fondamentaux du demandeur d'asile ; qu'il lui appartient, en particulier, de rechercher si des possibilités d'hébergement sont disponibles dans d'autres régions et, le cas échéant, de recourir à des modalités d'accueil sous forme de tentes ou d'autres installations comparables ; qu'une privation du bénéfice des droits auxquels les demandeurs d'asile peuvent prétendre peut conduire le juge des référés à faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 précité du code de justice administrative ; que, toutefois, le juge des référés ne peut, sur le fondement de cet article, adresser une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation de famille ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. C..., ressortissant du Bouthan, est entré en France le 8 octobre 2011 afin d'y solliciter l'asile ; qu'une autorisation provisoire de séjour lui a été délivrée par le préfet de police afin de lui permettre de déposer une demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ; qu'après le rejet de cette demande, cette autorisation a été renouvelée dans l'attente de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, que M. C... a saisie d'un recours contre cette décision de rejet ; que si des droits à l'allocation temporaire d'attente lui ont été ouverts, il n'a pu bénéficier d'aucun hébergement d'urgence, depuis que sa demande d'asile est en cours d'examen et a été orienté vers le dispositif de veille sociale mentionné au 4 ; que, toutefois, l'administration fait valoir qu'elle ne dispose ni en région Ile-de-France ni dans d'autres régions d'hébergements en nombre suffisant pour répondre aux demandes d'hébergement des demandeurs d'asile, en forte augmentation et qu'elle se voit, dès lors, contrainte de définir un ordre de priorité tenant compte de la situation particulière de ceux-ci ; que M. C... est célibataire et sans charge de famille ; que si le certificat médical qu'il a transmis atteste que son état de santé rendrait préférable qu'il obtînt rapidement un hébergement d'urgence, il n'est pas soutenu que l'intéressé serait atteint d'une pathologie grave ou dans une situation de grande détresse ; que, dans ces conditions, la situation de M. Marahrjan ne peut, malgré la durée pendant laquelle il a été privé d'un hébergement, être regardée comme prioritaire au regard de l'ensemble des demandes d'hébergement adressées à l'administration ; qu'ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que le comportement de l'administration à l'égard de M. Marahrjan ferait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences mentionnées au 5 et aurait des conséquences graves pour lui, compte tenu de sa situation personnelle ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du recours, que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance qu'il conteste, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, d'indiquer à M. C..., dans le délai de dix jours suivant la notification de son ordonnance, un centre d'accueil pour demandeur d'asile ou un centre d'hébergement ou de réinsertion sociale susceptible de l'accueillir ; que, par suite, cette ordonnance doit être annulée et les conclusions de M. C... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris doivent être rejetées, ainsi que celles présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat et tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 20 avril 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. C...devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris et ses conclusions devant le juge des référés du Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et à M. A...C....


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 368337
Date de la décision : 16/05/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 mai. 2013, n° 368337
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:368337.20130516
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