La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/05/2013 | FRANCE | N°352016

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 15 mai 2013, 352016


Vu le pourvoi, enregistré le 18 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 61490 du 20 juin 2011 par lequel la Cour des Comptes a constitué M. A...B...débiteur du Port autonome de La Rochelle pour les sommes, au titre de l'exercice 2006, de 37479 euros, au titre de l'exercice 2008, de 61614 euros et, au titre de l'exercice 2009, de 52701 euros, augmentées des intérêts de droit à compter du 1er

mars 2010 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code d...

Vu le pourvoi, enregistré le 18 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 61490 du 20 juin 2011 par lequel la Cour des Comptes a constitué M. A...B...débiteur du Port autonome de La Rochelle pour les sommes, au titre de l'exercice 2006, de 37479 euros, au titre de l'exercice 2008, de 61614 euros et, au titre de l'exercice 2009, de 52701 euros, augmentées des intérêts de droit à compter du 1er mars 2010 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la création le 1er janvier 2006 du Port autonome de La Rochelle, qui a réuni au sein d'un même établissement public des personnels de droit privé et des agents publics, l'ensemble des agents du Port ont pu se voir allouer, au titre des années 2006 à 2008, une indemnité exceptionnelle dite " prime Petit " ; que, par un arrêt rendu le 20 juin 2011 contre lequel le ministre chargé du budget se pourvoit en cassation, la Cour des comptes a constitué M. B..., agent comptable du Port autonome de La Rochelle, devenu aujourd'hui grand port maritime de La Rochelle, débiteur des sommes de 37.479 euros au titre de l'exercice 2006, de 61.614 euros au titre de l'exercice 2008 et de 52.701 euros au titre de l'exercice 2009, augmentées des intérêts de droit à compter du 1er mars 2010, correspondant au paiement des " primes exceptionnelles " versées aux agents du Port, au motif qu'il y aurait procédé sans exiger la référence du texte établissant l'indemnité, sans laquelle il ne pouvait procéder à la vérification de son exacte liquidation ;

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

En ce qui concerne la compétence de la Cour des comptes :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 141-10 du code des juridictions financières, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le contrôle du compte est notifié au comptable et à l'ordonnateur en fonctions. / (...) / La notification précise le ou les exercices contrôlés et le nom du ou des magistrats rapporteurs " ; que l'examen des comptes à fin de jugement constitue un préalable nécessaire à l'ouverture, à l'initiative du ministère public, d'une instance contentieuse susceptible de conduire à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire d'un comptable public ; que si, aux termes du III de l'article L. 142-1 du code des juridictions financières, le ministère public peut enclencher la procédure susceptible d'aboutir à la constitution en débet d'un comptable public sur la base d'informations autres que celles figurant dans le rapport à fin d'examen juridictionnel des comptes de l'organisme concerné, ces dispositions ne lui permettent pas de relever une charge en dehors du périmètre, fixé préalablement par la Cour des comptes dans le cadre de la notification prévue à l'article R. 141-10, devenu R. 142-1, du code des juridictions financières, des exercices comptables contrôlés ; que ces dispositions ne permettent pas davantage à la Cour des comptes de fonder les décisions qu'elle rend dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle sur les éléments matériels des comptes qui n'auraient pas été soumis préalablement à son contrôle et qui n'auraient pas été retenus, par le ministère public dans son réquisitoire introductif d'instance, comme susceptibles de fonder une charge à l'encontre du comptable concerné ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que seuls les exercices 2006 à 2008 avaient été inscrits au programme de contrôle de la Cour des comptes et figuraient dans la notification du contrôle au comptable en fonctions ; que, dès lors, en l'absence de notification au comptable et à l'ordonnateur en fonction de l'inclusion de l'exercice comptable 2009 dans le périmètre de son contrôle, la Cour des comptes s'est méprise sur l'étendue de sa compétence ; que, par suite et dans cette mesure, son arrêt doit être annulé ;

En ce qui concerne la procédure d'instruction des comptes à fin de jugement :

4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du I de l'article R. 141-13 du code des juridictions financières, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les comptables et les autres personnes mis en cause, ainsi que l'ordonnateur en fonctions, sont tenus de déférer aux demandes d'explication ou de production de pièces formulées par le magistrat chargé de l'instruction jusqu'à la clôture de celle-ci, dans un délai fixé par ce magistrat et qui ne peut être inférieur à quinze jours suivant la réception de cette demande " ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours de la procédure d'instruction, le magistrat chargé de l'instruction devant la formation de jugement a adressé à M.B..., afin que celui-ci présente ses observations, deux courriers datés respectivement des 23 mars et 31 mai 2010, pour lesquels une réponse était exigée avant les 7 avril et 15 juin de la même année, sans que soient pris en compte, lors de la fixation de ces dates limites, des délais de transmission de ses demandes au comptable en cause ; que si leur destinataire a, de ce fait, disposé d'un délai inférieur à celui prévu par les dispositions citées ci-dessus pour répondre, une telle circonstance est dépourvue d'incidence sur la régularité de la procédure alors qu'il ressort des mêmes pièces du dossier que M. B...a été en mesure de répondre en temps utile à ces actes d'instruction ; qu'au surplus, l'audience de jugement s'étant tenue le 18 mai 2011, soit près d'un an après la réception du dernier courrier litigieux, celui-ci a disposé d'un temps suffisant pour formuler toutes autres observations utiles ; que, dans ces conditions, l'arrêt attaqué n'a pas porté atteinte aux principes des droits de la défense et du contradictoire protégés par les dispositions rappelées ci-dessus ;

5. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment des nombreux échanges entre les parties et du rapport à fin d'arrêt établi par le magistrat rapporteur, qui relate, en termes neutres, les éléments de l'affaire et les observations de chaque partie, avant, comme il en a l'obligation, de proposer une solution au litige, que le magistrat rapporteur n'a pas méconnu l'exigence d'instruire, à charge et à décharge, les comptes dont il est saisi ;

En ce qui concerne les mentions de l'arrêt attaqué :

6. Considérant que le premier alinéa de l'article R. 141-19 du code des juridictions financières, devenu R. 142-11, prévoyait que : " La Cour statue par un arrêt qui vise les comptes jugés, les pièces examinées ainsi que les dispositions législatives et réglementaires dont il fait application " ; qu'il ressort des énonciations mêmes de l'arrêt attaqué, qui vise notamment le rapport à fin d'arrêt auquel sont annexées diverses pièces comptables, en particulier l'ensemble des décisions individuelles d'attribution de primes et les bulletins de paie de tous les intéressés pour les trois années en cause, que la Cour des comptes a suffisamment identifié les pièces comptables qu'elle a contrôlées et au regard desquelles elle a mis en débet M. B... ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêt attaqué serait entaché d'irrégularité faute d'identifier les mandats et les paiements en cause doit être écarté ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

7. Considérant qu'en vertu de l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, dans sa rédaction alors applicable, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors notamment qu'une dépense a été irrégulièrement payée ; que selon le VI de l'article 60 de la même loi, le comptable public dont la responsabilité pécuniaire est ainsi engagée ou mise en jeu a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale à la dépense payée à tort ; que s'il n'a pas versé cette somme, il peut être, selon le VII de l'article 60, constitué en débet par le juge des comptes ;

8. Considérant qu'en vertu de l'article 19 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors applicable, les comptables publics sont, dans les conditions fixées par les lois de finances, personnellement et pécuniairement responsables de l'exercice régulier des contrôles prévus aux articles 12 et 13 ; qu'aux termes de l'article 12 du même décret : " Les comptables sont tenus d'exercer : / (...) B. - En matière de dépenses, le contrôle : (...) De la validité de la créance dans les conditions prévues à l'article 13 ci-après (...) " ; qu'aux termes de l'article 13 du même décret : " En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur : / La justification du service fait et l'exactitude des calculs de liquidation ; / L'intervention préalable des contrôles réglementaires et la production des justifications (...) " ; qu'aux termes de l'article 37 du même décret : " Lorsque, à l'occasion de l'exercice du contrôle prévu à l'article 12 (alinéa B) ci-dessus, des irrégularités sont constatées, les comptables publics suspendent les paiements et en informent l'ordonnateur. (...) " ; qu'enfin, en vertu de l'article 47 du même décret, les opérations de dépense " doivent être appuyées des pièces justificatives prévues dans les nomenclatures établies par le ministre des finances avec, le cas échéant, l'accord du ministre intéressé " ;

9. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu'à ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d'une part, complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée ; que si ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l'origine de la créance et s'il leur appartient alors d'en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité ; qu'enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu'à ce que l'ordonnateur leur ait produit les justifications nécessaires ;

10. Considérant que l'annexe 11 de l'instruction codificatrice n° 02-072-M95 du 2 septembre 2002, relative à la réglementation budgétaire, financière et comptable des établissements publics nationaux à caractère industriel et commercial, prévoit, dans sa rubrique " Pièces à produire " consacrée aux " Dépenses de personnel ", que le comptable doit être destinataire de " tous textes fixant le régime des rémunérations et indemnités, approuvés des autorités de tutelle " ; que ces dispositions, qui renvoient elles-mêmes au principe, applicable même sans texte, selon lequel, avant de procéder au paiement de toute indemnité ou rémunération accessoire, le comptable public doit disposer, afin d'exercer son contrôle sur l'exactitude des calculs de liquidation et la production des justifications, de l'acte en fixant le régime, imposaient que le comptable du Port autonome fût destinataire, préalablement à son paiement, du ou des textes fondant la prime litigieuse ;

11. Considérant que, pour constituer M. B...débiteur des sommes correspondant au paiement des " primes exceptionnelles " versées aux agents du Port au titre des exercices 2006 à 2008, la Cour des comptes a relevé que ce comptable avait procédé au paiement de ces indemnités sans avoir exigé la production du texte fixant le régime du versement d'une telle prime et lui permettant d'exercer le contrôle, qui lui incombe, de validité de la créance ; qu'en statuant ainsi, la Cour des comptes n'a ni méconnu la portée des exigences posées par les articles 12 et 13 du décret du 29 décembre 1962 relatifs aux pièces justificatives exigibles par le comptable public en matière de dépense ni mis à la charge de l'intéressé une obligation de contrôle de la légalité de l'acte administratif à l'origine des dépenses en cause ;

12. Considérant qu'il résulte de tout de qui précède que le ministre n'est fondé à demander l'annulation de l'arrêt du 20 juin 2011 de la Cour des comptes qu'en tant seulement qu'il constitue M. B...débiteur du grand port maritime de La Rochelle au titre de l'exercice 2009 ;

13. Considérant qu'aucune question ne reste à juger ; qu'il n'y a lieu, dès lors, ni de statuer au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, ni de renvoyer l'affaire devant la Cour des comptes ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la Cour des comptes du 20 juin 2011 est annulé en tant seulement qu'il constitue M. B...débiteur du grand port maritime de La Rochelle au titre de l'exercice 2009.

Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à M. A... B.... Copie en sera adressée pour information au Procureur général près la Cour des comptes et au grand port maritime de La Rochelle.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 352016
Date de la décision : 15/05/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 mai. 2013, n° 352016
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Rapporteur public ?: M. Xavier de Lesquen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:352016.20130515
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award