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02/05/2013 | FRANCE | N°367341

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 02 mai 2013, 367341


Vu la requête, enregistrée le 2 avril 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'Union nationale des associations de santé à domicile, dont le siège est 18-24, rue Lecourbe à Paris (75015), représentée par son représentant légal, et la Fédération française des associations et amicales des insuffisants respiratoires, dont le siège est 66, boulevard Saint-Michel à Paris (75006), représentée par son représentant légal ; les associations requérantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'

article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution...

Vu la requête, enregistrée le 2 avril 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'Union nationale des associations de santé à domicile, dont le siège est 18-24, rue Lecourbe à Paris (75015), représentée par son représentant légal, et la Fédération française des associations et amicales des insuffisants respiratoires, dont le siège est 66, boulevard Saint-Michel à Paris (75006), représentée par son représentant légal ; les associations requérantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 9 janvier 2013 de la ministre des affaires sociales et de la santé et du ministre chargé du budget portant modification des modalités d'inscription et de prise en charge du dispositif médical à pression positive continue pour le traitement de l'apnée du sommeil et prestations associées au chapitre 1er du titre I de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elles soutiennent que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que, à compter du 1er juin 2013, plus aucun appareil à pression positive continue ne pourra être mis à disposition des nouveaux patients sans être équipé du système de téléobservance, ce qui entrainera le risque pour des patients d'être privés du remboursement de leur traitement par des décisions purement automatiques alors que l'arrêt du traitement peut avoir de graves conséquences sur leur santé comme sur la santé publique en générale, eu égard notamment aux effets du syndrome de l'apnée du sommeil sur les accidents de la circulation ; l'annulation tardive de l'arrêté obligerait à procéder à d'impossibles opérations de reconstitution des tarifs remboursables et de répétition des sommes indûment prélevées ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;

- l'arrêté litigieux a été pris par une autorité qui n'était pas compétente pour le faire dans la mesure où son contenu relèverait du domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution ;

- le caractère automatique de la diminution puis de la cessation du remboursement méconnaît les dispositions de l'article L. 324-1 du code de la sécurité sociale et de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, alors même que la couverture du territoire national par le réseau utilisé pour transmettre les données n'est pas complète et que le mécanisme ne prend en compte aucune des circonstances qui pourraient amener un patient à ne pas être en situation d'utiliser son appareil ou l'appareil ne pas être en situation de transmettre régulièrement les données d'utilisation ;

- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en tant qu'il a mis en place un dispositif qui prévoit l'arrêt automatique du remboursement sans qu'aucune décision médicale ou même humaine ne puisse intervenir, au regard notamment du droit à l'accès aux soins les plus appropriés tel qu'il est garanti par l'article L. 1110-5 du code de la santé publique ; qu'il en est de même s'agissant des critères retenus pour établir l'observance, eu égard tant aux données scientifiques disponibles sur l'efficacité du traitement que sur les différences de situation des patients ;

- l'arrêté litigieux méconnaît l'objectif constitutionnel de clarté et d'intelligibilité de la norme compte tenu de son excessive complexité ;

- la mise en place du système de téléobservance n'a pas fait l'objet d'une consultation préalable de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en méconnaissance des codes de la santé publique et de la sécurité sociale, alors même que sont en cause des données particulièrement sensibles qui concernent la santé des intéressés et peuvent également révéler leurs pratiques religieuses ;

- l'obligation que pose l'arrêté de transmettre les données par fichier Excel porte atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ;

- en portant atteinte à l'équilibre financier des prestataires de santé, le dispositif contesté méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques ainsi que les principes fondamentaux de la sécurité sociale ;

Vu l'arrêté dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cet arrêté ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2013, présenté par la ministre des affaires sociales et de la santé, qui conclut au rejet de la requête ; elle soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que l'arrêté prévoit un mécanisme de paliers successifs à l'issue duquel seulement le patient non observant aura à supporter le coût du traitement : compte tenu des délais que comporte l'arrêté, cela ne pourra intervenir qu'à l'issue d'une période de huit mois à compter du 1er juin 2013 ; au demeurant, le forfait de prise en charge sans télésuivi restera en vigueur jusqu'au 31 décembre 2015 pour les patients en cours de traitement à la date de publication de l'arrêté contesté ;

- en outre, la suspension de l'arrêté contesté serait susceptible de créer des difficultés économiques pour les fabricants et prestataires ayant réalisé les investissements nécessaires ;

- aucun des moyens soulevés n'est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté dès lors notamment que l'arrêté n'établit pas un traitement de données mais se borne à établir des modalités de transmission et n'avait donc pas à être soumis à la consultation de la CNIL ; qu'il entre dans le champ de l'autorisation définie par l'article L. 165-1 et qu'il n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation ;

Vu l'intervention, enregistrée le 22 avril 2013, présentée par la société Philips France, dont le siège est 2, rue du château de Bel Air à Carquefou cedex (44475), représentée par son représentant légal ; la société demande que le Conseil d'Etat rejette la requête ; elle soutient qu'en tant que fabricant, elle n'a aucun accès aux données de santé à caractère personnel du patient et que la mise en mise en place de solution de téléobservance a nécessité d'importants investissements ;

Vu l'intervention, enregistrée le 22 avril 2013, présentée par le Syndicat national des prestataires de santé à domicile, dont le siège est 4, place Louis Armand à Paris cedex 12 (75603), représenté par son président en exercice ; le syndicat demande que le Conseil d'Etat rejette la requête ; il soutient que :

- l'arrêté contesté ne porte pas d'atteinte à la situation des patients et que le dispositif introduit par la décision litigeuse ne méconnaît aucune liberté individuelle ;

- la suspension de l'exécution de l'arrêté contesté porterait un préjudice grave et immédiat à la situation des prestataires de santé ;

Vu l'intervention, enregistrée le 22 avril 2013, présentée par la société ResMed, dont le siège est 292, allée Jacques Monod à Saint-Priest cedex (69791), représentée par sa directrice générale en exercice ; la société demande que le Conseil d'Etat rejette la requête ; elle soutient que :

- son intervention est recevable ;

- l'arrêté contesté est intervenu à l'issue de concertations et négociations regroupant tous les acteurs engagés dans le traitement à pression positive continue ;

- les fabricants n'auront aucun accès aux données de santé à caractère personnel du patient ;

- la mise en mise en place de solution de téléobservance a nécessité d'importants investissements ;

Vu l'intervention, enregistrée le 22 avril 2013, présentée par l'Union des fabricants d'aides techniques, dont le siège est 38, rue de Berri à Paris (75008), représentée par son président en exercice ; l'Union demande que le Conseil d'Etat rejette la requête ; elle soutient que :

- son intervention est recevable ;

- aucun des moyens soulevés par la requête n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;

- la suspension de l'exécution de l'arrêté contesté porterait un préjudice grave et immédiat à la situation des fabricants ;

Vu l'intervention, enregistrée le 23 avril 2013, présentée par la société Air liquide medical systems, dont le siège est 6, rue Georges Besse à Antony cedex (92182), représentée par son directeur général en exercice ; la société demande que le Conseil d'Etat rejette la requête ; elle soutient que la suspension de l'exécution de l'arrêté contesté porterait un préjudice grave et immédiat à sa situation financière ;

Vu les pièces du dossier desquelles il résulte que la requête a été communiquée au ministre de l'économie et des finances et à la Haute Autorité de santé, qui n'ont pas produit d'observations ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, modifiée notamment par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Union nationale des associations de santé à domicile et la Fédération française des associations et amicales des insuffisants respiratoires et, d'autre part, la ministre des affaires sociales et de la santé, le ministre de l'économie et des finances, la Haute Autorité de santé, la société Philips France, le Syndicat national des prestataires de santé à domicile, la société ResMed, l'Union des fabricants d'aides techniques ainsi que la société Air liquide medical systems ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 25 avril 2013 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Gaschignard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Union nationale des associations de santé à domicile et de la Fédération française des associations et amicales des insuffisants respiratoires ;

- les représentants de l'Union nationale des associations de santé à domicile ;

- les représentants de la Fédération française des associations et amicales des insuffisants respiratoires ;

- les représentants de la ministre des affaires sociales et de la santé ;

Sur les interventions de la société Philips France, du Syndicat national des prestataires de santé à domicile, de la société ResMed, de l'Union des fabricants d'aides techniques et de la société Air liquide medical systems :

1. Considérant que la société Philips France, le Syndicat national des prestataires de santé à domicile, la société ResMed, l'Union des fabricants d'aides techniques et la société Air liquide medical systems ont intérêt au maintien de l'arrêté dont la suspension est demandée ; qu'ainsi leurs interventions sont recevables ;

Sur les conclusions de la requête de l'Union nationale des associations de santé à domicile et de la Fédération française des associations et amicales des insuffisants respiratoires :

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

3. Considérant que l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce ;

4. Considérant que l'arrêté du 9 janvier 2013 dont les requérantes demandent la suspension a pour objet de modifier les modalités de prise en charge du dispositif médical de traitement du syndrome de l'apnée du sommeil par des appareils à pression positive continue, en prévoyant, dans des conditions qu'il précise, que cette prise en charge sera réduite, voire supprimée, lorsqu'il résultera des données d'utilisation de l'appareil que le patient doit être regardé comme n'ayant pas observé son traitement ; que ce régime sera obligatoire pour tout nouveau patient à qui un tel traitement sera prescrit à compter du 1er juin ;

5. Considérant que, pour justifier de l'urgence à suspendre l'exécution de l'arrêté contesté, les associations requérantes soutiennent que le régime ainsi mis en place porte une atteinte grave et immédiate à la santé des malades concernés et à la santé publique en général dans la mesure où il est susceptible d'entrainer un arrêt automatique de la prise en charge du traitement au cas où le patient serait considéré " inobservant " au regard des exigences qu'il pose ; qu'en outre, il porte une atteinte grave et immédiate à la protection des données personnelles des intéressés sans que la Commission nationale de l'informatique et des libertés n'ait été préalablement consultée ; qu'enfin, sa suspension éviterait que son annulation tardive n'oblige à une reconstitution des paiements dus dans des conditions de très grande complexité ;

6. Considérant qu'il résulte de l'arrêté contesté que le régime de prise en charge du traitement qu'il prévoit comporte plusieurs phases successives au cours desquelles cette prise en charge est d'abord inconditionnelle puis soumise à la condition que le patient observe effectivement son traitement, l'inobservance conduisant dans un premier temps à la réduction de la prise en charge du traitement, la différence étant alors à la charge du prestataire de service, puis, en cas d'inobservance persistante, à la cessation de toute prise en charge du traitement ; que ces différentes phases, au cours desquelles le patient est à plusieurs reprises mis en garde contre le risque d'une inobservance prolongée, représentent au total une période d'une durée minimale de 33 semaines ; qu'ainsi, il s'écoulera au minimum 33 semaines entre l'application du nouveau régime à un patient et la suppression de toute prise en charge du coût du traitement en cas d'inobservance persistante ; que, dès lors, le mécanisme institué par l'arrêté ne pourra aboutir à ce qu'un patient soit privé de toute prise en charge de son traitement qu'à compter du mois de janvier 2014 au plus tôt, dans l'hypothèse d'une inobservance persistante ; que, par ailleurs, il ne ressort de l'instruction ni que l'arrêté contesté établirait, par lui-même, un traitement de données personnelles de nature à porter une atteinte à la protection des données relatives à la vie privée garantie par la loi justifiant sa suspension ni que son application à compter du 1er juin serait de nature à créer des difficultés administratives ou économiques difficilement surmontables dans l'hypothèse où le Conseil d'Etat prononcerait ultérieurement son annulation pour excès de pouvoir ; qu'il résulte de tout ce qui précède que la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est pas remplie ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de légalité soulevés par les associations requérantes, que la requête de l'Union nationale des associations de santé à domicile et de la Fédération française des associations et amicales des insuffisants respiratoires doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article 1er : Les interventions de la société Philips France, du Syndicat national des prestataires de santé à domicile, de la société ResMed, de l'Union des fabricants d'aides techniques et de la société Air Liquide Medical Systems sont admises.

Article 2 : La requête de l'Union nationale des associations de santé à domicile et de la Fédération française des associations et amicales des insuffisants respiratoires est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Union nationale des associations de santé à domicile, à la Fédération française des associations et amicales des insuffisants respiratoires, à la Haute Autorité de santé, à la ministre des affaires sociales et de la santé, au ministre de l'économie et des finances, à la société Philips France, au Syndicat national des prestataires de santé à domicile, à la société ResMed, à l'Union des fabricants d'aides techniques et à la société Air Liquide Medical Systems.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 367341
Date de la décision : 02/05/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 02 mai. 2013, n° 367341
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:367341.20130502
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