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24/04/2013 | FRANCE | N°352310

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 24 avril 2013, 352310


Vu le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, enregistré le 31 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11 MA01668 du 30 juin 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a réformé le jugement du tribunal administratif de Nice du 12 juillet 2005 et, après avoir prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. C...B...a été assujetti au titre des années 1994 et 1995

à raison des rehaussements apportés aux résultats de l'EURL MCP Organi...

Vu le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, enregistré le 31 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11 MA01668 du 30 juin 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a réformé le jugement du tribunal administratif de Nice du 12 juillet 2005 et, après avoir prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. C...B...a été assujetti au titre des années 1994 et 1995 à raison des rehaussements apportés aux résultats de l'EURL MCP Organisation, a réduit ces cotisations à hauteur du montant résultant de l'application à celui-ci du régime d'imposition distincte ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M.B... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Matt, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. B...,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. B... ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la vérification de la comptabilité de l'EURL MCP Organisation, dont M. B...était le gérant et l'associé unique, l'administration a remis en cause le bénéfice du régime d'exonération institué par l'article 44 sexies du code général des impôts au profit de certaines entreprises nouvelles, sous lequel cette société s'était placée ; que les déclarations souscrites par M. et Mme B...au titre des années 1994 et 1995 ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces à l'issue duquel l'administration a, notamment, tiré les conséquences de cette vérification de comptabilité et mis à la charge de M. et Mme B...des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu ; que M. B... s'est pourvu en cassation contre l'article 3 de l'arrêt du 24 juin 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nice du 12 juillet 2005 rejetant sa demande de décharge de ces cotisations ; que, par une décision du 15 avril 2011, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet article 3 au motif que M. et Mme B...devaient faire l'objet d'une imposition distincte et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Marseille ; que, par un nouvel arrêt du 30 juin 2011, contre lequel le ministre se pourvoit en cassation, la cour a, d'une part, prononcé la décharge des cotisations supplémentaires assignées à M. B...à raison de la remise en cause du bénéfice du régime de l'article 44 sexies du code général des impôts, d'autre part réduit les cotisations supplémentaires restant à sa charge, à hauteur de la différence des droits résultant de l'application du régime de l'imposition séparée et de celle du régime de l'imposition commune ;

Sur les conclusions à fin de non-lieu :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 4 du code de justice administrative : " Sauf dispositions législatives spéciales, les requêtes n'ont pas d'effet suspensif s'il n'en est autrement ordonné par la juridiction. " ;

3. Considérant que la circonstance que l'administration ait, en application de l'article L. 4 du code de justice administrative et en exécution de l'arrêt attaqué, prononcé un dégrèvement des cotisations litigieuses, ne saurait avoir pour effet de priver d'objet le pourvoi du ministre; que, par suite, les conclusions à fin de non-lieu présentées par M. B... ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur l'application du régime d'exonération pour les entreprises nouvelles :

4. Considérant qu'aux termes du I de l'article 44 sexies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Les entreprises créées à compter du 1er octobre 1988 soumises de plein droit ou sur option à un régime réel d'imposition de leurs résultats et qui exercent une activité industrielle, commerciale ou artisanale au sens de l'article 34 sont exonérées d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés jusqu'au terme du vingt-troisième mois suivant celui de leur création et déclarés selon les modalités prévues à l'article 53 A. " ; qu'en excluant du champ d'application de ce régime " les entreprises créées dans le cadre d'une extension d'activités préexistantes ", le législateur a entendu en refuser le bénéfice aux entreprises qui, eu égard à la similarité ou à la complémentarité de leur objet par rapport à celui d'entreprises antérieurement créées et aux liens de dépendance qui les unissent à ces dernières, sont privées de toute autonomie réelle et constituent de simples émanations de ces entreprises ;

5. Considérant que, pour l'application des dispositions précitées, la cour a jugé que l'EURL MCP Organisation ne pouvait être regardée comme une simple émanation de la SARL A...A...Production, dès lors que M. B...était l'associé unique de la première et ne détenait aucune part sociale de la seconde et que, de ce fait, il n'existait aucun lien capitalistique entre les deux entreprises ; qu'en jugeant ainsi qu'une situation de dépendance d'une entreprise par rapport à une autre, privant la première de toute autonomie réelle et de nature à la faire regarder comme une simple émanation de la seconde, suppose nécessairement l'existence de liens capitalistiques entre les deux entreprises, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, l'article 1er de l'arrêt attaqué, qui décharge M. B...des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu qui lui ont été assignées au titre des années 1994 et 1995 à raison du rehaussement des résultats de l'EURL MCP Organisation, doit être annulé ;

6. Considérant que doivent être annulés, par voie de conséquence, l'article 2 de l'arrêt attaqué, qui réduit " les suppléments d'impôt sur le revenu restant assignés à M. B...au titre des années 1994 et 1995 à hauteur du montant résultant de l'application à celui-ci du régime d'imposition séparée ", son article 3, qui réforme le jugement du tribunal administratif de Nice du 12 juillet 2005, son article 4, qui met à la charge de l'Etat, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à M. B...d'une somme de 1 500 euros et son article 5, qui rejette le surplus des conclusions de l'intéressé ;

7. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'État statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

8. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables " ; que si ces dispositions ont pour conséquence que toute vérification de comptabilité doit en principe se dérouler dans les locaux de l'entreprise vérifiée, la vérification n'est toutefois pas nécessairement entachée d'irrégularité du seul fait qu'elle ne s'est pas déroulée dans ces locaux ; qu'il en va ainsi lorsque, notamment, la comptabilité ne se trouve pas dans l'entreprise et que, d'un commun accord entre le vérificateur et les représentants de celle-ci, les opérations de vérification se déroulent au lieu où se trouve la comptabilité, dès lors que cette circonstance ne fait, par elle-même, pas obstacle à ce que la possibilité d'engager avec le vérificateur un débat oral et contradictoire demeure offerte aux représentants de l'entreprise vérifiée ;

9. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des articles 4 et 6 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques que, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires excluant l'application d'un tel principe dans les cas particuliers qu'elles déterminent, les avocats ont qualité pour représenter leurs clients devant les administrations publiques sans avoir à justifier du mandat qu'ils sont réputés avoir reçu de ces derniers, dès lors qu'ils déclarent agir pour leur compte ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire applicable au déroulement de la procédure d'imposition ne subordonne la possibilité pour un avocat de représenter un contribuable à la justification du mandat qu'il a reçu ;

10. Considérant que la vérification de comptabilité s'est déroulée au cabinet de Me D...où la comptabilité de l'entreprise était entreposée sur demande des représentants de cette dernière ; que si M. B...soutient que la télécopie datée du 11 décembre 1996 contenant cette demande n'émanait pas de lui, dès lors qu'elle provenait du cabinet de MeD..., cette circonstance, à la supposée établie, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure de vérification, dès lors que Me D...représentait valablement l'entreprise ; que, par ailleurs, il résulte de l'instruction que M. B... a rencontré le vérificateur au cabinet de son conseil le 4 février 1997, sans émettre la moindre réserve sur le lieu de la vérification ; que les conditions d'intervention du vérificateur ne peuvent dès lors être regardées, par elles-mêmes, comme ayant été de nature à faire obstacle à la possibilité d'engager un débat oral et contradictoire ; que M. B... n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il aurait été privé de débat oral et contradictoire en soutenant qu'il n'a personnellement rencontré le vérificateur qu'à une seule reprise ;

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'application du régime d'imposition distincte des époux :

11. Considérant qu'il résulte du 4 de l'article 6 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, que, dans le cas d'époux séparés de biens, le simple fait que les intéressés résident sous des toits séparés entraîne leur imposition distincte, dès lors que cette résidence n'a pas un caractère temporaire ;

12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...et MmeA..., qui ont été mariés du 15 novembre 1993 au 13 mars 1998 sous le régime de la séparation de biens, vivaient sous des toits séparés au cours de chacune des années d'imposition en litige, alors même qu'ils se retrouvaient en fin de semaine quand leurs obligations professionnelles et familiales respectives le leur permettaient ; que, par suite, ils devaient faire l'objet d'une imposition distincte ; que, toutefois, lorsque l'impôt est établi sur la base de l'ensemble des revenus perçus par le foyer fiscal alors que chacun des époux aurait dû faire l'objet d'une imposition séparée, l'erreur ainsi commise par l'administration ne peut s'analyser, contrairement à ce que soutient M.B..., comme une erreur sur la personne du redevable ; qu'il suit de là que M. B...est seulement fondé à demander la réduction de ses bases d'imposition dans la mesure où celles-ci auraient, à tort, compris les revenus perçus par MmeA... ;

En ce qui concerne l'application du régime d'exonération pour les entreprises nouvelles :

12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SARL A...A...Production, dont le capital social était détenu par l'épouse de M. B...et par son beau-frère, a pour objet la production d'artistes et la coproduction de spectacles ; que l'EURL MCP Organisation, qui a pour activité la promotion et l'organisation de spectacles dans la région sud-est de la France, a été constituée le 24 septembre 1993 par M.B..., après son mariage ; qu'au cours des années 1994 et 1995, et jusqu'à son divorce, l'EURL MCP Organisation réalisait l'essentiel de son chiffre d'affaires avec la SARL A...A...Production ; que la SARL A...A...Production ne traitait pour l'essentiel qu'avec l'EURL MCP Organisation dans son secteur géographique d'activité ; que M. B... exerçait également les fonctions de directeur de la SARL Omega Gestion, gestionnaire de la salle de spectacles Zénith Omega à Toulon, dont le président-directeur général était son beau-frère et où une part importante des spectacles organisés par l'EURL MCP Organisation se déroulait ; que, par ailleurs, le siège de l'EURL MCP Organisation était situé dans des bureaux loués à la SARL A...A...Production, à la même adresse que le siège de cette dernière ; qu'enfin, l'EURL MCP Organisation utilisait, pour son fonctionnement, le service comptable et le service du personnel de la SARL A...A...Production ; qu'ainsi, s'il n'existait pas de liens capitalistiques entre les deux sociétés, M. B...étant seul détenteur des parts de sa société et ne détenant aucune des parts de la SARL A...A...Production, les conditions d'exploitation de l'EURL MCP Organisation ainsi que les liens personnels existant entre les associés des deux entreprises caractérisent un lien de dépendance entre l'EURL MCP Organisation et la SARL A...A...Production, de nature à priver la première de toute autonomie réelle et à en faire une simple émanation de la seconde ;

13. Considérant que l'activité de l'EURL MCP Organisation constituait ainsi une extension de l'activité préexistante exercée par la SARL A...A...Production ; que ce seul motif justifiait le refus d'accorder à l'EURL le bénéfice de l'exonération prévue en faveur des entreprises nouvelles, sans qu'il soit besoin d'examiner le bien-fondé des autres motifs pour lesquels ce bénéfice a été écarté ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 12 juillet 2005, le tribunal administratif de Nice ne lui a pas accordé la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1994 et 1995 à raison de l'application du régime d'imposition distincte ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 1er à 5 de l'arrêt du 30 juin 2011 de la cour administrative d'appel de Marseille sont annulés.

Article 2 : L'impôt sur le revenu dû par M. B...au titre des années 1994 et 1995 est calculé sur la base de ses revenus propres, déduction faite de ceux de MmeA..., en faisant application du régime d'imposition distincte.

Article 3 : M. B...est déchargé de la différence entre l'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre des années 1994 et 1995 et celui qui résulte de l'article 2.

Article 4 : Le jugement du 12 juillet 2005 du tribunal administratif de Nice est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 5 : Les conclusions de M. B...présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et le surplus des conclusions de sa requête présentée devant la cour administrative d'appel de Marseille sont rejetés.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à M. C... B....


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 352310
Date de la décision : 24/04/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-01-03 CONTRIBUTIONS ET TAXES. IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES. BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX. PERSONNES ET ACTIVITÉS IMPOSABLES. EXONÉRATION DE CERTAINES ENTREPRISES NOUVELLES (ART. 44 BIS ET SUIVANTS DU CGI). - EXONÉRATION PRÉVUE PAR L'ARTICLE 44 SEXIES DU CGI - EXCLUSION DES ENTREPRISES CRÉÉES DANS LE CADRE DE L'EXTENSION D'ACTIVITÉS PRÉEXISTANTES - ENTREPRISES PRIVÉES DE TOUTE AUTONOMIE RÉELLE ET CONSTITUANT DE SIMPLES ÉMANATIONS D'ENTREPRISES ANTÉRIEUREMENT CRÉÉES - NOTION - EXISTENCE DE LIENS CAPITALISTIQUES - CONDITION NÉCESSAIRE - ABSENCE.

19-04-02-01-01-03 Pour l'application des dispositions du I de l'article 44 sexies du code général des impôts (CGI), une situation de dépendance d'une entreprise par rapport à une autre, privant la première de toute autonomie réelle et de nature à la faire regarder comme une simple émanation de la seconde, ne suppose pas nécessairement l'existence de liens capitalistiques entre les deux entreprises.


Publications
Proposition de citation : CE, 24 avr. 2013, n° 352310
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Matt
Rapporteur public ?: M. Frédéric Aladjidi
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:352310.20130424
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