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10/04/2013 | FRANCE | N°367343

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 10 avril 2013, 367343


Vu la requête, enregistrée le 2 avril 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. MouradMoussaoui, détenu au... ; M. Moussaouidemande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1300439 du 22 mars 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Pau, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 15 mars 2013 du directeur du centre pénitentiaire de Lannemezan ordonnant son placement à

l'isolement ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3...

Vu la requête, enregistrée le 2 avril 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. MouradMoussaoui, détenu au... ; M. Moussaouidemande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1300439 du 22 mars 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Pau, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 15 mars 2013 du directeur du centre pénitentiaire de Lannemezan ordonnant son placement à l'isolement ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que son placement à l'isolement crée un danger caractérisé et imminent pour sa vie ;

- la mesure de placement à l'isolement, qui est entachée d'un détournement de procédure porte une atteinte grave et immédiate au principe selon lequel nul ne peut être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi qu'à son droit à la vie ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2013, présenté par la garde des sceaux, ministre de la justice, qui conclut au rejet de la requête ; elle soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la mesure contestée ne préjudicie pas de manière grave et immédiate à la situation actuelle du requérant ;

- il y a urgence à maintenir la décision litigieuse dès lors qu'elle est fondée sur un motif de sauvegarde de l'ordre public ;

- la décision contestée justifiée par le comportement du requérant ne porte aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 5 avril 2013, présenté pour M. Moussaoui, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; il soutient en outre que l'urgence à maintenir la décision contestée n'est pas avérée ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Moussaouiet, d'autre part, la garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 5 avril 2013 à 17 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. Moussaoui ;

- les représentants de la garde des sceaux, ministre de la justice ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 8 avril 2013 à 17 h ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 8 avril 2013, présenté par la garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 8 avril 2013, présenté pour M. Moussaoui ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. " ;

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.Moussaoui, qui est détenu au... ; qu'à la suite d'un avis médical déclarant son état incompatible avec un maintien en quartier disciplinaire, il a été placé, le même jour, à l'isolement, à titre provisoire ; que ce placement à l'isolement d'office a été confirmé par le directeur du centre pénitentiaire de Lannemezan, le15 mars 2013, pour une durée de trois mois ; que l'intéressé a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Pau, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de cette décision ; que M. Moussaoui relève appel de l'ordonnance du 22 mars 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'état psychique de M. Moussaoui, dont le comportement en détention apparaît à la fois instable et agressif, est particulièrement préoccupant ; qu'ainsi, depuis son incarcération en 2001, l'intéressé a commis deux tentatives de suicide ; qu'il a fait l'objet à de nombreuses reprises de mesures de surveillance spécifique ; que, depuis son transfert au centre pénitentiaire de Lannemezan, il a été mis fin, sur recommandation médicale, à l'exécution de plusieurs des punitions de mise en cellule disciplinaire qui lui ont été infligées ; que, par un certificat daté du 18 mars 2013, un médecin psychiatre a certifié que l'état psychique de M. Moussaouin'était pas compatible avec son maintien à l'isolement ; qu'il est soutenu que, dans ces conditions, l'exécution de la décision litigieuse caractérise une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ainsi qu'une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie et au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants qui constituent des libertés fondamentales au sens des mêmes dispositions ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 726-1 du code de procédure pénale : " Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l'autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d'office. Cette mesure ne peut être renouvelée pour la même durée qu'après un débat contradictoire, au cours duquel la personne concernée, qui peut être assistée de son avocat, présente ses observations orales ou écrites. L'isolement ne peut être prolongé au-delà d'un an qu'après avis de l'autorité judiciaire. Le placement à l'isolement n'affecte pas l'exercice des droits visés à l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, sous réserve des aménagements qu'impose la sécurité. Lorsqu'une personne détenue est placée à l'isolement, elle peut saisir le juge des référés en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative [...] " ; que l'article R. 57-7-62 du même code dispose que : " La mise à l'isolement d'une personne détenue, par mesure de protection ou de sécurité, qu'elle soit prise d'office ou sur la demande de la personne détenue, ne constitue pas une mesure disciplinaire. La personne détenue placée à l'isolement est seule en cellule. Elle conserve ses droits à l'information, aux visites, à la correspondance écrite et téléphonique, à l'exercice du culte et à l'utilisation de son compte nominatif. Elle ne peut participer aux promenades et activités collectives auxquelles peuvent prétendre les personnes détenues soumises au régime de détention ordinaire, sauf autorisation, pour une activité spécifique, donnée par le chef d'établissement. Toutefois, le chef d'établissement organise, dans toute la mesure du possible et en fonction de la personnalité de la personne détenue, des activités communes aux personnes détenues placées à l'isolement. La personne détenue placée à l'isolement bénéficie d'au moins une heure quotidienne de promenade à l'air libre. " ;

5. Considérant qu'eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'eu égard à la nature d'une mesure de placement d'office à l'isolement et à l'importance de ses effets sur la situation du détenu qu'elle concerne, l'administration pénitentiaire doit veiller, à tout moment de son exécution, à ce qu'elle n'ait pas pour effet, eu égard notamment à sa durée et à l'état de santé physique et psychique de l'intéressé, de créer un danger pour sa vie ou de l'exposer à être soumis à un traitement inhumain ou dégradant ; qu'à cet effet, il lui incombe en particulier de s'assurer du respect effectif des garanties prévues à l'article R. 57-7-63 du code de procédure pénale aux termes duquel : " La liste des personnes détenues placées à l'isolement est communiquée quotidiennement à l'équipe de l'unité de consultation et de soins ambulatoires de l'établissement. Le médecin examine sur place chaque personne détenue au.centre pénitentiaire de Lannemezan depuis le 6 décembre 2011, a fait l'objet, à la suite d'un incident survenu le 6 mars 2013, d'un placement en cellule disciplinaire, le 11 mars 2013 Ce médecin, chaque fois qu'il l'estime utile au regard de l'état de santé de la personne détenue, émet un avis sur l'opportunité de mettre fin à l'isolement et le transmet au chef d'établissement. " ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, en particulier des échanges menés au cours de l'audience publique et des éléments versés au dossier par l'administration à la suite de cette audience qu'alors même qu'il a décidé de maintenir M. B...à l'isolement en dépit d'un avis médical l'alertant sur l'incompatibilité de son état psychique avec une telle situation, le directeur du centre pénitentiaire de Lannemezan a pris la pleine mesure de la situation individuelle de l'intéressé et des garanties spécifiques que son état appelle ; que non seulement M. B...a bénéficié du suivi médical prévu à l'article R. 57-7-63 précité mais a fait l'objet d'une surveillance renforcée ; que, depuis le 12 mars 2013, il a ainsi été consulté à dix reprises, quatre fois par un médecin au titre de consultations somatiques, six fois par un médecin ou un infirmier au titre de consultations psychiatriques ; que, si aucun avis médical infirmant expressément celui formulé le 18 mars 2013 ne figure au dossier, il n'est pas contesté qu'aucune des consultations médicales effectuées depuis cette date n'a donné suite à un nouveau signalement ou à une recommandation qu'il soit mis fin à l'isolement du requérant ; que les trois comptes-rendus de la commission pluridisciplinaire unique qui s'est réunie, les 18 mars, 25 mars et 2 avril 2013 attestent d'une absence de signalement de la situation de M. B...de la part de l'Unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) ; que, dans ces conditions et alors même que le comportement du requérant n'est pas stabilisé et continue d'appeler une surveillance médicale renforcée de nature, le cas échéant, à alerter, en temps utile, le chef d'établissement sur la nécessité de mettre un terme à l'isolement litigieux, l'exécution de la décision contestée, qui devrait prendre fin dès l'intervention du transfert de M. B...vers un autre établissement qu'a sollicité le directeur du centre pénitentiaire de Lannemezan, ne caractérise pas, en l'état de l'instruction, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'appel de M. Moussaouidoit être rejeté y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu d'admettre M. Moussaouiau bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

O R D O N N E :

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Article 1er : M. Moussaouiest admis à l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : La requête de M. Moussaouiest rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. MouradMoussaouiet à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 367343
Date de la décision : 10/04/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 avr. 2013, n° 367343
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:367343.20130410
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