Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 août et 24 novembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération grenobloise, dont le siège est 3 rue Malakoff, à Grenoble (38000) ; il demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 1er, 2 , 3 et 4 de l'arrêt n° 10LY00093 du 23 juin 2011 par lesquels la cour administrative d'appel de Lyon, statuant sur sa requête tendant, d'une part, à l'annulation des articles 1er et 2 du jugement n° 0502759 du tribunal administratif de Grenoble du 13 novembre 2009 le condamnant à verser à la société du pipeline Méditerranée Rhône la somme de 566 816,17 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2005 en indemnisation des frais de déplacement de la section de pipeline implantée dans le secteur de la gare de Gières et, d'autre part, au rejet de la demande présentée au tribunal par cette société, a porté la condamnation mise à sa charge à 727 707,31 euros, a réformé le jugement attaqué, a rejeté ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a mis à sa charge le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de ces dispositions ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la société du pipeline Méditerranée Rhône la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la voirie routière ;
Vu la loi n° 58-336 du 29 mars 1958 portant loi de finances pour 1958, notamment son article 11 ;
Vu le décret n° 59-645 du 16 mai 1959 ;
Vu le décret du 8 mai 1967 autorisant la construction et l'exploitation d'une conduite d'intérêt général destinée au transport d'hydrocarbures liquides de Fos-sur-Mer à la vallée du Rhône et à Genève ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Esther de Moustier, Auditeur,
- les observations de la SCP Gadiou, Chevallier, avocat du syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération grenobloise et de la SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas, avocat de la société du pipeline méditerranée Rhône,
- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat du syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération grenobloise et à la SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas, avocat de la société du pipeline méditerranée Rhône ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour la construction et l'exploitation d'une conduite d'intérêt général destinée au transport d'hydrocarbures liquides de Fos-sur-Mer à la vallée du Rhône et à Genève, autorisées par un décret du 8 mai 1967, la société du pipeline Méditerranée Rhône (SPMR) a conclu des conventions relatives à la constitution de servitudes de passage avec les propriétaires des terrains qui devaient être traversés par cet oléoduc sur le territoire de la commune de Gières (Isère) ; que plusieurs de ces terrains, initialement privés, ont, postérieurement à l'implantation de l'oléoduc, été acquis en 1987 par cette commune et incorporés dans son domaine public routier ; qu'afin de permettre la réalisation par le syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération grenobloise (SMTC) du prolongement de la ligne B du tramway de l'agglomération grenobloise, la SPMR a été contrainte en août 2003 de déplacer un tronçon de cet oléoduc situé dans l'emprise de ce domaine public et a supporté le coût de ce transfert ; qu'en l'absence d'accord avec le SMTC sur la prise en charge financière de ces travaux, la SPMR a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à ce que le syndicat mixte soit condamné à lui verser une somme de 1 078 649,64 euros ; que le tribunal administratif de Grenoble puis la cour administrative d'appel de Lyon ont partiellement fait droit à sa demande ; que le SMTC se pourvoit en cassation contre les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt du 23 juin 2011 par lequel la cour a porté à 727 707,31 euros le montant de la condamnation prononcée par le tribunal administratif et contre son article 4 en tant qu'il a rejeté ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, par la voie du pourvoi incident, la SPMR demande l'annulation de l'article 4 de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation au titre du préjudice financier résultant de l'interruption de l'exploitation du pipe-line ;
Sur le pourvoi principal du SMTC :
2. Considérant qu'il résulte de l'article 1er du décret du 16 mai 1959 portant règlement d'administration publique pour l'application de l'article 11 de la loi de finances du 29 mars 1958 relatif à la construction dans la métropole des pipe-lines d'intérêt général destinés aux transports d'hydrocarbures liquides ou liquéfiés sous pression que ce décret, alors en vigueur et dont les dispositions sont désormais reprises au chapitre V du titre V du livre V de la partie réglementaire du code de l'environnement, sont applicables à la fois à la construction et à l'exploitation de telles conduites ;
3. Considérant que le titre II de ce décret, qui comprend les articles 9 à 22, fixe les règles applicables à l'acquisition de terrains privés, à l'expropriation et à l'établissement de servitudes de passage par le bénéficiaire d'une autorisation de construire et d'exploiter une conduite d'intérêt général destinée au transport d'hydrocarbures liquides ou liquéfiés ; qu'aux termes de l'article 9 : " Dès l'intervention du décret d'autorisation, le bénéficiaire peut entreprendre à l'amiable : / soit l'acquisition des terrains privés nécessaires à la construction et à l'exploitation de la conduite et des installations annexes ; / soit la constitution sur ces terrains des servitudes de passages visées à l'article 15 ci-dessous.(...) " ; que les articles 15 et 16 précisent les droits que ces servitudes confèrent à leur bénéficiaire et les obligations qui en résultent pour les propriétaires ou leurs ayants droit ;
4. Considérant que le titre III du même décret, qui comprend les articles 23 à 32, détermine les conditions dans lesquelles le bénéficiaire de l'autorisation a le droit d'occuper, contre versement d'une redevance annuelle, le domaine public là où la conduite autorisée le traverse ; qu'aux termes de l'article 28 : " Le bénéficiaire est tenu de déplacer ses conduites à toute demande des autorités dont relève le domaine public emprunté par elles, ou de l'un des ingénieurs en chef chargés du contrôle. / Le déplacement ou la modification des installations sont exécutés aux frais du bénéficiaire de l'autorisation, s'ils ont lieu dans l'intérêt de la sécurité publique ou bien dans l'intérêt de l'utilisation, de l'exploitation ou de la sécurité du domaine public emprunté par les canalisations ou affecté par leur fonctionnement. (...) " ;
5. Considérant, d'une part, que, dès lors qu'en vertu de son article 1er, ce décret, ainsi qu'il a été dit, a pour objet de fixer les conditions relatives à la fois à la construction et à l'exploitation d'une conduite destinée aux transports d'hydrocarbures liquides ou liquéfiés sous pression, les dispositions précitées de l'article 28 du décret sont applicables au bénéficiaire d'une autorisation de construction et d'exploitation d'un oléoduc si, au moment où il est saisi d'une demande de déplacement de cet ouvrage, celui-ci se trouve dans l'emprise du domaine public, alors même qu'au moment de sa réalisation, il traversait des terrains privés ; qu'en vertu de ces dispositions, le bénéficiaire de l'autorisation est tenu de déplacer l'ouvrage et supporte les frais de ce déplacement dans les conditions qu'elles prévoient ; que, cependant, s'il a, pour construire l'ouvrage, constitué des servitudes de passage sur des terrains initialement privés en indemnisant leurs propriétaires, il peut prétendre à l'indemnisation du préjudice qui résulte alors de la perte de ces servitudes, devenues incompatibles avec l'affectation du domaine public du fait du projet d'aménagement qui exige le déplacement de l'ouvrage ;
6. Considérant, dès lors, qu'en jugeant que, pour s'opposer aux prétentions de la SPMR, le SMTC ne pouvait invoquer les dispositions de l'article 28 du décret du 16 mai 1959 au motif qu'elles n'auraient été applicables que si l'oléoduc avait, dès sa construction, été implanté dans le sous-sol du domaine public, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le SMTC est fondé à demander l'annulation des articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt attaqué ainsi que de son article 4 en tant qu'il rejette ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur le pourvoi incident de la SPMR :
7. Considérant que, par son appel incident devant la cour, la SPMR a demandé que le jugement du tribunal administratif soit réformé en ce que, notamment, il avait rejeté sa demande d'indemnisation du préjudice financier résultant pour elle de l'interruption de l'exploitation de l'oléoduc pendant les travaux de déplacement de l'ouvrage ; qu'en relevant que la demande d'indemnisation de ce préjudice n'était assortie d'aucune précision, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ; qu'en en déduisant que les conclusions de la société devaient être rejetées, elle n'a pas commis d'erreur de droit ; que, dès lors, le pourvoi incident de la SPMR doit être rejeté ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SPMR une somme de 3 000 euros à verser au SMTC au titre de ces dispositions ; que celles-ci font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du SMTC, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 23 juin 2011 ainsi que son article 4 en tant qu'il rejette les conclusions présentées par le syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération grenobloise sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont annulés.
Article 2 : Le pourvoi incident de la société du pipeline Méditerranée Rhône et ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administratives sont rejetés.
Article 3 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure définie à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 4 : La société du pipeline Méditerranée Rhône versera au syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération grenobloise une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération grenobloise et à la société du pipeline Méditerranée Rhône.
Copie en sera transmise, pour information, à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.