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05/11/2012 | FRANCE | N°363203

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 05 novembre 2012, 363203


Vu la requête, enregistrée le 3 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Jean-Michel B, demeurant ... ; M. B demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision en date du 28 août 2012 par laquelle le président de l'université de Poitiers l'a suspendu de ses fonctions pour une durée de huit mois ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat ou, à titre subsidiaire, de l'université de Poitiers le verseme

nt de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justic...

Vu la requête, enregistrée le 3 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Jean-Michel B, demeurant ... ; M. B demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision en date du 28 août 2012 par laquelle le président de l'université de Poitiers l'a suspendu de ses fonctions pour une durée de huit mois ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat ou, à titre subsidiaire, de l'université de Poitiers le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :

- l'exécution de la décision contestée porte une atteinte grave et immédiate à sa situation, dès lors qu'elle lui interdit d'accéder aux locaux de l'université dans laquelle il enseigne ;

- l'exécution de la décision porte atteinte à l'intérêt public qui s'attache au maintien de l'ouverture de la formation continue de la licence professionnelle " Essais cliniques et validation " et à la poursuite tant de la recherche et du développement de l'industrie privée que de la recherche universitaire ;

- il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ;

- la décision a été prise sur le fondement d'une délégation de compétence irrégulière ;

- aucune faute ne peut lui être reprochée dans sa gestion de la licence professionnelle " Essais cliniques et validation " ;

Vu la décision dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cette décision ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2012, présenté pour l'université de Poitiers, qui conclut au rejet de la requête et demande au juge des référés de mettre à la charge de M. B le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que M. B conserve l'intégralité de sa rémunération et que la fermeture de la licence professionnelle ne résulte pas de la décision contestée ;

- il n'existe pas de doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ;

- l'arrêté du 10 février 2012 portant délégation de pouvoirs en matière de recrutement et de gestion de certains personnels enseignants des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche avait légalement donné compétence au président de l'université de Poitiers pour prendre une mesure de suspension ;

- la mesure de suspension est justifiée eu égard aux éléments dont l'université de Poitiers était en possession et compte tenu de la gravité des faits révélés ;

Vu les observations, enregistrées le 23 octobre 2012, présentées par le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 26 octobre 2012, présenté par M. B, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'éducation, notamment l'article L. 951-4 ;

Vu l'arrêté du 10 février 2012 portant délégation de pouvoirs en matière de recrutement et de gestion de certains personnels enseignants des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B, d'autre part, l'université de Poitiers ainsi que le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 26 octobre 2012 à 14 heures 30, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Boucard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B ;

- M. B ;

- Me Luc-Thaler, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'université de Poitiers ;

- la représentante du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 31 octobre 2012 à 16 heures, afin de permettre aux parties de verser au débat contradictoire des pièces complémentaires ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 31 octobre 2012, présenté par M. B, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; il soutient en outre qu'il y a un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée dès lors qu'à la date de la clôture de l'instruction, il n'a fait l'objet d'aucune audition ni dans le cadre de la procédure disciplinaire ni dans celui de la procédure pénale qui sont en cours ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2012, présenté pour l'université de Poitiers, qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que l'engagement de la procédure disciplinaire n'a pas pu être plus rapide dans la mesure où elle a dû se concilier avec le déroulement et les conséquences statutaires des élections universitaires ; que, dès lors que la décision contestée n'a de conséquence ni sur les activités de recherche du professeur B, ni sur les projets engagés par l'université, la condition d'urgence n'est pas satisfaite ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 951-4 du code de l'éducation : " Le ministre chargé de l'enseignement supérieur peut prononcer la suspension d'un membre du personnel de l'enseignement supérieur pour un temps qui n'excède pas un an, sans suspension de traitement " ; que l'article L. 951-3 de ce code autorise le ministre chargé de l'enseignement supérieur à déléguer aux présidents des universités tout ou partie de ses pouvoirs en matière de recrutement et de gestion des personnels relevant de son autorité ; qu'en application de ces dernières dispositions, l'article 2 de l'arrêté du 10 février 2012 portant délégation de pouvoirs en matière de recrutement et de gestion de certains personnels enseignants des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche, prévoit que " les présidents et les directeurs des établissements publics d'enseignement supérieur dont la liste est fixée à l'article 3 du présent arrêté reçoivent délégation des pouvoirs du ministre chargé de l'enseignement supérieur pour le recrutement et la gestion des personnels enseignants mentionnés à l'article 1er du présent arrêté en ce qui concerne : [...] 24. La suspension " ;

3. Considérant que M. B, professeur des universités, qui exerce les fonctions de professeur de physiologie à l'université de Poitiers, a fait l'objet d'une mesure de suspension décidée par le président de cette université, pour une durée de quatre mois, le 27 avril 2012 ; que, par la décision du 28 août 2012 dont M. B demande la suspension au juge des référés, le président de l'université a prolongé cette mesure de suspension pour une nouvelle durée de huit mois ;

4. Considérant que la suspension d'un professeur est une mesure de caractère conservatoire, prononcée dans le souci de préserver le bon fonctionnement du service public universitaire ; qu'elle permet, en particulier, d'écarter à titre provisoire un enseignant, dans l'attente de l'issue d'une procédure disciplinaire ou de poursuites pénales engagées à son encontre, lorsque la continuation des activités de l'intéressé au sein de l'établissement présente des inconvénients suffisamment sérieux pour le service ou pour le déroulement des procédures en cours ; que si l'autorité hiérarchique dispose à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation, le principe et la durée de la suspension ne doivent pas être manifestement excessifs au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce ;

5. Considérant qu'il résulte tant de l'instruction écrite que des débats au cours de l'audience publique, que la mesure de suspension contestée a été décidée compte-tenu de deux séries de griefs retenus à l'égard de M. B ; que les premiers, pour lesquels une action disciplinaire est en cours, tiennent aux conditions dans lesquelles se sont déroulées les inscriptions à la licence professionnelle d'essais cliniques et validations, dont M. B avait la responsabilité ; qu'il est, en particulier, reproché à ce dernier d'avoir admis à s'inscrire à cette licence, sans avoir informé les intéressés ni pris les précautions qui s'imposaient, des personnes qui ne disposaient pas, par ailleurs, d'une validation des acquis de leur expérience nécessaire pour que, compte-tenu du nombre d'heures d'enseignement dispensées, le diplôme de licence pût leur être délivré à l'issue de la formation ; que les seconds griefs, qui ont conduit l'université à déposer une plainte devant le procureur de la République, portent sur des conflits d'intérêts susceptibles d'avoir donné lieu, au travers de liens entretenus par M. B avec des laboratoires associés à l'enseignement dont il avait la responsabilité, à des agissements pénalement répréhensifs ;

6. Considérant que la suspension est au nombre des mesures de gestion pour lesquelles l'article L. 951-3 du code de l'éducation autorise le ministre chargé de l'enseignement supérieur à déléguer ses pouvoirs aux présidents d'université ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la délégation accordée par l'arrêté du 10 février 2012 aurait excédé le champ autorisé par la loi n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ;

7. Considérant, en revanche, que si, par leur nature, les griefs formulés à l'encontre de M. B sont susceptibles de justifier une mesure de suspension, la matérialité des faits invoqués et le caractère fautif des agissements imputés à l'intéressé sont contestés de manière telle, sans que l'administration apporte de présomptions précises au soutien de ses affirmations, qu'en l'état de l'instruction, l'existence de faits suffisamment graves pour rendre nécessaire, dans l'attente de l'issue des poursuites disciplinaires et pénales en cours, l'éloignement du service de M. B ne ressort pas des éléments portés à la connaissance du juge des référés ; que, bien qu'il ait été écarté de ses fonctions en avril puis que la suspension ait été prolongée en août par la décision contestée, M. B n'a, à la date de la présente ordonnance, été entendu ni dans le cadre de la procédure disciplinaire ni dans celui de la plainte pénale ; que, quels que soient les délais imposés par le renouvellement au printemps des instances dirigeantes de l'université, le moyen tiré de ce que la prolongation pendant une période aussi longue de la mesure de suspension litigieuse reposerait sur une appréciation manifestement erronée de l'ensemble des circonstances de l'espèce est, dans ces conditions, de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de cette mesure ;

8. Considérant que, si M. B conserve l'intégralité de sa rémunération, les conséquences qu'entraîne pour ses activités de recherche et pour l'encadrement des travaux de ses étudiants en doctorat, une suspension d'une durée aussi prolongée est de nature à constituer, dans les circonstances de l'espèce, une situation d'urgence ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B est fondé à demander la suspension de l'exécution de la mesure de suspension pour huit mois prise à son égard le 28 août 2012 par le président de l'université de Poitiers ;

10. Considérant que la décision contestée a été prise par le président de l'université de Poitiers au nom de l'Etat ; qu'en conséquence, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à M. B en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B le versement de la somme demandée à ce titre par l'université de Poitiers ;

O R D O N N E :

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Article 1er : Jusqu'à ce que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux se soit prononcé sur sa légalité, l'exécution de la décision en date du 28 août 2012 par laquelle le président de l'université de Poitiers a suspendu M. B de ses fonctions pour une durée de huit mois est suspendue.

Article 2 : L'Etat versera à M. B la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'université de Poitiers sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Jean-Michel B, à l'université de Poitiers et à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 363203
Date de la décision : 05/11/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 nov. 2012, n° 363203
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bernard Stirn
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER ; SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:363203.20121105
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