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02/11/2012 | FRANCE | N°363570

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 02 novembre 2012, 363570


Vu, 1° sous le n° 363570, la requête, enregistrée le 29 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Djamila C, demeurant chez ... ; Mme C demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1202157, 1202155 du 15 octobre 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la suspension de la décision du 4 octobre 2012 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle

lui a refusé l'admission au séjour, a reporté à dix-huit mois la validi...

Vu, 1° sous le n° 363570, la requête, enregistrée le 29 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Djamila C, demeurant chez ... ; Mme C demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1202157, 1202155 du 15 octobre 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la suspension de la décision du 4 octobre 2012 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a refusé l'admission au séjour, a reporté à dix-huit mois la validité de l'accord de réadmission des autorités polonaises et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet de réexaminer sans délai sa situation personnelle et familiale, de lui délivrer une autorisation de séjour en vue de l'examen de sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui assurer des moyens de subsistance dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de lui accorder l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son avocat, la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'arrêté litigieux peut être exécuté d'office et que le refus d'enregistrement de sa demande d'asile porte une atteinte grave et immédiate à sa situation ;

- l'arrêté litigieux a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ;

- c'est à tort que le préfet a estimé qu'elle avait pris la fuite pour porter à dix-huit mois le délai de réadmission sur le fondement de l'article 19.4 du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 janvier 2003 ;

Vu, 2° sous le n° 363579, la requête, enregistrée le 29 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Muraz D, demeurant chez ... ; M. D demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la même ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nancy, en tant qu'elle le concerne ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de lui accorder l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son avocat, la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

il invoque les mêmes moyens que la requête n° 363570 ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu, sous les n°s visés-dessus, le mémoire complémentaire, enregistré le 2 novembre 2012, présenté pour Mme C et M. D, qui reprennent les conclusions de leur requête et les mêmes moyens ; ils soutiennent en outre que :

- il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Meurthe-et-Moselle ait informé les autorités polonaises de la prolongation du délai de réadmission à dix-huit mois en application des prescriptions de l'article 9 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- les arrêtés litigieux portent une atteinte grave et manifestement illégale au respect de leur vie familiale ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2012, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet des requêtes ; il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que Mme C et M. D n'ont pas contesté les décisions de refus de séjour dont ils ont fait l'objet et qu'ils bénéficient d'un hébergement adéquat ;

- aucun des moyens soulevés dans les requêtes n'établit l'existence d'une atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 janvier 2003 et le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, pris pour son application ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme C et M. D et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 2 novembre 2012 à 15 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme C et de M. D ;

- la représentante du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;

1. Considérant que les requêtes de Mme C et de M. D présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. " ;

3. Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; que, s'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en vertu du 1° de cet article, l'admission en France d'un étranger qui demande à être admis au bénéfice de l'asile peut être refusée si l'examen de sa demande relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003 ; que l'article 19 de ce règlement prévoit que le transfert du demandeur d'asile vers le pays de réadmission doit se faire dans les six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge, le demandeur d'asile étant, si nécessaire, muni par l'Etat membre requérant d'un laissez-passer conforme à un modèle, et que ce délai peut être porté à dix-huit mois si l'intéressé " prend la fuite " ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme C et M. D, de nationalité géorgienne, ont sollicité l'asile en Pologne, où il a été procédé au relevé de leurs empreintes digitales par le système " Eurodac " ; qu'ils sont entrés en France avec leurs deux enfants, âgés d'un et trois ans, le 23 février 2010, et se sont présentés à la préfecture de la Moselle pour y solliciter leur admission au séjour en vue d'obtenir l'asile ; que le préfet de ce département, par deux arrêtés du 27 mars 2012, a toutefois refusé de les admettre au séjour, sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en relevant que, par application du règlement du 18 février 2003, la Pologne était l'Etat responsable de l'examen de leur demande d'asile et avait accepté leur prise en charge le 16 mars 2012 ; que, le 10 septembre 2012, le préfet de Meurthe-et-Moselle a notifié aux intéressés ses décisions du 3 septembre de procéder à leur réadmission vers la Pologne ; que la police de l'air et des frontières de l'aéroport de Roissy n'a pu procéder à l'exécution de ces mesures, les requérants ne s'étant pas présentés à l'embarquement sur le vol prévu à destination de Varsovie le 13 septembre ; que, par deux décisions du 4 octobre 2012, le préfet leur a fait connaître qu'il avait porté à dix-huit mois le délai d'exécution de la mesure de réadmission ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a rejeté, pour défaut d'urgence, la demande que Mme C et M. D avait présentée, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu'il soit enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sans délai leur situation personnelle et familiale, de leur délivrer une autorisation de séjour en vue de l'examen de leur demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de leur assurer des moyens de subsistance ;

5. Considérant, en premier lieu, que pour juger que la condition d'urgence particulière requise par les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'était pas satisfaite, le premier juge a relevé que les décisions du 4 octobre 2012 ne sont, dans la mesure où elles précisent que le transfert en Pologne des intéressés est reporté au 16 septembre 2013, pas susceptibles de recevoir une exécution immédiate ; que toutefois, ce report concerne seulement la date limite d'exécution de la réadmission, jusqu'à laquelle, selon le préfet, la Pologne demeure responsable de l'examen des demandes d'asile des requérants, en application des dispositions rappelées ci-dessus du règlement du 18 février 2003 ; que ce report est en revanche sans incidence sur la possibilité, ouverte à l'administration par les dispositions de l'article L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de procéder à tout moment à l'exécution d'office de la mesure de la réadmission ; que, dans les circonstances de l'espèce et alors qu'il n'apparaît pas, contrairement à ce que soutient le ministre, que les requérants auraient eux-mêmes créé la situation dont ils se prévalent, c'est à tort que le premier juge a estimé que la condition d'urgence ne pouvait être regardée comme remplie ;

6. Considérant, en second lieu, que la notion de fuite au sens de l'article 19 du règlement du 18 février 2003 doit s'entendre comme visant notamment le cas où un ressortissant étranger non admis au séjour se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant ;

7. Considérant que, d'une part, la circonstance que les requérants n'ont pas spontanément donné suite à l'invitation qui leur était faite, par les décisions du 27 mars 2012, de quitter la France dans le délai d'un mois suivant ces décisions ne saurait suffire à caractériser un comportement de fuite ; que, d'autre part, s'il n'est pas contesté que Mme C, M. D et leurs enfants ne se sont pas présentés à la convocation, qui leur avait été notifiée le 10 septembre 2012 pour le 13, d'avoir à se présenter au service de la police aux frontières à Roissy en vue d'un embarquement dans un vol à destination de Varsovie, il résulte de l'instruction qu'ils ont tenté de s'y rendre par leurs propres moyens mais n'ont pu y parvenir à temps ; qu'en outre, lorsque, comme en l'espèce, la procédure de transfert du demandeur d'asile est celle du départ contrôlé, au sens de l'article 7 du règlement du 2 septembre 2003, il appartient en principe à l'Etat responsable de ce transfert d'en assurer effectivement l'organisation matérielle, le cas échéant à partir du lieu de résidence du demandeur ; que, dans ces conditions, les requérants ne peuvent être regardés comme s'étant intentionnellement et systématiquement soustraits à l'exécution de la mesure de réadmission dont ils faisaient l'objet ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les faits invoqués par l'administration pour estimer que la Pologne demeure responsable de l'examen des demandes d'asile en dépit de l'expiration du délai de six mois ne révèlent, dans les circonstances de l'espèce, aucun comportement de fuite au sens de l'article 19 du règlement du 18 février 2003 ; qu'il apparaît ainsi qu'en refusant d'admettre les requérants au séjour au titre de l'asile, le préfet a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile de Mme C et de M. D ; que, par suite, ces derniers sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes ;

9. Considérant qu'il y a lieu d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle, dès lors qu'il n'est pas soutenu que les intéressés entreraient dans l'un des autres cas prévus à l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de leur délivrer, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, l'autorisation provisoire de séjour leur permettant de présenter leur demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ; qu'il n'y a cependant pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ; qu'il n'y a pas lieu non plus d'ordonner au préfet de leur assurer des moyens de subsistance, dès lors que, ainsi qu'il a été confirmé lors de l'audience, la prise en charge de leur hébergement et le versement de l'allocation dont ils bénéficient depuis le mois de février 2012 n'ont pas cessé ;

10. Considérant, enfin, que dans le dernier état des conclusions d'appel, telles qu'elles ont été précisées à l'audience par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation qui représente les requérants, les demandes initialement présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 par l'avocat au barreau qu'ils avaient mandaté doivent, en tout état de cause, être regardées comme abandonnées ; qu'il en va de même des demandes d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance n° 1202157, 1202155 du 15 octobre 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de délivrer à Mme Djamila C et à M. Muraz D, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, une autorisation provisoire de séjour leur permettant de présenter leur demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par Mme C et par M. D est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme Djamila C, à M. Muraz D et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 363570
Date de la décision : 02/11/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 02 nov. 2012, n° 363570
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jacques Arrighi de Casanova
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:363570.20121102
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