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04/10/2012 | FRANCE | N°362379

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 04 octobre 2012, 362379


Vu la requête enregistrée le 31 août 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Autosock A.S., dont le siège est Fred Olsens gt 2, à Oslo (N-0107) en Norvège, représentée par ses représentants légaux en exercice ; la société demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution, d'une part, de la décision fixant la liste des équipements spéciaux conformes aux dispositions de l'arrêté du 18 juillet 1985 relatif au

x dispositifs antidérapants équipant les pneumatiques, publiée et tenue à jour s...

Vu la requête enregistrée le 31 août 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Autosock A.S., dont le siège est Fred Olsens gt 2, à Oslo (N-0107) en Norvège, représentée par ses représentants légaux en exercice ; la société demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution, d'une part, de la décision fixant la liste des équipements spéciaux conformes aux dispositions de l'arrêté du 18 juillet 1985 relatif aux dispositifs antidérapants équipant les pneumatiques, publiée et tenue à jour sur le site internet de la gendarmerie nationale en tant qu'elle ne vise plus les équipements de type chaînes textiles ou " chaussettes neige " et, d'autre part, de la décision implicite par laquelle le chef du service d'information et de relations publiques (SIRPA) de la gendarmerie nationale a refusé de modifier cette liste en y incluant les chaînes textiles ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réinscrire les " chaussettes neige " sur la liste publiée sur le site internet de la gendarmerie nationale dans un délai de dix jours, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance ;

3° ) d'enjoindre, en toute hypothèse, au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de réinscription des chaînes textiles dans la liste des équipements autorisés dans un délai de dix jours sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- la requête est recevable dès lors qu'elle est dirigée contre des décisions administratives faisant grief ;

- le Conseil d'Etat est compétent en application des dispositions des articles R. 311-1 et R. 341-1 du code de justice administrative ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que les décisions contestées portent une atteinte grave et immédiate à sa situation économique et financière ;

- il existe un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées ;

- les décisions litigieuses ont été adoptées par une autorité incompétente ;

- elles sont entachées d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de qualification juridique des faits dès lors qu'elles ne mentionnent pas les chaînes textiles dans la liste des équipements spéciaux autorisés sur route enneigée ;

- elles portent atteinte au principe de libre concurrence et méconnaissent le principe d'égalité ;

Vu les décisions dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation des décisions contestées ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2012, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête et, à titre subsidiaire, à son rejet au fond ; il soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors qu'elle n'est pas dirigée contre des décisions administratives faisant grief ;

- à supposer la requête recevable, la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la société n'établit pas l'existence d'une atteinte grave et immédiate à sa situation financière et économique ;

- il n'existe pas de doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

- le chef du SIRPA de la gendarmerie nationale est compétent pour modifier le contenu du site internet de cette institution ;

- il n'est pas établi que le site internet exclue les chaînes textiles du paragraphe portant sur les chaînes obligatoires en présence du signal B26 ;

- la société requérante ne démontre pas que son produit répond aux critères posés par l'arrêté du 18 juillet 1985 ;

- il n'est pas porté atteinte au principe de libre concurrence ou au principe d'égalité ;

Vu les observations, enregistrées le 17 septembre 2012, présentées par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 19 septembre 2012, présenté pour la société Autosock A.S., qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle prend acte en outre que :

- le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ne se prononce pas sur la compatibilité des chaînes textiles avec les dispositions de l'arrêté du 18 juillet 1985 ;

- le ministre chargé des transports n'établit pas que les chaînes textiles ne seraient pas autorisées en présence du signal B26 ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2012, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut à nouveau au rejet de la requête par les mêmes moyens ; il soutient en outre que :

- les chaînes textiles de la société Autosock A.S. ne sont pas conformes aux dispositions de l'arrêté du 18 juillet 1985 ;

- le certificat de conformité produit par la société requérante est irrecevable et inopposable ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la route ;

Vu l'arrêté du 18 juillet 1985 du ministre de l'urbanisme, du logement et des transports ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Autosock A.S., d'autre part, le ministre de l'intérieur et le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 21 septembre 2012 à 11 heures, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Autosock A.S. ;

- les représentants de la société Autosock A.S. ;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur :

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; qu'il résulte de ces dispositions que, comme la requête en annulation, les conclusions à fin de suspension ne peuvent être dirigées que contre une décision administrative faisant grief ;

2. Considérant que l'arrêté du 18 juillet 1985 relatif aux dispositifs antidérapants équipant les pneumatiques définit, en ses articles 8 à 11, les conditions dans lesquelles les dispositifs antidérapants amovibles peuvent être regardés comme " équipements spéciaux obligatoires " et permettent la circulation sur les tronçons de route munis de signal B 26 ; que l'article 8 de l'arrêté précise que " tous les autres équipements hivernaux amovibles ne sont considérés que comme des dispositifs de démarrage à l'utilisation très exceptionnelle " ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le site de la gendarmerie nationale comporte une page relative aux équipements spéciaux de sécurité routière qui doit, eu égard à sa formulation impérative, être regardée comme énumérant de façon exhaustive, à l'attention des conducteurs, les dispositifs jugés conformes aux dispositions déjà citées de l'arrêté du 18 juillet 1985 ; que les dispositions ainsi mises en ligne ne se bornent pas à commenter de façon indicative les dispositions de l'arrêté du 18 juillet 1985 mais doivent être regardées comme ayant un caractère impératif, notamment par les conducteurs souhaitant se conformer à la réglementation routière et par les distributeurs d'équipements automobiles souhaitant s'assurer que les dispositifs mis en vente sont conformes à cette réglementation ;

4. Considérant que la société requérante doit dès lors être regardée comme recevable à contester la décision de mettre en ligne des prescriptions générales relatives aux dispositifs conformes à l'arrêté du 18 juillet 1985, ainsi que la décision implicite du chef du service d'information et de relations publiques (SIRPA) de la gendarmerie nationale, prise au nom du ministre de l'intérieur, refusant de modifier cette liste afin d'y faire figurer, comme par le passé, les chaînes textiles ;

Sur la condition d'urgence :

5. Considérant que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il résulte de l'instruction que la société requérante a, depuis le retrait de la mention des chaînes textiles qui figurait précédemment sur la page en cause du site internet de la gendarmerie nationale, constaté une diminution considérable, de près des deux tiers, des ventes du produit qu'elle commercialise sur le marché français ; que la société requérante soutient en outre que les distributeurs des équipements automobiles attachent une grande importance à la reconnaissance, par les pouvoirs publics, de la conformité des équipements en cause à l'arrêté du 18 juillet 1985 ; qu'il résulte de l'instruction et notamment des précisions apportées au cours de l'audience que des distributeurs ont choisi de ne plus commercialiser le produit vendu par la société requérante en raison de la modification intervenue sur le site internet de la gendarmerie nationale ; qu'en outre, la société fait valoir que les ventes des chaînes textiles sont marquées par une forte saisonnalité, le chiffre d'affaires étant concentré sur une période de l'année, au cours de laquelle les automobilistes s'équipent en prévision de l'hiver ; que dans ces conditions, l'exécution des décisions contestées porte aux intérêts de la société requérante une atteinte suffisamment grave et immédiate pour que la condition d'urgence soit regardée comme remplie ;

Sur l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées :

6. Considérant, d'une part, que le moyen tiré de ce que le ministre de l'intérieur aurait, en déterminant de manière impérative les dispositifs jugés conformes à l'arrêté du 18 juillet 1985, excédé sa compétence, revêt, en l'état de l'instruction, un caractère sérieux ;

7. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que la société requérante a entrepris de faire certifier les caractéristiques techniques des chaînes textiles qu'elle commercialise par la société TUV Automobile GMBH, qui s'est livrée à des tests approfondis permettant d'évaluer les performances techniques de ces équipements ; que le moyen tiré de ce que le ministre de l'intérieur aurait, en estimant que les chaînes textiles n'étaient pas conformes aux dispositions de l'arrêté du 18 juillet 1985, commis une erreur manifeste d'appréciation revêt, en l'état de l'instruction, un caractère sérieux ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, la demande de la société requérante tendant à la réinscription de la mention des " chaussettes neige " sur la liste mise en ligne sur le site internet de la gendarmerie nationale, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme de 2 000 euros ;

O R D O N N E :

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Article 1er : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de la société Autosock tendant à la réinscription de la mention des " chaussettes neige " sur la liste mise en ligne sur le site internet de la gendarmerie nationale dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la société Autosock en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Autosock A.S. et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée pour information au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 362379
Date de la décision : 04/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 oct. 2012, n° 362379
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle de Silva
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:362379.20121004
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