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17/09/2012 | FRANCE | N°356620

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 17 septembre 2012, 356620


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 février et 9 mars 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Marie B, demeurant ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 1101088 du 13 janvier 2012 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion l'a, sur saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, déclaré inéligible à toutes les élections pendant une période de dix-huit mois à compter de la date à laquelle le jugement sera

devenu définitif ;

2°) de mettre à la charge de la Commission nationale...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 février et 9 mars 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Marie B, demeurant ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 1101088 du 13 janvier 2012 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion l'a, sur saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, déclaré inéligible à toutes les élections pendant une période de dix-huit mois à compter de la date à laquelle le jugement sera devenu définitif ;

2°) de mettre à la charge de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques le versement de la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code électoral ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Josse, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B,

- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B ;

1. Considérant que par décision du 20 octobre 2011, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne de M. B, candidat à l'élection au mandat de conseiller général dans le cinquième canton de l'arrondissement de Saint-Paul (Réunion) qui s'est déroulée les 20 et 27 mars 2011 ; qu'elle a ensuite, en application de l'article L. 52-15 du code électoral, saisi le juge de l'élection ; que le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a, par un jugement du 13 janvier 2012 dont M. B relève appel, déclaré ce dernier inéligible à toutes les élections pendant une période de dix-huit mois à compter de la date à laquelle ce jugement sera devenu définitif ;

2. Considérant que l'article L. 52-4 du code électoral rend obligatoire la désignation d'un mandataire financier par tout candidat à une élection " au plus tard à la date à laquelle sa candidature est enregistrée " ; qu'aux termes des deuxième et troisième alinéas de cet article : " Le mandataire recueille, pendant l'année précédant le premier jour du mois de l'élection et jusqu'à la date du dépôt du compte de campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne. / Il règle les dépenses engagées en vue de l'élection et antérieures à la date du tour de scrutin où elle a été acquise, à l'exception des dépenses prises en charge par un parti ou groupement politique. Les dépenses antérieures à sa désignation payées directement par le candidat ou à son profit font l'objet d'un remboursement par le mandataire et figurent dans son compte bancaire ou postal " ; qu'aux termes de l'article L. 52-12 du code électoral, dans sa rédaction issue de la loi du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique, applicable au présent litige : " Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu d'établir un compte de campagne retraçant (...) selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4. (....) Le candidat estime et inclut, en recettes et en dépenses, les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont il a bénéficié. (....) / Au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, chaque candidat (...) présent au premier tour dépose (...) son compte de campagne et ses annexes accompagné des justificatifs de ses recettes ainsi que des factures, devis et autres documents de nature à établir le montant des dépenses payées ou engagées par le candidat ou pour son compte. Le compte de campagne est présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés ; celui-ci met le compte de campagne en état d'examen et s'assure de la présence des pièces justificatives requises. (....) " ; que l'article L. 52-15 du même code dispose : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. / (...) Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l'élection (...) " ;

Sur le bien-fondé du rejet du compte de campagne :

3. Considérant que pour juger que la Commission des comptes de campagne et des financements politiques avait à bon droit rejeté le compte de campagne de M. B, le tribunal administratif s'est fondé sur ce que l'intéressé, s'il avait régulièrement déposé son compte de campagne dans le délai prescrit par les dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral précité, ne l'avait pas, en méconnaissance de ces mêmes dispositions et en dépit de demandes de régularisations qui lui avaient été adressées par la commission, assorti des pièces justifiant une part significative des dépenses engagées au cours de sa campagne ;

4. Considérant que si, devant le tribunal administratif, ces dépenses n'étaient effectivement assorties d'aucunes pièces justificatives, celles-ci ont été produites devant le Conseil d'Etat juge d'appel ; que le motif retenu par le tribunal administratif ne peut par suite justifier le rejet du compte de campagne de M. B ;

5. Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur l'autre motif d'inéligibilité soulevé devant lui par la Commission des comptes de campagne et des financements politiques, tiré de la méconnaissance par M. B des dispositions de l'article L. 52-4 du code électoral ;

6. Considérant que si, par dérogation à la formalité substantielle que constitue l'obligation de recourir à un mandataire pour toute dépense effectuée en vue de sa campagne, le règlement direct de menues dépenses par le candidat peut être admis, ce n'est qu'à la double condition que leur montant, en prenant en compte non seulement les dépenses intervenues après la désignation du mandataire financier mais aussi celles réglées avant cette désignation et qui n'auraient pas fait l'objet d'un remboursement par le mandataire, soit faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne et négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées fixé par l'article L. 52-11 du code électoral ; qu'ainsi que le relève la Commission dans ses écritures d'appel sans être contredite, il ne ressort pas des éléments produits par M. B que diverses dépenses, dont la somme représente 7,8 % du total de ses dépenses de campagne et 6 % du plafond des dépenses autorisées pour cette élection, auraient été effectivement payées par son mandataire ; que les dispositions de l'article L. 52-4 du code électoral ont ainsi également été méconnues ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a jugé que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques était fondée à rejeter son compte de campagne ;

Sur l'inéligibilité :

8. Considérant qu'ainsi qu'il vient d'être dit, M. B a produit en appel devant le Conseil d'Etat les pièces justificatives qui devaient être annexées à son compte de campagne de sorte qu'il ne peut plus être regardé comme ayant méconnu les dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral ; qu'il en résulte que le tribunal administratif s'est à tort fondé sur l'existence d'un tel manquement pour prononcer l'inéligibilité de M. B pour une durée de 18 mois à l'ensemble des élections en application des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 118-3 du code électoral, dans leur rédaction issue de la loi du 14 avril 2011 ;

9. Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur l'inéligibilité de M. B au regard du manquement, invoqué devant lui par la Commission des comptes de campagne et des financements politiques, procédant de la méconnaissance par M. B des dispositions de l'article L. 52-4 du code électoral ;

10. Considérant que le troisième alinéa de l'article L. 118-3 du code électoral, dans sa rédaction issue de la loi du 14 avril 2011, dispose que le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, " prononce (...) l'inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales " ; que ces dispositions, qui définissent de façon plus restrictive que dans l'état du droit antérieur les hypothèses dans lesquelles un candidat encourt l'inéligibilité, laquelle constitue une sanction ayant le caractère d'une punition, présentent le caractère d'une loi nouvelle plus douce, immédiatement applicable au présent litige ; que, pour déterminer si un manquement est d'une particulière gravité au sens de ces dispositions, il incombe au juge de l'élection d'apprécier, d'une part, s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales, d'autre part, s'il présente un caractère délibéré ; qu'en cas de manquement aux dispositions de l'article L. 52-4 du code électoral, il incombe, en outre, au juge de tenir compte de l'existence éventuelle d'autres motifs d'irrégularité du compte, du montant des sommes en cause ainsi que de l'ensemble des circonstances de l'espèce ;

11. Considérant qu'il résulte de l'instruction que si M. B ne pouvait ignorer la portée des dispositions de l'article L. 52-4 du code électoral qu'il a méconnues, il est constant que cette méconnaissance ne traduit aucune volonté de fraude de sa part et que son compte de campagne ne fait pas apparaître d'autres irrégularités de nature à justifier une déclaration d'inéligibilité ; qu'il résulte également de l'instruction que les dépenses directement acquittées par le candidat l'ont été par commodité et pour un montant global qui, sans être faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne ni négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées, est demeuré limité ; que pour blâmable qu'elle soit, pareille légèreté de la part de M. B ne peut être qualifiée de manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, de nature à justifier l'inéligibilité du candidat ;

12. Considérant qu'il suit de là, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête sur ce point, que M. B est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a prononcé son inéligibilité ; que le jugement doit être annulé dans cette mesure ;

13. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B d'une somme au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion est annulé en tant qu'il déclare M. B inéligible.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de déclarer M. B inéligible.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Marie B et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.


Synthèse
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 356620
Date de la décision : 17/09/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 sep. 2012, n° 356620
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Josse
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:356620.20120917
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