Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 et 23 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société CHAUMEIL, dont le siège est 65 boulevard Côte Blatin à Clermont-Ferrand (63000) ; la société CHAUMEIL demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1200444 du 23 mars 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, statuant en application de l'article
L. 551-13 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution du marché portant sur la réalisation d'un habillage de la palissade de chantier du futur hôtel de région jusqu'à la décision à intervenir, d'autre part, à l'annulation du marché conclu avec la société All Numeric et, enfin, à ce qu'il soit enjoint à la région Auvergne de lui attribuer le marché ou, à tout le moins, de consulter régulièrement la société CHAUMEIL afin que celle-ci puisse lui faire parvenir une offre correspondant à ses besoins ;
2°) statuant en référé, d'annuler le marché conclu par la région Auvergne avec la société All Numeric et d'enjoindre à la région Auvergne de lui attribuer le marché ou, à tout le moins, de la consulter régulièrement en vue de lui permettre de remettre une offre correspondant à ses besoins ;
3°) de mettre à la charge de la région Auvergne le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 juin 2012, présentée pour la société CHAUMEIL ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société CHAUMEIL, et de la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la région Auvergne,
- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société CHAUMEIL, et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la région Auvergne ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section " ; qu'aux termes de l'article L. 551-14 de ce code : " Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local. / Toutefois, le recours régi par la présente section n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article L. 551-1 ou à l'article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours " ; qu'aux termes de l'article L. 551-15 du même code : " Le recours régi par la présente section ne peut être exercé ni à l'égard des contrats dont la passation n'est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, ni à l'égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s'applique pas l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a accompli la même formalité. / La même exclusion s'applique aux contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a envoyé aux titulaires la décision d'attribution du contrat et observé un délai de seize jours entre cet envoi et la conclusion du contrat, délai réduit à onze jours si la décision a été communiquée à tous les titulaires par voie électronique " ; qu'aux termes de l'article L. 551-18 : " Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsque ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat " ; qu'aux termes de l'article L. 551-19 : " Toutefois, dans les cas prévus à l'article L. 551-18, le juge peut sanctionner le manquement soit par la résiliation du contrat, soit par la réduction de sa durée, soit par une pénalité financière imposée au pouvoir adjudicateur ou à l'entité adjudicatrice, si le prononcé de la nullité du contrat se heurte à une raison impérieuse d'intérêt général. / Cette raison ne peut être constituée par la prise en compte d'un intérêt économique que si la nullité du contrat entraîne des conséquences disproportionnées et que l'intérêt économique atteint n'est pas directement lié au contrat, ou si le contrat porte sur une délégation de service public " ; qu'enfin, selon l'article L. 551-20 : " Dans le cas où le contrat a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière " ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la région Auvergne a conclu le 26 novembre 2010 avec la société CHAUMEIL un accord-cadre portant sur l'impression numérique des différents supports écrits de la région ; que, par un courrier électronique en date du 27 décembre 2011, la région Auvergne a demandé à la société CHAUMEIL de lui adresser, sur le fondement de cet accord-cadre, un devis portant sur un support d'affichage destiné à " habiller " la totalité de la palissade du chantier du futur hôtel de région ; qu'après avoir présenté deux devis, la société s'est vu notifier par la région, par un courrier daté du 2 février 2012, le rejet de son offre et l'attribution du marché à la société All Numeric ; que, la société CHAUMEIL, estimant que l'exclusivité dont elle bénéficiait au titre de l'accord-cadre avait été méconnue, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, le 17 février 2012, d'une demande d'annulation de la procédure de passation du contrat sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative ; que, la région ayant fait état, dans son mémoire en défense enregistré le 28 février 2012 au greffe du tribunal, de la signature du contrat dès le 2 février 2012, la société CHAUMEIL a alors demandé à ce juge l'annulation du contrat, sur le fondement des dispositions des articles L. 551-13 et L. 551-18 du code de justice administrative relatives au référé contractuel ; qu'après avoir, par une ordonnance du 6 mars 2012, rejeté les conclusions de la société CHAUMEIL fondées sur l'article L. 551-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, par l'ordonnance attaquée du 23 mars 2012, rejeté ses conclusions fondées sur les articles L. 551-13 et L. 551-18 du code de justice administrative ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 551-14 du code de justice administrative, qui prévoient que le recours contractuel n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du référé précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur a respecté la suspension prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours, n'ont pas pour effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un concurrent évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel alors qu'il était dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché lorsque, s'agissant d'un marché passé selon une procédure adaptée, le pouvoir adjudicateur n'a pas fait application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 551-15 du code de justice administrative et n'a pas rendu publique son intention de conclure le contrat ni observé un délai de onze jours entre cette publication et la conclusion du contrat ; que les dispositions de l'article L. 551-14 du code de justice administrative ne sauraient non plus avoir pour effet de rendre irrecevable le recours contractuel du concurrent évincé ayant antérieurement présenté un recours précontractuel qui, bien qu'informé du rejet de son offre par le pouvoir adjudicateur, a été privé de la possibilité de présenter utilement un tel recours en raison de l'absence de publicité donnée par le pouvoir adjudicateur à son intention de conclure le contrat ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que le référé contractuel de la société CHAUMEIL, qui avait antérieurement formé un référé précontractuel, n'était pas recevable dès lors que le marché litigieux, qualifié par lui de marché à procédure adaptée, n'entrait ni dans le champ d'application de la suspension prévue aux articles L. 551-4 et L. 551-9 du code de justice administrative ni dans le cadre de la suspension prévue au 1° du I de l'article 80 du code des marchés publics, sans rechercher si le pouvoir adjudicateur avait, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, en application du premier alinéa de l'article L. 511-15 du code de justice administrative, et avait ainsi permis à la société CHAUMEIL de présenter utilement un référé précontractuel, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a commis une erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'ordonnance attaquée doit être annulée ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société CHAUMEIL ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par la région Auvergne :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la région Auvergne, qui a passé un marché selon une procédure adaptée, n'a pas fait application du premier alinéa de l'article L. 551-15 du code de justice administrative et n'a pas rendu publique son intention de conclure le contrat ; qu'elle n'a pas permis à la société CHAUMEIL de présenter utilement un référé précontractuel ; que la société CHAUMEIL, qui était ainsi dans l'ignorance de la signature du marché lorsqu'elle a présenté un référé précontractuel, n'a été informée de la conclusion du contrat que par le mémoire en défense de la région dans le cadre de l'instance en référé précontractuel, enregistré au greffe du tribunal le 28 février 2012 ; que, par suite, le référé contractuel qu'elle a formé le 7 mars 2012, soit dans le délai qui lui était imparti pour ce faire par le premier alinéa de l'article R. 551-7 du code de justice administrative, est recevable ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation du contrat :
Considérant qu'aux termes de l'article 76 du code des marchés publics :
" I. - Les accords-cadres définis à l'article 1er sont passés selon les procédures et dans les conditions prévues par le présent code. Dans ces accords-cadres le pouvoir adjudicateur a la faculté de prévoir un minimum et un maximum en valeur ou en quantité, ou un minimum, ou un maximum, ou encore être conclus sans minimum ni maximum. / II. - Les marchés passés sur le fondement d'un accord-cadre sont des documents écrits qui précisent les caractéristiques et les modalités d'exécution des prestations demandées qui n'ont pas été fixées dans l'accord-cadre. La conclusion des marchés passés sur le fondement d'un accord-cadre intervient soit lors de la survenance du besoin, soit selon une périodicité prévue par l'accord-cadre. (...) / III. - Lorsqu'un accord-cadre est attribué à plusieurs opérateurs économiques, ceux-ci sont au moins au nombre de trois, sous réserve d'un nombre suffisant de candidats et d'offres. Pour chacun des marchés à passer sur le fondement de cet accord, le pouvoir adjudicateur consulte par écrit les opérateurs économiques titulaires de l'accord-cadre et organise une mise en concurrence selon la procédure suivante : / 1° Lorsque la remise en concurrence est organisée au moment de la survenance du besoin et que cet accord-cadre a été divisé en lots, seuls sont consultés les titulaires des lots correspondant à l'objet du marché fondé sur l'accord-cadre ; / 2° Lorsque la remise en concurrence est organisée selon une périodicité prévue par l'accord-cadre, elle porte sur tous les lots ; / 3° Quel que soit le choix opéré, les parties ne peuvent apporter des modifications substantielles aux termes fixés dans l'accord-cadre lors de la passation des marchés fondés sur cet accord ; / 4° Le pouvoir adjudicateur fixe un délai suffisant pour la présentation des offres en tenant compte d'éléments tels que la complexité des prestations attendues ou le temps nécessaire à la transmission des offres (...) / IV. - Lorsqu'un accord-cadre est attribué à un seul opérateur économique, le pouvoir adjudicateur peut, préalablement à la conclusion des marchés fondés sur l'accord-cadre, demander au titulaire de l'accord-cadre de compléter, par écrit, son offre. Les compléments ainsi apportés aux caractéristiques de l'offre retenue pour l'attribution de
l'accord-cadre ne peuvent avoir pour effet de les modifier substantiellement (...) / VII. - Pour des besoins occasionnels de faible montant, le pouvoir adjudicateur peut s'adresser à un prestataire autre que le ou les titulaires de l'accord-cadre, pour autant que le montant cumulé de tels achats ne dépasse pas la somme de 10 000 Euros HT. Le recours à cette possibilité ne dispense pas le pouvoir adjudicateur de respecter son engagement de passer des commandes à hauteur du montant minimum de l'accord-cadre lorsque celui-ci est prévu " ;
Considérant, d'une part, que la société CHAUMEIL soutient que les mesures de publicité et d'appel à la concurrence mises en oeuvre par la région Auvergne dans le cadre de la consultation effectuée sur le fondement de l'accord-cadre conclu le 26 novembre 2010 ont été insuffisantes ; que, toutefois, le juge du référé contractuel ne saurait prononcer la nullité du contrat sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, dès lors que ces dispositions ne visent que les cas dans lesquels aucune des mesures de publicité requises pour la passation du contrat n'a été prise ou dans lesquels une publication obligatoire au Journal officiel de l'Union européenne a été omise ; qu'en outre, les modalités de remise en concurrence mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 551-18 ne concernent que les contrats fondés sur un accord-cadre attribué à plusieurs opérateurs économiques en application du III des dispositions de l'article 76 du code des marchés publics ; qu'en l'espèce, l'accord-cadre n'a été conclu par la région Auvergne qu'avec la société CHAUMEIL ; qu'ainsi, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 551-18 ne lui sont pas applicables ;
Considérant, d'autre part, que si la société CHAUMEIL invoque les dispositions de l'article 76 du code des marchés publics qui imposent au pouvoir adjudicateur ayant conclu un accord-cadre avec un ou plusieurs titulaires de s'adresser exclusivement à eux pour la passation d'un contrat fondé sur cet accord, la méconnaissance de ces dispositions n'est pas au nombre des manquements qui, en vertu des articles L. 551-18 à L. 551-20 du code de justice administrative, peuvent être utilement invoqués devant le juge du référé contractuel ;
Considérant qu'il suit de là que, si la société CHAUMEIL peut, si elle s'y croit fondée, invoquer devant le juge du contrat les manquements dont elle se prévaut, ceux-ci ne se rattachent à aucune des hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel peut exercer son office ; que, par suite, sa demande tendant à ce que soit prononcée la nullité du marché ne peut qu'être rejetée ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la région Auvergne qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société CHAUMEIL au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société CHAUMEIL le versement à la région Auvergne de la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par celle-ci tant devant le Conseil d'Etat que le tribunal administratif de
Clermont-Ferrand ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 23 mars 2012 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société CHAUMEIL devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société CHAUMEIL versera à la région Auvergne une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société CHAUMEIL, à la région Auvergne et à la société All Numeric.