Vu la requête, enregistrée le 18 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, dont le siège est 7bis, rue Riquet à Paris (75019) ; la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la note de service de l'administration pénitentiaire du 24 décembre 2008 révélant la création et portant déploiement de l'application " cahier électronique de liaison " (CEL) ;
2°) d'enjoindre au directeur de l'administration pénitentiaire de faire procéder à la désinstallation du cahier électronique de liaison et de détruire les données collectées pour son alimentation, sous astreinte de 400 euros par jour de retard dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 ;
Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Vu le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 ;
Vu le décret n° 2011-817 du 6 juillet 2011 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Rousseau, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Spinosi, avocat de la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS,
- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Spinosi, avocat de la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS ;
Considérant que la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS doit être regardée, compte tenu de ses écritures et des moyens qu'elle invoque, comme demandant l'annulation de la décision du ministre de la justice de créer un traitement automatisé de données personnelles dénommé " cahier électronique de liaison " qui, sans avoir été formalisée, est corroborée par d'autres éléments du dossier et en particulier par la note de service du 24 décembre 2008 qui fixe les modalités de déploiement de ce fichier ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice et des libertés :
Considérant que si le ministre soutient que la note de service du 24 décembre 2008 ne comporte aucune disposition de nature impérative, la formulation même des termes de cette note, comme de ses annexes, d'une part révèle la décision de création et de mise en oeuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel intitulé " cahier électronique de liaison " et d'autre part prescrit aux différents responsables de l'administration pénitentiaire un plan et un calendrier de déploiement, incluant une obligation de rendre compte à la direction de l'administration pénitentiaire de la progression de ce processus ; que dès lors, la note contestée peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant que l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose : " I. Sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat et : / 1° Qui intéressent la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique ; / 2° Ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté. (...) / II. Ceux de ces traitements qui portent sur des données mentionnées au I de l'article 8 sont autorisés par décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé et publié de la commission ; cet avis est publié avec le décret autorisant le traitement. (...) " ; qu'aux termes du I de l'article 8 de la même loi : " Il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci " ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le ministre de la justice a décidé la création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " cahier électronique de liaison " ; que cette décision initiale a nécessairement eu pour objet et pour effet de déterminer notamment la finalité du traitement, la nature des informations collectées, les conditions de mise en oeuvre et les différentes caractéristiques techniques de ce fichier ; que le ministre ne saurait d'ailleurs soutenir que le déploiement du traitement en litige consisterait uniquement en une phase expérimentale, dès lors, d'une part, que le déploiement du " cahier électronique de liaison " avait été précédé de plusieurs étapes préalables conduisant à la mise en oeuvre de fichiers dans différents établissements depuis plusieurs années et, d'autre part, que la note contestée prescrit le déploiement du traitement en litige dans l'ensemble des établissements pénitentiaires ; qu'en tout état de cause la création et la mise en oeuvre du traitement en litige ne pouvaient donc, à supposer même que cette circonstance ait une influence sur les procédures à respecter préalablement à la mise en oeuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel, être considérée comme une expérimentation ; qu'il ressort également des pièces du dossier que ce fichier, renseigné par divers personnels de l'administration pénitentiaire et de services intervenant dans les établissements, vise à contribuer à l'exécution de condamnations pénales par le biais du recueil d'informations sur les personnes détenues, relatives notamment à leur état de santé, leur comportement quotidien en détention, leur pratique religieuse ;
Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées de la loi du 6 janvier 1978 que doivent être autorisés par décret en Conseil d'Etat, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat qui ont pour objet l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté et qui portent sur des données au nombre de celles énumérées au I de l'article 8 de la loi ; qu'il est constant qu'aucun texte réglementaire n'a été pris préalablement à la mise en oeuvre de ce traitement ; que le ministre ne saurait sérieusement soutenir que le fichier " cahier électronique de liaison " serait un simple module complémentaire à l'application dénommée " gestion informatisée des détenus dans les établissements pénitentiaires " (GIDE), créée par l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice du 24 février 2003, eu égard à l'élargissement substantiel du champ des données recueillies dans le " cahier électronique de liaison " par rapport à celles conservées dans le fichier GIDE, dès lors que ces informations, ainsi qu'il a été dit plus haut, sont notamment relatives à l'état de santé ou à la pratique religieuse des détenus ; qu'en tout état de cause, le seul arrêté du 24 février 2003 n'aurait pu autoriser la collecte de telles informations ; qu'il résulte de ce qui précède que dès lors que seul un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, pouvait fixer les modalités de mise en oeuvre du traitement automatisé en litige, doivent être annulées d'une part, la décision de créer le traitement de données à caractère personnel intitulé " cahier électronique de liaison ", entendue comme l'acte par lequel le ministre de la justice en a défini les caractéristiques et décidé la mise en oeuvre, et d'autre part la décision de déployer ce fichier, contenue dans la note de service attaquée, qui révèle la première décision de création ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ;
Considérant qu'en principe, l'exécution de la présente décision implique la suppression des données enregistrées dans le traitement automatisé dénommé " cahier électronique de liaison " ;
Considérant toutefois que lorsque le juge administratif est saisi de conclusions à fin d'injonction de destruction de données illégalement recueillies dans un traitement de données à caractère personnel, il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'exécution de cette décision implique nécessairement la destruction des données illégalement recueillies, de rechercher, d'abord, si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible ; que, dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d'une part, les motifs de l'illégalité constatée, d'autre part, les conséquences de la destruction des données pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la destruction des données n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général ; qu'en l'espèce, depuis l'introduction de la requête, un décret en Conseil d'Etat du 6 juillet 2011 pris après avis de la CNIL et portant création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à la gestion informatisée des détenus en établissement a été publié au Journal officiel du 8 juillet 2011 ; que ce décret autorise la collecte et le traitement des données initialement contenues dans le fichier contesté ; que compte tenu de l'intérêt éminent qui s'attache à la conservation des données litigieuses, notamment pour ce qui concerne la prévention des risques suicidaires en détention, il n'y a pas lieu d'enjoindre au ministre de la justice de supprimer les données recueillies dans le traitement contesté, désormais régies par les dispositions du décret du 6 juillet 2011 ; que ces conclusions doivent être rejetées ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros à la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du garde des sceaux, ministre de la justice, de créer un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " cahier électronique de liaison " et la note de service du directeur de l'administration pénitentiaire prévoyant le déploiement de cette application informatique sont annulées.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS et à la garde des sceaux, ministre de la justice.