Vu le pourvoi, enregistré le 5 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 9 octobre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, faisant droit à l'appel de M. et Mme Alfred A, a, d'une part, annulé le jugement du 15 février 2007 du tribunal administratif de Limoges, d'autre part, déchargé les intéressés du complément d'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 2000 à hauteur d'une base imposable de 224 100,06 euros ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Gilles Pellissier, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. et Mme A,
- les conclusions de M. Julien Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. et Mme A ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A, exploitant individuel de carrières, a perçu au mois de mars 2000 une somme de 1 500 000 francs à titre d'indemnisation du préjudice subi du fait de l'expropriation d'une partie des parcelles qu'il exploitait depuis 1992 sur le territoire de la commune de Nespouls (Corrèze) en vertu d'un contrat de fortage conclu avec leur propriétaire ; qu'à l'issue d'une vérification de sa comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause la qualification de plus-value à long terme que M. A avait donnée à cette indemnité ; qu'en effet l'administration a estimé qu'à l'exception d'une somme de 30 000 francs versée par M. A au précédent exploitant pour pouvoir lui succéder et qu'il avait inscrite à l'actif de son bilan, l'indemnité devait s'analyser comme la contrepartie de la perte prévisible des recettes qu'aurait pu engendrer l'exploitation de la carrière et qu'elle devait, en conséquence, être réintégrée dans ses bénéfices industriels et commerciaux imposables au titre de l'exercice clos le 31 mars 2000 ;
Considérant que, par un jugement du 15 février 2007, le tribunal administratif de Limoges, après avoir confirmé l'analyse de l'administration fiscale, a néanmoins prononcé la décharge partielle de l'imposition à l'impôt sur le revenu, au titre de l'année 2000, correspondant à la réintégration de la somme de 30 000 francs et rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi ; que, saisie tant par M. et Mme A que par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLIQUES ET DE LA FONCTION PUBLIQUE la cour administrative d'appel de Bordeaux a, par un arrêt du 9 octobre 2008, annulé le jugement du tribunal administratif de Limoges et déchargé M. et Mme A de la totalité des impositions supplémentaires auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2000 ; que le MINISTRE DU BUDGET , DES COMPTES PUBLIQUES ET DE LA FONCTION PUBLIQUE se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a fait droit aux conclusions de M. et Mme A à hauteur d'une base imposable de 1 470 000 francs ;
Considérant qu'aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " (...) 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt (...). L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...) " ; que l'article 39 duodecies du même code dispose que : " 1. Par dérogation aux dispositions de l'article 38, les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé sont soumis à des régimes distincts suivant qu'elles sont réalisées à court ou à long terme. 2. / Le régime des plus-values à court terme est applicable : / a. aux plus-values provenant de la cession d'éléments acquis ou créés depuis moins de deux ans. (...) / b. aux plus-values réalisées à l'occasion de la cession d'éléments détenus depuis deux ans au moins, dans la mesure où elles correspondent à des amortissements déduits pour l'assiette de l'impôt (...). / 3. Le régime des plus-values à long terme est applicable aux plus-values autres que celles définies au 2 (...) " ; qu'enfin, selon l'article 151 septies de ce code, dans sa rédaction applicable à l'année 2000 : " Les plus-values réalisées dans le cadre d'une activité agricole, artisanale, commerciale ou libérale par des contribuables dont les recettes n'excèdent pas le double de la limite du forfait (...) sont exonérées, à condition que l'activité ait été exercée pendant au moins cinq ans (...) " ;
Considérant que seuls les droits constituant une source régulière de profits, dotés d'une pérennité suffisante, suivent le régime fiscal des éléments incorporels de l'actif immobilisé de l'entreprise ;
Considérant que le contrat par lequel le propriétaire de parcelles confère à une personne le droit exclusif d'extraire les matières premières qui s'y trouvent, en contrepartie du versement de redevances, dit contrat de fortage, s'analyse en une vente de matériaux envisagés dans leur état futur de meuble ; que ce contrat peut également prévoir le paiement au propriétaire d'un prix d'acquisition du droit d'occuper et d'exploiter les terrains, indépendamment du prix d'acquisition des matériaux extraits ; que seul le prix versé pour l'acquisition de ce droit, si celui-ci est doté d'une pérennité suffisante, suit le régime fiscal des éléments incorporels de l'actif immobilisé de l'entreprise ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que si l'indemnité versée par l'Etat à l'exploitant en compensation de la perte de la possibilité d'exercer les droits qu'il tient de ce contrat du fait de l'expropriation des parcelles sur lesquelles il portait peut réparer non seulement le manque à gagner résultant de la vente future des matériaux extraits, mais aussi la perte du droit d'exploiter éventuellement acquis par l'exploitant, la cour ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, déduire de l'existence d'un contrat de fortage, quand bien même il aurait présenté des garanties de pérennité, que l'indemnité d'éviction perçue par l'exploitant devait être regardée dans sa totalité comme compensant la perte d'une valeur d'actif immobilisé, dès lors que seule la part de l'indemnité compensant la perte de l'acquisition du droit d'exploiter, à supposer qu'elle existât en l'espèce, était susceptible de recevoir une telle qualification ; que son arrêt doit, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé en tant que, faisant droit aux conclusions en appel de M. et Mme A, il les a déchargés du supplément d'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 2000 à hauteur d'une base imposable de 224 100,06 euros (1 470 000 francs) et qu'il a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que M. A exploitait des gisements de carrière situés sur les parcelles de M. B en exécution d'un contrat de fortage conclu avec ce dernier le 1er octobre 1992, pour une durée de trois ans tacitement renouvelable, moyennant une redevance trimestrielle de 3 000 francs ; que M. A avait versé au précédent exploitant une somme de 70 000 francs pour pouvoir lui succéder, qu'il avait inscrite à l'actif de son bilan, dont 30 000 francs pour l'exploitation des parcelles expropriées ; que le droit d'exploiter ces parcelles n'avait donné lieu au versement d'aucune autre somme ; que M. A n'avait d'ailleurs pas inscrit à l'actif de son bilan d'autre valeur que le droit au bail qu'il avait versé, ainsi qu'il vient d'être dit, au précédent exploitant ; que, dans ces circonstances, l'administration fiscale était fondée à regarder l'indemnité d'éviction qu'il avait perçue comme compensant, outre la perte de l'élément d'actif immobilisé constitué par le droit au bail pour une valeur de 4 573,47 euros (30 000 francs), la perte des recettes de l'exploitation et de réintégrer, par voie de conséquence, la somme de 224 100,06 euros (1 470 000 francs) dans ses résultats imposables ;
Considérant, d'autre part, que M. et Mme A, qui n'établissent pas qu'un autre contribuable se trouvant dans une situation comparable à la leur aurait bénéficié d'un dégrèvement, ne sont, en tout état de cause, pas fondés se prévaloir des dispositions des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme A ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande tendant à la décharge du supplément d'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 2000 à hauteur d'une base imposable de 224 100,06 euros (1 470 000 francs) ; que leurs conclusions présentées tant devant la cour administrative d'appel que devant le Conseil d'Etat et tendant à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 octobre 2008 est annulé en tant qu'il a fait droit aux conclusions d'appel de M. et Mme A.
Article 2 : M. et Mme A sont rétablis au rôle de l'impôt sur le revenu pour l'année 2000 à hauteur d'une base imposable de 224 100,06 euros.
Article 3 : Les conclusions de M. et Mme A présentées devant la cour administrative d'appel et devant le Conseil d'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU COMMERCE EXTERIEUR et à M. et à Mme Alfred A.