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16/05/2012 | FRANCE | N°359214

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 16 mai 2012, 359214


Vu le recours, enregistré le 7 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1206513/9 du 20 avril 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, d'une part, enjoint au préfet de police d'accorder le concours de la force publique à l'indivision A afin de

procéder à l'expulsion de Mme C, ainsi que de tous occupants de ...

Vu le recours, enregistré le 7 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1206513/9 du 20 avril 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, d'une part, enjoint au préfet de police d'accorder le concours de la force publique à l'indivision A afin de procéder à l'expulsion de Mme C, ainsi que de tous occupants de son chef, des locaux d'habitation qu'elle occupe au 87 rue des Maraîchers à Paris (75020) au plus tard le 25 avril 2012 et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard après cette date et, d'autre part, a condamné l'Etat au versement d'une somme de 2 500 euros en liquidation d'une astreinte édictée par une ordonnance du 10 février 2012 ainsi que de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 de ce code ;

2°) de rejeter la demande présentée par les consorts A devant le juge des référés ;

il soutient que l'ordonnance attaquée doit être annulée dès lors que la condition d'urgence, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, n'est pas remplie ; que la durée de la procédure engagée pour procéder à l'expulsion de Mme C ne saurait être prise en compte pour caractériser l'urgence à statuer, pas plus que le nombre de démarches engagées par les consorts A ; que, le risque d'intoxication au plomb des occupants de l'appartement concerné étant minime, il ne peut suffire à caractériser la condition d'urgence ; que l'absence de diligence de la part des consorts A pour réaliser les travaux requis par ce risque d'intoxication ne permet pas de considérer qu'il y aurait urgence à ordonner le concours de la force publique pour procéder à l'expulsion ; qu'aucune autre circonstance que ce risque d'intoxication n'étant invoquée, la condition d'urgence ne peut être remplie de ce seul fait ; qu'en accordant un délai pour procéder à l'expulsion, supérieur au délai de quarante-huit heures significatif de l'urgence en matière de référé-liberté, le juge de première instance n'a pas justifié de l'urgence qu'il y aurait à statuer ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2012, présenté pour les consorts A qui concluent au rejet du recours, à ce qu'une astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard soit fixée, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; ils soutiennent que, en s'obstinant à les priver de l'exercice de leur droit de propriété pour laisser Mme C accéder à la cuisine de l'appartement concerné, l'administration bafoue le respect des décisions rendues et du droit de propriété ; que le refus du préfet de police d'accorder le concours de la force publique porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit de propriété et son corollaire le droit d'en disposer ; qu'aucune période de trêve hivernale ne peut valablement leur être opposée dans l'obtention de ce concours dès lors que les occupants sont entrés dans l'immeuble par voie de fait ; qu'ils ne sont pas tenus informés par l'administration des évolutions des tractations destinées à reloger les occupants ; qu'il n'est pas démontré que la situation de Mme C serait susceptible d'entraîner un risque de trouble à l'ordre public justifiant ce refus du préfet ; que la condition d'urgence est remplie par la nécessité de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale que le refus du préfet porte à leur liberté fondamentale ; qu'il y a urgence à faire procéder à cette expulsion dès lors que l'administration les menace de sanctions pénales et financières s'ils ne procèdent pas immédiatement aux travaux enjoints, lesquels ne peuvent être réalisés dans un logement occupé ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la construction et de l'habitation ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION et, d'autre part, les consorts A ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 16 mai 2012 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION ;

- Me Rousseau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des consorts A ;

- Mme A ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) " ; que ces dispositions législatives subordonnent la possibilité pour le juge des référés de faire usage des pouvoirs qu'elles lui confèrent à la double condition, d'une part, qu'une autorité administrative ait porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, d'autre part, qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention du juge des référés dans de très brefs délais ;

Considérant qu'il incombe à l'autorité administrative d'assurer, en accordant au besoin le concours de la force publique, l'exécution des décisions de justice ; que le droit de propriété, qui constitue une liberté fondamentale, a pour corollaire la liberté de disposer d'un bien ; que le refus de concours de la force publique pour assurer l'exécution d'une décision juridictionnelle ordonnant l'expulsion d'un immeuble porte atteinte à cette liberté fondamentale ; que les exigences de l'ordre public peuvent toutefois justifier légalement, tout en engageant la responsabilité de l'Etat sur le terrain de l'égalité devant les charges publiques, un refus de concours de la force publique ; qu'enfin, l'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonné à la condition qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention dans les quarante-huit heures d'une mesure destinée à la sauvegarde d'une liberté fondamentale ;

Considérant que l'expulsion de Mme C et de ses enfants de l'appartement qu'ils occupent a été ordonnée par le tribunal d'instance de Paris le 13 janvier 2011, confirmée par la cour d'appel de Paris le 28 juin 2011 ; qu'à la suite du refus du préfet de police d'accorder le concours de la force publique aux consorts A pour l'exécution de cet arrêt, une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 22 décembre 2011 a enjoint au préfet d'y procéder pour l'expulsion de Mme C et de ses enfants, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ; qu'après avoir décidé d'octroyer le concours de la force publique à cet effet par une décision du 29 décembre 2011, le préfet de police a annulé sa décision de procéder à l'expulsion en raison de risques de trouble à l'ordre public ; que, par une ordonnance du 10 février 2012, le tribunal administratif de Paris a considéré que la carence prolongée de l'administration porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété des requérants, justifiant le maintien de l'injonction édictée précédemment et la liquidation de l'astreinte afférente ; que, parallèlement à cette procédure, la préfecture de police a diligenté un diagnostic de cet immeuble dans le cadre de la lutte contre le saturnisme ; qu'à la suite du résultat obtenu, la préfecture a requis des consorts A qu'ils procèdent aux travaux nécessités par un risque d'exposition au plomb ; qu'après avoir constaté que l'une des familles occupant illégalement cet immeuble a été relogée, mais que tel n'était pas le cas pour la famille de Mme C, et que le préfet n'avait toujours pas accordé le concours de la force publique, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, par une ordonnance du 20 avril 2012, enjoint au préfet de police d'accorder le concours de la force publique aux consorts A afin de procéder à l'expulsion de Mme C et de sa famille au plus tard au 25 avril 2012 et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et a prononcé la liquidation de l'astreinte précédente ; que le ministre fait appel de cette ordonnance ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les consorts A sont propriétaires en indivision de l'immeuble concerné depuis le 27 février 1997 ; qu'il n'est pas contesté que Mme C et sa famille occupent illégalement les lieux depuis le cours de l'année 2006 ; que ce n'est qu'en septembre 2010 que les consorts A ont saisi le tribunal d'instance de Paris afin d'obtenir, par jugement du 13 janvier 2011, l'expulsion de Mme C et de sa famille ; que, s'ils ont par la suite sollicité le concours de la force publique auprès du préfet de police dès confirmation en appel du jugement du 13 janvier 2011, puis saisi le juge des référés du tribunal administratif pour le prononcé d'une injonction sous astreinte, il n'en demeure pas moins que les consorts A ont laissé perdurer l'occupation illégale des locaux pendant plus de quatre années ; que, dès lors, la condition de l'urgence particulière qui s'attache à ce que le juge des référés se prononce dans les quarante-huit heures en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ne saurait être regardée comme satisfaite du seul fait de l'atteinte au droit de propriété ;

Considérant, par ailleurs, que si le diagnostic réalisé le 19 janvier 2011 fait état d'un risque d'intoxication au plomb dans cet immeuble, il apparaît, d'une part, que ce risque pour la santé des occupants de l'appartement concerné est minime dès lors que les traces de plomb ne sont présentes que sur un seul élément, situé à l'extérieur, sur le barreaudage de l'une des fenêtres, et qu'il ne nécessite pas une intervention sur un site inoccupé, alors que, d'autre part, un risque d'intoxication plus étendu affecte l'immeuble, tant pour ses parties communes que pour d'autres parties privatives toujours occupées à ce jour ; que, si les consorts A font état par ailleurs des problèmes d'insalubrité qui affectent l'appartement, il n'est pas établi que ces derniers nécessiteraient une intervention d'urgence ; qu'il en résulte que le motif tiré du risque pour la santé ou la salubrité publique ne peut permettre de caractériser une situation telle qu'il y ait une urgence particulière à procéder à la seule expulsion de Mme C et de ses enfants sous quarante-huit heures ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance du 20 avril 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande dont il était saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que les conclusions des consorts A présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 de ce code ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris en date du 20 avril 2012 est annulée.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Paris par les consorts A ainsi que les conclusions de ces derniers devant le juge des référés du Conseil d'Etat tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION, à M. Henri A, à Mme Françoise A et à Mme Catherine A.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 359214
Date de la décision : 16/05/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 mai. 2012, n° 359214
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. André Schilte
Avocat(s) : SCP BLANC, ROUSSEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:359214.20120516
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