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18/04/2012 | FRANCE | N°357951

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 18 avril 2012, 357951


Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 mars et 6 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'ASSOCIATION DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES, dont le siège est situé ..., représentée par son président, pour M. Marc A, demeurant ..., et pour M. Daniel B, demeurant ... ; l'ASSOCIATION DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES et MM. A et B demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de just

ice administrative, la suspension de l'exécution du décret n° 2012-255 ...

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 mars et 6 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'ASSOCIATION DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES, dont le siège est situé ..., représentée par son président, pour M. Marc A, demeurant ..., et pour M. Daniel B, demeurant ... ; l'ASSOCIATION DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES et MM. A et B demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du décret n° 2012-255 du 23 février 2012 relatif au siège et au ressort des chambres régionales des comptes ou, à titre subsidiaire, la suspension de l'exécution de l'article 4 de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens ;

ils soutiennent que la condition d'urgence est remplie dès lors que le décret contesté doit entrer en vigueur le 2 avril 2012 et que la réorganisation territoriale qu'il met en oeuvre comporte des effets difficilement réversibles ; que la réforme porte une atteinte grave et immédiate à l'intérêt public que constitue le bon fonctionnement de la justice financière ; qu'elle porte une atteinte immédiate aux droits statutaires des magistrats des chambres régionales des comptes ; qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ; que le décret n'est contresigné par aucun des ministres chargés de son exécution ; qu'il a été adopté sur le fondement de la consultation irrégulière du comité technique institué auprès du Premier président de la Cour des comptes et sur la foi d'un compte rendu erroné de la consultation du Conseil supérieur des chambres régionales des comptes ; que le décret contesté, combiné avec les dispositions de la loi du 12 mars 2012 relatives au dispositif d'affectation des magistrats, méconnaît l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme ; qu'en fixant son entrée en vigueur au 2 avril 2012, sans mesures transitoires, il méconnaît le principe de sécurité juridique et est à tout le moins entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

Vu le décret dont la suspension est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de ce décret ;

Vu le mémoire en intervention, enregistré le 10 avril 2012, présenté pour M. Michel D, demeurant ..., qui intervient au soutien de la requête et conclut aux mêmes fins, par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, qu'il a intérêt à agir ;

Vu le mémoire en intervention, enregistré le 10 avril 2012, présenté pour le syndicat CGT Administration centrale et services des ministères économiques, financiers et du Premier ministre, dont le siège est situé au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, 139 rue de Bercy à Paris (75012), représenté par son secrétaire général, qui intervient au soutien de la requête et conclut aux mêmes fins, par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, qu'il a intérêt à agir ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2012, présenté par le Premier ministre, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que le décret du 23 février 2012 n'appelait aucune mesure d'exécution qui doive être signée ou contresignée par un ministre autre que le Premier ministre ; que la consultation du comité technique était régulière dès lors qu'en vertu de l'article 46 du décret du 15 février 2011, lorsque le quorum n'a pas été atteint lors d'une première séance et que le comité technique a dû être reconvoqué, les dispositions de l'article 48 du même décret ne sont plus applicables ; que tant l'auteur du décret que le Conseil d'Etat ont été correctement informés de l'avis rendu par le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes ; que le texte contesté ne soulève aucune difficulté de compréhension susceptible d'entacher la clarté et l'intelligibilité de la norme ; que l'entrée en vigueur du décret n'a pas méconnu le principe de sécurité juridique dès lors que ni les audiences, ni le travail des personnels et magistrats des chambres régionales des comptes n'ont été perturbés ; que la condition d'urgence n'est pas remplie ; que l'entrée en vigueur du décret contesté n'a porté atteinte ni à un intérêt public, ni aux intérêts défendus par les requérants ; que le principe d'inamovibilité des magistrats ne peut avoir pour effet d'empêcher une modification du siège et du ressort des chambres régionales des comptes ; que, dès lors que des chambres régionales des comptes ont déjà été regroupées, la suspension de l'exécution du décret contesté serait de nature à entraîner des perturbations importantes ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 16 avril 2012, présenté pour l'ASSOCIATION DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES et MM. A et B, qui reprennent les conclusions de leur requête et les mêmes moyens ; ils soutiennent en outre qu'il n'y a aucun intérêt général à ne pas suspendre le décret contesté ; que l'entrée en vigueur de la réforme sans mesures transitoires révèle des problèmes liés notamment à des délibérés irréguliers au siège des chambres supprimées, à la gestion des archives, au traitement des dossiers non transférables à la Cour des comptes et à la nomination irrégulière de procureurs financiers ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu la loi n° 2012-357 du 12 mars 2012 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'ASSOCIATION DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES et MM. A et B, M. D, le syndicat CGT Administration centrale et services des ministères économiques, financiers et du Premier ministre et, d'autre part, le Premier ministre, ainsi que la Cour des comptes ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 16 avril 2012 à 10 heures, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Foussard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'ASSOCIATION DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES et MM. A et B, de M. D et du syndicat CGT Administration centrale et services des ministères économiques, financiers et du Premier ministre ;

- MM. Marc A et Daniel B ;

- le représentant du syndicat CGT Administration centrale et services des ministères économiques, financiers et du Premier ministre ;

- la représentante du Premier ministre ;

- les représentants de la Cour des comptes ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été prolongée jusqu'au 17 avril 2012 à 12 heures ;

Vu les pièces complémentaires produites le 16 avril 2012 pour l'ASSOCIATION DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES et MM. A et B ;

Vu les pièces complémentaires produites le 17 avril 2012 par le Premier ministre ;

Sur les interventions de M. Michel D et du syndicat CGT Administration centrale et services des ministères économiques, financiers et du Premier ministre :

Considérant que M. Michel D et le syndicat CGT Administration centrale et services des ministères économiques, financiers et du Premier ministre ont intérêt à la suspension du décret contesté ; que, par suite, leurs interventions sont recevables ;

Sur les conclusions à fin de suspension :

Considérant que le premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des juridictions financières, dans sa rédaction issue de l'article 46 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, dispose : " Le siège et le ressort des chambres régionales des comptes sont fixés par décret en Conseil d'Etat. Leur nombre ne peut excéder vingt " ; que la modification ainsi apportée à ce texte impliquait la suppression d'au moins sept chambres régionales des comptes ; que les autres alinéas du même article L. 212-1, issus de la même loi du 13 décembre 2011, prévoient le mode de répartition des affaires en cours en cas de modification du ressort d'une chambre régionale des comptes ;

Considérant que le décret du 23 février 2012 relatif au siège et au ressort des chambres régionales des comptes supprime sept chambres régionales des comptes en rattachant leur ressort à celui d'une chambre voisine couvrant, après cette modification, un ressort correspondant à deux régions ; que l'article 4 de ce décret fixe sa date d'entrée en vigueur au 2 avril 2012 ;

Considérant que l'article 95 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique a modifié l'article L. 221-1 du code des juridictions financières pour prévoir les modalités d'affectation des magistrats de chambres régionales des comptes concernés par les modifications apportées en application de l'article L. 212-1 du même code ; que l'article L. 221-1 prévoit notamment une affectation de plein droit à la nouvelle chambre régionale devenant compétente sur le ressort de la chambre supprimée, sous réserve de la possibilité d'émettre d'autres souhaits dans un délai qui expirera le 31 mai 2012 ;

Considérant que l'ASSOCIATION DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES, M. A et M. B demandent la suspension du décret du 23 février 2012 ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l' instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

Considérant que, pour justifier de l'urgence à prononcer la suspension demandée, les requérants font valoir que la réorganisation territoriale mise en oeuvre par le décret contesté comporte des effets difficilement réversibles et qu'elle porte une atteinte grave et immédiate à l'intérêt public que constitue le bon fonctionnement de la justice financière ainsi qu'aux droits statutaires des magistrats des chambres régionales des comptes ; qu'il est également soutenu que cette réforme porterait atteinte aux intérêts privés des magistrats et des personnels ;

Considérant, en premier lieu, que l'inamovibilité des magistrats des chambres régionales des comptes, prévue par l'article L. 212-8 du code des juridictions financières, ne fait pas obstacle au regroupement du ressort de plusieurs chambres ; qu'ainsi qu'il a été dit, la loi du 12 mars 2012 a prévu une procédure permettant aux magistrats de demander leur affectation dans une autre chambre que celle qui résulte du regroupement ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'urgence résulterait d'une atteinte aux garanties statutaires des magistrats ne peut qu'être rejeté ;

Considérant, en deuxième lieu, que si le décret contesté peut impliquer pour les magistrats et les personnels des chambres régionales des comptes supprimées des contraintes de trajet ou des déménagements, ces contraintes sont inhérentes à une réorganisation territoriale et sont susceptibles de donner lieu à une compensation financière ;

Considérant, en troisième lieu, que si les requérants mentionnent des actes ou comportements qui seraient, selon eux, entachés d'illégalités imputables à la date d'entrée en vigueur prévue par l'article 4 du décret contesté, les illégalités invoquées, à les supposer avérées, n'apparaissent pas comme une conséquence directe des dispositions du décret contesté ; que si sont invoquées des difficultés liées aux délais nécessaires pour trouver des locaux supplémentaires au siège des nouvelles chambres regroupées, il résulte de l'instruction que le service public de la justice financière est en état d'accomplir ses missions en utilisant les locaux de la chambre nouvelle et, en tant que de besoin, les locaux demeurant disponibles au titre des anciennes chambres ; que si les conditions d'affectation des magistrats et personnels sont contestées, il résulte de l'instruction que les dispositions nécessaires ont été prises pour assurer le fonctionnement des nouvelles chambres régionales des comptes ; que si des difficultés juridiques sont invoquées concernant l'affectation d'affaires en cours, au regard des dispositions combinées de l'article L. 212-1 du code des juridictions financières et du décret du 23 février 2012, il ne résulte pas de l'instruction que ces difficultés, à les supposer avérées, seraient la conséquence directe du décret contesté et ne puissent être résolues par application des principes généraux du droit public ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que l'urgence résulterait d'une atteinte portée au bon fonctionnement du service public assuré par les juridictions financières doit être écarté ;

Considérant, en quatrième lieu, que si les requérants invoquent l'urgence résultant du caractère irréversible et, selon eux, précipité, de la réforme, il convient de relever, d'une part, que la réorganisation territoriale est la conséquence du choix exprimé par le législateur quant au nombre total de chambres régionales des comptes et, d'autre part, qu'une suspension du décret contesté, à la date de la présente ordonnance et compte tenu de la date de la saisine du juge des référés, entraînerait une grave perturbation du fonctionnement des juridictions financières en raison de la succession, à brève échéance, de régimes juridiques contradictoires applicables aux chambres concernées ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, la condition d'urgence n'étant pas remplie, les conclusions à fin de suspension doivent être rejetées ;

Sur les conclusions relatives aux dépens et à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que l'Etat n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; que, par suite, les conclusions présentées par les requérants et tendant au versement d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'au titre de la contribution pour l'aide juridique acquittée par eux, doivent être rejetées ;

O R D O N N E :

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Article 1er : Les interventions de M. Michel D et du syndicat CGT Administration centrale et services des ministères économiques, financiers et du Premier ministre sont admises.

Article 2 : La requête de l'ASSOCIATION DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES et MM. A et B est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'ASSOCIATION DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES, MM. Marc A et Daniel B, à M. Michel D, au syndicat CGT Administration centrale et services des ministères économiques, financiers et du Premier ministre et au Premier ministre.

Copie en sera adressée au Premier président de la Cour des comptes.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 357951
Date de la décision : 18/04/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 avr. 2012, n° 357951
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Martin
Avocat(s) : FOUSSARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:357951.20120418
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