Vu, 1° sous le n° 318825, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juillet et 17 octobre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme B...D..., demeurant..., ; Mme D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 51919 du 28 mai 2008 par lequel la Cour des comptes, statuant définitivement, a fixé la ligne de compte de la gestion de fait en dépenses et en recettes à 7 840 307,34 euros et l'a constituée solidairement et conjointement débitrice de la commune de Noisy-le-Grand, à raison des opérations engagées par l'association du personnel de la commune de Noisy-le-Grand, d'une part, au titre de la période du 1er janvier 1988 au 31 janvier 1990, avec cette association pour la somme de 224 936,42 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 25 mars 1997 et, d'autre part, au titre de la période du 1er février 1990 au 31 décembre 1993, avec cette association et M. C...pour la somme de 404 175,42 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 25 mars 1997 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2° sous le n° 318951, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet et 30 octobre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. A...C..., demeurant..., ; M. C...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 51919 du 28 mai 2008 de la Cour des comptes, statuant définitivement, en tant qu'il a, d'une part, fixé la ligne de compte de la gestion de fait en dépenses et en recettes, à 7 840 307,34 euros et qu'il l'a, d'autre part, constitué solidairement et conjointement débiteur de la commune de Noisy-le-Grand, à raison des opérations engagées par l'association du personnel de la commune de Noisy-le-Grand, au titre de la période du 1er février 1990 au 31 décembre 1993, avec cette association et Mme D... pour la somme de 404 175,42 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 25 mars 1997 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 mars 2011, présentée pour Mme D... ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Aurélie Bretonneau, Maître des Requêtes-rapporteur,
- les observations de la SCP Gaschignard, avocat de M. A... C...et de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de Mme B...D...,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gaschignard, avocat de M. A... C...et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de Mme B...D... ;
Considérant que les pourvois enregistrés sous les n° 318825 et 318951, présentés respectivement pour Mme D... et pour M.C..., sont dirigés contre le même arrêt du 28 mai 2008 par lequel la Cour des comptes, statuant à titre définitif en appel après renvoi du Conseil d'Etat, a fixé la ligne de compte de la gestion de fait relative à l'association du personnel de la commune de Noisy-le-Grand et constitué conjointement et solidairement débiteurs de la commune de Noisy-le-Grand, d'une part, au titre de la période du 1er janvier 1988 au 31 janvier 1990, l'association du personnel et Mme D... pour la somme de 224 936,42 euros, d'autre part, au titre de la période du 1er févier 1990 au 31 décembre 1993, cette association, Mme D... et M. C...pour la somme de 404 175,42 euros ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la régularité de la procédure et de l'arrêt :
Considérant que, comme il a d'ailleurs déjà été indiqué par la décision du 30 décembre 2003 du Conseil d'Etat statuant sur les pourvois des mêmes requérants contre le premier arrêt de la Cour des comptes fixant la ligne de compte de la gestion de fait, la mention dans le rapport public de la Cour des comptes pour 1995 de ce que certaines dépenses engagées par l'association du personnel de Noisy-le-Grand étaient susceptibles de caractériser des gestions de fait n'a pas constitué un préjugement de l'appréciation qu'il incombe à la Cour de porter, une fois le périmètre de la gestion de fait définitivement fixé, au stade de la fixation de la ligne de compte de cette gestion de fait ; qu'ainsi, M. C...n'est pas fondé à soutenir que la Cour des comptes était structurellement disqualifiée pour statuer, après renvoi du Conseil d'Etat, sur la fixation de la ligne de compte ;
Considérant que pour écarter ce même moyen que soulevait M. C...devant elle, la Cour a suffisamment motivé son arrêt en se référant à la précédente décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux en date du 30 décembre 2003 ;
Considérant que la Cour des comptes avait déjà répondu, dans son arrêt du 16 janvier 1997, devenu définitif, déclarant l'association du personnel de la commune de Noisy-le-Grand, Mme D...et M. C...comptables de fait, au moyen tiré de ce que les primes de technicité et les primes mensuelles n'étaient pas illégales ; que, dès lors, M. C...n'est pas fondé à soutenir qu'en se référant à cette réponse pour écarter ce même moyen soulevé devant elle, la Cour des comptes a insuffisamment motivé l'arrêt qu'il attaque ;
Considérant que la Cour des comptes a suffisamment répondu à l'ensemble des arguments présentés par M. C...au soutien du moyen tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité ;
Considérant que, si le troisième paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoit que : " Tout accusé a droit notamment à (...) : b. disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ", ces stipulations ne sont applicables qu'aux accusations prononcées en matière pénale au sens de l'article 6 de cette convention ; que lorsqu'il prononce la gestion de fait puis fixe la ligne de compte de cette gestion de fait et met le ou les comptables en débet, le juge des comptes tranche à chaque étape de cette procédure des contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil ; que, par suite, les stipulations de l'article cité ci-dessus ne sont pas applicables à cette procédure ; qu'au surplus, et dès lors qu'aucune disposition ne lui faisait obligation, en l'état des textes applicables, de communiquer les conclusions du parquet, qui n'avait pas la qualité de partie à l'instance, aux intéressés, la Cour des comptes n'a pas, en tout état de cause, méconnu le principe du respect des droits de la défense en ne procédant à cette communication que cinq jours avant l'audience ;
Considérant que le magistrat de la Cour des comptes investi des fonctions de contre-rapporteur participe à l'exercice même de la fonction de juger et ne dispose d'aucun pouvoir propre distinct de ceux de la formation de jugement ; que, par suite, Mme D...n'est pas fondée à soutenir que la participation de ce magistrat au délibéré de la formation de jugement méconnaîtrait les exigences qui découlent du principe d'impartialité ;
Considérant que l'article L. 140-7 du code des juridictions financières, dans sa version applicable au litige, dispose que : " (...) Lorsque la Cour statue en matière de gestion de fait et d'amende, elle délibère hors la présence du rapporteur. L'arrêt est rendu en audience publique " ; que les arrêts provisoires ont pour objet d'assurer le caractère contradictoire de la procédure, en portant à la connaissance des personnes concernées les faits sur lesquels la juridiction envisage de statuer ; qu'ils ne règlent pas la situation des personnes mises en cause, mais les invitent à produire toutes justifications permettant ensuite à la juridiction de se prononcer par les arrêts définitifs ; que, dès lors, en précisant que sont publiques les seules séances de jugement " au cours desquelles la Cour statue à titre définitif sur une gestion de fait ou une amende ", l'article R. 141-9 du code des juridictions financières, dans sa version applicable au litige, n'a méconnu ni l'article L. 140-7 cité ci-dessus, qui ne vise pas les jugements provisoires, ni le droit à un procès équitable ; que par suite, en se prononçant à titre provisoire sans audience publique, sur le fondement de cet article, par l'arrêt du 12 juillet 2006, régulièrement notifié aux parties, sur la fixation de la ligne de compte de la gestion de fait, la Cour des comptes n'a pas méconnu le droit à un procès équitable ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
En ce qui concerne la déclaration de gestion de fait et la fixation de la ligne de compte :
Considérant que la prescription du jugement des comptes n'était pas invoquée devant la Cour des comptes, Mme D...se bornant alors à soutenir que les règles de prescription faisaient obstacle à ce qu'elle soit déclarée gestionnaire de fait ; que le moyen, qui n'est pas d'ordre public, tiré de ce que le jugement des comptes litigieux est prescrit en vertu des dispositions du IV de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 de finances pour 1963 ne peut donc utilement être invoqué pour contester le bien-fondé de l'arrêt attaqué ; que les dispositions de la loi du 28 octobre 2008 relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes qui ont modifié l'article 60 de la loi du 23 février 1963 mentionné ci-dessus ne sauraient avoir d'incidence sur l'arrêt du 28 mai 2008, qui était passé en force de chose jugée antérieurement à leur édiction ;
Considérant que le jugement du 7 février 1996 par lequel la chambre régionale des comptes d'Ile de France a déclaré comptables de fait l'association du personnel, Mme D... et M. C...a fait l'objet d'un appel sur lequel la Cour des comptes a statué par l'arrêt mentionné ci-dessus du 16 janvier 1997 ; que cet arrêt, qui n'a pas été frappé de pourvoi en cassation, est devenu définitif ; que, par suite, c'est à bon droit que la Cour des comptes a relevé, par l'arrêt attaqué du 28 mai 2008, que les requérants ne pouvaient pas remettre en cause, au stade de la fixation de la ligne de compte, le jugement du 7 février 1996 et l'arrêt du 16 janvier 1997 au motif que l'absence d'impartialité des formations de jugement qui les ont rendus entacherait d'irrégularité l'ensemble de la procédure ; que, si la Cour des comptes a ensuite, par l'arrêt attaqué du 28 mai 2008, répondu pour les écarter aux moyens inopérants devant elle tirés de l'irrégularité des décisions des 7 février 1996 et 16 janvier 1997, cette réponse revêtait un caractère surabondant ; qu'il s'ensuit que les moyens dirigés contre ces motifs surabondants ne peuvent qu'être écartés ;
Considérant que, par l'arrêt cité ci-dessus du 16 janvier 1997 devenu définitif, la Cour des comptes a déclaré comptables de fait l'association du personnel, Mme D...et M. C... ; que, par suite, Mme D... n'est pas recevable à contester cette qualification à l'occasion du présent pourvoi dirigé contre l'arrêt qui fixe la ligne de compte de la gestion de fait définitivement prononcée ;
En ce qui concerne la répartition de la dette entre les requérants :
Considérant, en premier lieu, qu'au stade de la déclaration de gestion de fait, il appartient au juge des comptes de déterminer si chacune des personnes mises en cause a participé de façon suffisamment déterminante aux opérations irrégulières pour être déclarée comptable de fait ; que lorsque plusieurs personnes ont participé de façon indifférenciée et suffisamment déterminante aux opérations irrégulières, le juge des comptes les déclare solidairement comptables de fait ; que dans une telle hypothèse, le lien de solidarité ainsi instauré entre elles ne peut plus être remis en cause à l'occasion du jugement du compte de cette gestion de fait, seul pouvant être discuté à ce stade le périmètre exact des opérations comptables auxquelles s'applique cette solidarité ; qu'il appartient alors au juge des comptes de déterminer autant de lignes de compte qu'il y a de périmètres de solidarité entre les personnes déclarées comptables de fait des deniers de la gestion ;
Considérant, en deuxième lieu, que la solidarité instituée entre coauteurs d'une gestion de fait au titre d'une même ligne de compte trouve son fondement dans l'indivisibilité des opérations irrégulières qui forment un tout ; que cette indivisibilité a pour corollaire que les contributions respectives au maniement irrégulier des deniers publics des différentes personnes constituées solidairement en débet au titre de cette ligne de compte sont nécessairement indifférenciées, sans que soient établies de distinctions entre les différents cogestionnaires ; qu'il appartient au juge financier de préciser dans les motifs et le dispositif de son jugement que la quote-part de chacun d'entre eux résulte nécessairement, de ce fait, d'un partage par parts viriles du montant du débet ;
Considérant, en troisième lieu, qu'un comptable de fait mis en débet peut, postérieurement à la mise en débet, solliciter auprès du ministre chargé du budget, en vertu du IX de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 de finances pour 1963, la remise gracieuse des sommes mises à sa charge et, le cas échéant, contester devant le juge de l'excès de pouvoir le refus opposé à sa demande ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de ce qui précède que la contribution finale à la dette d'un comptable de fait solidairement tenu au débet avec d'autres personnes ne saurait excéder, en droit, le montant de sa quote-part, nécessairement calculé en fonction d'un partage par parts viriles du débet ; qu'ainsi, dans l'hypothèse où le ministre chargé du budget accorde à l'un des comptables de fait solidairement tenu au débet une remise gracieuse, après avis conforme de l'organisme intéressé dans le cas où la somme allouée en remise est supportée par un organisme public autre que l'Etat, il résulte nécessairement de cette décision que l'extinction de la dette vis-à-vis du codébiteur ayant bénéficié d'une remise gracieuse dispense l'ensemble des autres codébiteurs solidaires du paiement de celle-ci dans les limites du montant à hauteur duquel la remise a été accordée ; que par suite, le créancier ne peut plus répéter la dette auprès des autres codébiteurs que déduction faite de la part de celui auquel il a fait la remise ou, dans les cas d'octroi d'une remise partielle, du montant de celle-ci ;
Considérant, enfin, que le caractère solidaire de la mise en débet autorise la collectivité publique à se retourner contre l'une seulement des personnes constituées solidairement en débet pour obtenir le règlement de la totalité de celui-ci ; que dans une telle hypothèse, cette personne peut, après s'être acquittée de la dette, obtenir des codébiteurs qu'elle a ainsi libérés le remboursement de la somme correspondant à leur quote-part dans la dette commune au vu du jugement du juge des comptes, revêtu de la formule exécutoire, se prononçant expressément sur la répartition finale de la dette ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de ce qui précède que la Cour des comptes n'a pas commis d'erreur de droit en indiquant qu'il n'appartenait pas au juge des comptes d'accorder à M.C..., pour des motifs d'équité, une remise gracieuse de la part du débet mis à sa charge et qu'il revenait à ce dernier, s'il s'y croyait fondé, de saisir le ministre d'une telle demande ;
Mais considérant, d'autre part, qu'il résulte également de ce qui précède qu'en s'abstenant de se prononcer sur le partage final de la dette entre M. C...et les autres personnes déclarées solidairement débitrices de la commune de Noisy-le-Grand avec lui, la Cour des comptes a méconnu son office et commis une erreur de droit ;
Considérant qu'il en résulte que l'arrêt que M. C...attaque doit donc être annulé en tant qu'il ne se prononce pas sur les conclusions de ce dernier tendant à un tel partage ; qu'en revanche, les requérants ne sont pas fondés à demander, pour le surplus, l'annulation de l'arrêt du 28 mai 2008 ;
Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond dans la mesure de l'annulation prononcée ;
Considérant que, par l'arrêt attaqué du 28 mai 2008, devenu définitif sur ce point, M. C...a été constitué solidairement débiteur avec Mme D...et l'association du personnel de la commune de Noisy-le-Grand de la somme de 404 175,42 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 25 mars 1997 ; qu'il résulte de ce qui précède que la répartition finale de cette dette entre chacun des codébiteurs se fera par part viriles ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans l'instance n° 318825, la partie perdante, le versement à Mme D... d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à ce titre d'une somme à M. C... ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la Cour des comptes du 28 mai 2008 est annulé en tant qu'il ne se prononce pas sur la répartition finale de la dette entre M. C...et ses codébiteurs.
Article 2 : Le partage final du débet de 404 175,42 euros, augmenté des intérêts de droit à compter du 25 mars 1997, mis solidairement à la charge de M.C..., de Mme D... et de l'association du personnel de la commune de Noisy-le-Grand se fera par parts viriles entre eux.
Article 3 : Le surplus des conclusions des pourvois est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B...D..., à M. A... C...et au Premier ministre.
Une copie pour information sera transmise au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique et au procureur général près la Cour des comptes.