Vu la requête, enregistrée le 28 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Gilbert A, demeurant ... et par Mme Bilaka B, élisant domicile à la même adresse ; M. A et Mme B demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 4 février 2009, confirmée implicitement par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, par laquelle les autorités consulaires françaises à Cotonou (Bénin) ont refusé un visa de long séjour à Mme B et à ses deux enfants Rosiana et Christian A en qualité de membres de la famille d'un réfugié statutaire ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, de l'outre mer, des collectivités territoriales et de l'immigration de délivrer les visas demandés dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
ils soutiennent que la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'ils sont séparés l'un de l'autre ainsi que de leurs enfants, ce qui préjudicie de manière grave et immédiate à leur droit au respect de leur vie privée et familiale ; qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; que les liens familiaux entre M. A, Mme B et leurs enfants ont été établis par des actes d'état civil et notamment les originaux des attestations de naissance des enfants ; que les pièces produites par M. A ont été délivrées selon les formes prévues par le droit local ; que l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides a délivré un certificat de mariage et un livret de famille à M. A ; que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas motivé sa décision implicite de refus ; que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la décision dont la suspension est demandée ;
Vu la copie du recours présenté à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
Vu la copie de la requête à fin d'annulation de la décision implicite de cette commission ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2011, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que la décision contestée ne préjudicie pas de manière suffisamment grave et immédiate aux intérêts des requérants et que la demande de suspension a été formée un an après la décision ; que M. A et Mme B ne justifient pas qu'ils ont saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'une demande de motivation de sa décision implicite de rejet de leur demande ; que M. A a déposé de nombreuses demandes de visas, pouvant constituer des détournements de procédure ; que les attestations de naissance fournies pour Mme B et les enfants ne sont pas des actes d'état-civil mais des documents établis par un commissaire de zone , autorité de police ; que l'attestation de mariage coutumier entre M. A et Mme B n'a pas de valeur légale, faute que ce mariage ait été enregistré par un officier de l'état-civil dans les formes légalement prévues ; que si ces attestations de naissance constituaient des actes d'état-civil, il est peu compréhensible que les requérants aient estimé utile de demander six jugements supplétifs d'actes d'état-civil ; que ces jugements ont été rendus, longtemps après les naissances, dans des conditions anormales, hors la présence des requérants, sans enquête ou vérification des déclarations et, pour l'un, un dimanche ; que les attestations de naissance de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés produites ont été établies sur la seule foi des déclarations des requérants ; que l'identité de l'épouse et celle des enfants allégués n'étant pas établies, la commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en rejetant les demandes de visas ; que les liens matrimonial et de filiation n'étant pas établis, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A et Mme B et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, de l'outre mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;
Vu le procès-verbal de l'audience du 21 janvier 2011 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Chevallier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. Gilbert A et Mme Bilaka B ;
- M. Gilbert A ;
- les représentants du ministère de l'intérieur, de l'outre mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. ;
Considérant que la demande de suspension de M. A et de Mme B doit être regardée comme dirigée contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant leur recours, qui s'est entièrement substituée à la décision des autorités consulaires françaises à Cotonou rejetant les demandes de visas ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la commission des recours des réfugiés, devenue Cour nationale du droit d'asile, a reconnu à M. A, ressortissant de la République démocratique du Congo, la qualité de réfugié, le 30 septembre 2005 ; que les autorités consulaires françaises à Cotonou (Bénin) ont refusé, par une décision en date du 4 février 2009, de délivrer à Mme B, qui a la même nationalité et s'est réfugiée dans ce pays, le visa qu'elle sollicitait, au motif qu'elle n'apportait pas la preuve de son mariage avec M. A ; que le même jour, ces mêmes autorités ont rejeté les demandes de visas présentées pour les enfants Rosiana et Christian A ;
Considérant que l'administration conteste la validité des attestations de naissance signées, le 19 août 1993, par le même commissaire de zone et officier de l'état-civil , pour Mme B, née le 13 mai 1966 et pour Rosiana A, née le 3 avril 1993 ; que si M. A fait valoir que les commissaires de zone exerçaient alors au Zaïre les mêmes fonctions qu'aujourd'hui, en République démocratique du Congo, les maires des communes, la valeur de ces documents est douteuse ; que, toutefois, sont également produits des jugements supplétifs d'actes de naissance ainsi que, pour les deux enfants, des certificats de scolarité faisant état de la même filiation et des mêmes dates de naissance, 3 avril 1993 pour Rosiana et 5 octobre 1994 pour Christian ; que l'administration conteste également le lien de mariage entre M. A et Mme B dans la mesure où le mariage coutumier, qui aurait été contracté le 26 mai 1990, a fait l'objet, en 1991 seulement, d'une attestation , portant la seule signature d'un commissaire de zone ; que, cependant, M. A, qui souligne la désorganisation administrative de son pays à cette époque, produit également un jugement supplétif relatif à son mariage ; qu'ainsi, tant le lien matrimonial entre M. A et Mme B que le lien de filiation des enfants Rosiana et Christian avec eux peuvent être regardés comme établis ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision ;
Considérant qu'eu égard à la durée et aux conditions de la séparation de Mme B et de ses deux enfants d'avec M. A, la condition d'urgence posée à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A et Mme B sont fondés à demander la suspension de l'exécution de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant les demandes de visas présentées pour Mme B et les enfants Rosiana et Christian A ; qu'il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration de procéder à un nouvel examen de ces demandes dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais engagés par les requérants et non compris dans les dépens ;
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'exécution de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant de délivrer des visas de long séjour à Mme B et aux enfants Rosiana et Christian A est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration de réexaminer, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance, les demandes de visas mentionnées à l'article 1er.
Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Gilbert A, à Mme Bilaka B et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.