La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/07/2010 | FRANCE | N°321056

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 16 juillet 2010, 321056


Vu les mémoires, enregistrés le 19 mai 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté pour M. Jean-Sébastien A, demeurant ..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. A demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision du 26 juin 2008 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers lui a infligé une sanction pécuniaire de 200 000 euros et ordonné sa publication, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libert

és garantis par la Constitution de l'article L. 621-15 du code mo...

Vu les mémoires, enregistrés le 19 mai 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté pour M. Jean-Sébastien A, demeurant ..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. A demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision du 26 juin 2008 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers lui a infligé une sanction pécuniaire de 200 000 euros et ordonné sa publication, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version issue de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Aurélie Bretonneau, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. Jean-Sébastien A et de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de l'Autorité des marchés financiers,

- les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. Jean-Sébastien A et à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de l'Autorité des marchés financiers,

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

Considérant que M. A, qui conteste la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier à l'appui de son recours contre une décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers qui lui a infligé une sanction, doit être regardé comme contestant ce texte dans sa version applicable à la date des faits à raison desquels il a été sanctionné, soit celle issue de la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie ;

Considérant, en premier lieu, que M. A soutient que les dispositions de cet article, en ce qu'elles permettent à la commission de prononcer, à l'encontre des auteurs des pratiques mentionnées au I de l'article L. 621-14 du même code, une sanction pécuniaire susceptible de se cumuler avec des sanctions pénales infligées à raison des mêmes faits, sont contraires au principe selon lequel nul ne peut être condamné deux fois pour les mêmes faits, ainsi qu'aux principes de proportionnalité et de nécessité des peines, garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Considérant, toutefois, qu'appelé à se prononcer sur la conformité à la Constitution de dispositions similaires, relatives au pouvoir de sanction de la Commission des opérations de bourse, et insérées dans la loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, le Conseil constitutionnel a jugé, par sa décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, d'une part, que le principe selon lequel nul ne peut être condamné deux fois pour les mêmes faits ne reçoit, en tout état de cause, pas application au cas de cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives et, d'autre part que, dans l'hypothèse d'un cumul de sanctions, il appartient aux autorités administratives et judiciaire compétentes de veiller au respect de l'exigence, imposée par le principe de proportionnalité auquel la Constitution les soumet, que le montant global des sanctions ainsi prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues et que, sous cette réserve, la possibilité de prononcer une sanction administrative pour des faits susceptibles d'être pénalement sanctionnés n'est pas contraire à la Constitution ;

Considérant que si, en raison des modifications législatives intervenues depuis la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1989, les dispositions en cause dans la présente instance ne peuvent être regardées ayant déjà été déclarées conformes à la Constitution, au sens du 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, il résulte néanmoins de cette décision que les moyens de M. A mettant en cause le cumul entre sanction administrative et condamnation pénale ne soulèvent pas une question sérieuse, dès lors que, contrairement à ce qu'il soutient, les dispositions contestées ne permettent le prononcé d'une sanction administrative qu'à l'issue d'une procédure contradictoire mettant l'intéressé à même de faire valoir, le cas échéant, qu'il a déjà fait l'objet d'une sanction pénale pour les faits que la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers envisage de sanctionner ;

Considérant, en deuxième lieu, que M. A soutient que ces mêmes dispositions sont contraires aux principes de légalité des délits et des peines, de nécessité des peines et de la présomption d'innocence, tels que garantis, notamment, par les articles 5, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles ne précisent pas expressément que seuls les manquements intentionnels peuvent entraîner le prononcé d'une sanction ; que toutefois, il résulte du renvoi, par les dispositions contestées de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, à celles de l'article L. 621-14 du même code que le pouvoir de sanction de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers ne vise que des manquements dont l'élément moral se déduit des termes mêmes de leur définition ; qu'ainsi, et en tout état de cause, ce moyen ne soulève pas non plus une question sérieuse ;

Considérant, en troisième lieu, que si le principe de légalité des délits et des peines implique que le législateur définisse, pour les sanctions dont le régime relève de sa compétence, les infractions en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire et détermine les sanctions qui leurs sont applicables, l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, en disposant que la commission des sanctions peut prononcer à leur encontre une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés , définit avec précision les sanctions applicables aux personnes mentionnées au c du II du même article ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question de la conformité des dispositions contestées de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, les moyens ci-dessus analysés de M. A doivent être écartés ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de saisir le Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Sébastien A, au Premier ministre, à la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et à l'Autorité des marchés financiers.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 321056
Date de la décision : 16/07/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 jui. 2010, n° 321056
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: Mlle Aurélie Bretonneau
Rapporteur public ?: M. Roger-Lacan Cyril
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP DE CHAISEMARTIN, COURJON

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:321056.20100716
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award