Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 22 juillet 2008, présentée par Mlle Sylvie A, domiciliée ... ; Mlle A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les décisions de retrait, prises les 18 octobre 2007 et 12 novembre 2007 par la première présidente de la cour d'appel d'Angers et le sous-directeur de la magistrature, de la décision du 12 septembre 2006 ;
2°) d'annuler le décret du Président de la République du 23 janvier 2008 la plaçant en disponibilité d'office pour maladie, du 9 juin 2006 au 8 décembre 2006 ;
3°) d'annuler la décision du 19 mai 2008 rejetant le recours gracieux formé contre le décret du 23 janvier 2008 ;
4°) de constater qu'elle devait être réintégrée comme juge au tribunal de grande instance d'Angers en mi-temps thérapeutique du 9 juin 2006 au 8 septembre 2006, puis à plein temps du 9 septembre 2006 au 8 décembre 2006 ;
5°) de constater que cette réintégration lui a conservé le bénéfice du plein traitement qui lui a été versé pour la période allant du 9 juin 2006 au 8 décembre 2006 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
Vu le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;
Vu le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Richard Senghor, Maître des requêtes,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'article 67 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature que tout magistrat est placé dans l'une des positions suivantes : en activité, en service détaché, en disponibilité, sous les drapeaux, en congé parental ; que l'article 68 de la même ordonnance précise que les dispositions du statut général des fonctionnaires concernant les positions énumérées à l'article 67 de l'ordonnance s'appliquent aux magistrats ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 41 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " Le bénéficiaire d'un congé de longue maladie ou de longue durée ne peut reprendre ses fonctions à l'expiration ou au cours dudit congé que s'il est reconnu apte, après examen par un spécialiste agréé et avis favorable du comité médical compétent. / Cet examen peut être demandé soit par le fonctionnaire, soit par l'administration dont il relève... " ; qu'aux termes de l'article 47 du même décret, " Le fonctionnaire ne pouvant, à l'expiration de la dernière période de congé de longue maladie ou de longue durée, reprendre son service est soit reclassé dans un autre emploi, en application du décret n° 84-1051 du 30 novembre 1984, soit mis en disponibilité, soit admis à la retraite ... " ; qu'enfin, aux termes de l'article 9 du même décret : " Le comité médical supérieur, saisi par l'autorité administrative compétente, soit de son initiative, soit à la demande du fonctionnaire, peut être consulté sur les cas dans lesquels l'avis donné en premier ressort par le comité médical compétent est contesté... " ;
Considérant que, suite à un accident, Mlle A, magistrate au tribunal de grande instance d'Angers, a été placée dans un premier temps en congé de longue maladie, puis, du 9 juin 2001 au 8 juin 2006, en congé de longue durée ; que, dans la perspective de la fin de ce dernier, elle a adressé à l'administration, le 6 février 2006, une demande de réintégration avec bénéfice pendant trois mois d'un mi-temps thérapeutique suivie d'une réintégration à temps plein ; que, d'une part, le 4 avril 2006, le comité médical départemental a émis un avis favorable à sa réintégration à l'issue d'un mi-temps thérapeutique à effectuer du 9 juin au 9 septembre 2006 ; que le ministre de la justice n'a fait appel de cet avis devant le comité médical supérieur que le 13 juin 2006, soit quatre jours après la date d'expiration du congé de longue durée de Mlle A ; que, d'autre part, après avoir procédé à une contre-expertise, le comité départemental a émis un nouvel avis en date du 24 août 2006, défavorable cette fois à une reprise des fonctions à temps partiel thérapeutique et proposant le placement de la requérante en disponibilité d'office pour maladie à compter du 9 juin 2006 et jusqu'au 8 décembre 2006 ; qu'enfin, le 20 décembre 2007, le Conseil supérieur de la magistrature a rendu un avis conforme sur le placement en disponibilité d'office de Mlle A pour cette période ; qu'il y a été procédé par un décret du 23 janvier 2008 contre lequel la requérante a formé un recours gracieux, rejeté le 19 mai 2008 ;
Considérant, en premier lieu, que, d'une part, la lettre du 12 septembre 2006 par laquelle la première présidente de la cour d'appel d'Angers a indiqué à Mlle A que, dans l'attente d'une décision définitive, elle lui maintenait son plein traitement tout en l'invitant à la prudence du fait qu'elle aurait certainement des sommes à reverser et, d'autre part, la lettre du 18 octobre 2007 par laquelle le même auteur a transmis à la requérante un courrier du comité médical supérieur du 6 novembre 2006 et l'a informée qu'une procédure de mise en disponibilité d'office était engagée à son égard, ne constituent pas des décisions faisant grief susceptibles de faire l'objet de recours pour excès de pouvoir dès lors que ces correspondances se sont bornées à tenir informée la requérante de l'évolution de la procédure ; qu'enfin, la lettre du 12 novembre 2007 adressée par le garde des sceaux à la première présidente de la cour d'appel d'Angers, dans laquelle il est précisé qu'à la suite de l'avis du comité médical supérieur le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi de la situation de Mlle A, ne constitue qu'un acte préparatoire à une décision ultérieure et ne saurait davantage faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;
Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions du décret du 14 mars 1986 relatives au comité médical départemental et au comité médical supérieur ne prévoient aucun délai de recours contre les avis du comité médical départemental ; que contrairement à ce qui est soutenu, le recours formé par l'administration devant le comité médical supérieur contre l'avis émis le 4 avril 2006 par le comité médical départemental, favorable à la reprise de fonctions à mi-temps thérapeutique, recours qui visait seulement à la réformation de cet avis et non à interrompre un délai de recours contentieux de deux mois, n'a pas été formé tardivement ;
Considérant toutefois, en troisième lieu, que, d'une part, les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir ; que s'agissant des décisions relatives à la carrière des fonctionnaires, des militaires ou des magistrats, l'administration peut, en dérogation à cette règle, leur conférer une portée rétroactive dans la stricte mesure nécessaire pour assurer la continuité de la carrière de l'agent intéressé ou procéder à la régularisation de sa situation ; que, d'autre part, lorsqu'un agent public a, avant la fin d'un congé de maladie, formé une demande de réintégration et obtenu un avis favorable du comité médical départemental, cet agent est, en cas d'inaction de l'administration, réputé être réintégré dès le lendemain du dernier jour de son congé de maladie ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, qu'en l'espèce, la circonstance que le recours de l'administration devant le comité médical supérieur, seule voie légale pour contester un avis rendu par le conseil médical départemental, n'ait été introduit que le 13 juin 2006, soit quatre jours après la date à laquelle expiraient les droits statutaires de la requérante au congé de longue durée, alors même que le comité médical départemental avait proposé dès le 4 avril 2006 la reprise par l'intéressée de ses fonctions à temps partiel thérapeutique, faisait obstacle à ce que l'administration place rétroactivement, à compter du 9 juin 2006, Mlle A en position de disponibilité d'office ; qu'aucune nécessité tenant à l'impératif de continuité de la carrière ou à la nécessité de régulariser la situation ne justifiait en l'espèce une telle rétroactivité, l'intéressée devant être réputée avoir été réintégrée à compter du 9 juin 2006 ; que, par suite, le décret du 23 janvier 2008 plaçant Mlle A en position de disponibilité d'office doit être annulé ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, du rejet du recours gracieux formé par Mlle A contre ce décret ;
Considérant, en quatrième lieu, que les conclusions de Mlle A tendant à conserver le bénéfice du plein traitement qui lui a été maintenu pour la période du 9 juin 2006 au 8 décembre 2006 ne peuvent qu'être rejetées, faute pour l'administration d'avoir pris une décision tendant à la récupération des sommes versées à l'intéressée pendant cette période ou, pour l'intéressée, de lui avoir préalablement adressé, avant de saisir le Conseil d'Etat, une demande tendant au maintien de ces sommes ; qu'en tout état de cause, l'annulation du décret du 23 janvier 2008 prononcée par la présente décision fait obstacle à ce que l'Etat obtienne légalement le reversement des sommes perçues par Mlle A pour la période allant du 9 juin 2006 au 8 décembre 2006 ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le décret du 23 janvier 2008 et la décision du 19 mai 2008 rejetant le recours gracieux formé contre ce décret, sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mlle A et à la ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.