Vu la requête, enregistrée le 4 juillet 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la FONDATION DE FRANCE, dont le siège est 40, avenue Hoche à Paris (75008), représentée par son président ; la FONDATION DE FRANCE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, au paragraphe 5 de l'instruction 4 J-2-05, publiée au bulletin officiel des impôts n° 77 du 28 avril 2005, les mots "fondations reconnues d'utilité publique qui bénéficient depuis 2003 d'un avoir fiscal au taux de 50 % imputable et restituable le cas échéant dans les conditions prévues au 3 de l'article 209 bis", d'autre part, au paragraphe 10 de la même instruction, au deuxième alinéa les mots "les fondations et associations reconnues d'utilité publique ainsi que" et au troisième alinéa les mots "(l'article 7 de la loi de finances pour 2003 qui avait rétabli les fondations dans le champ de l'avoir fiscal au taux plein de 50 % n'aura été applicable en pratique qu'au titre des dividendes reçus en 2003 par ces fondations)" ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 mai 2010, présentée pour la Fondation de France ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 2002-1575 du 30 décembre 2002 ;
Vu la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, Auditeur,
- les observations de la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la FONDATION DE FRANCE,
- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la FONDATION DE FRANCE ;
Considérant que le recours formé à l'encontre des dispositions impératives de circulaires ou d'instructions par lesquelles l'autorité administrative interprète les lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre doit être accueilli s'il est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles prescrivent d'adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ;
Considérant que, par le 1° du A du I de l'article 93 de la loi de finances pour 2004 du 30 décembre 2003, entré en vigueur à compter du 1er janvier 2004 en vertu de l'article 1er de cette loi, le législateur a notamment abrogé, d'une part, l'article 158 bis du code général des impôts selon lequel les personnes percevant des dividendes distribués par des sociétés françaises disposaient à ce titre d'un revenu constitué par les sommes reçues de la société et par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor, ainsi que les articles 158 ter et 158 quater et, d'autre part, l'article 209 bis qui rendait applicables aux personnes morales ayant leur siège social en France les dispositions des articles 158 bis et 158 ter, dans la mesure où le revenu distribué est compris dans la base de l'impôt sur les sociétés, et disposait que le crédit d'impôt était reçu en paiement de cet impôt, ainsi que l'article 209 ter ; qu'il résulte du D du I de l'article 93 de la même loi que cette abrogation est applicable, pour les personnes physiques, aux revenus distribués ou répartis qu'elles ont perçus à compter du 1er janvier 2005 et, pour les personnes autres que les personnes physiques, aux crédits d'impôt utilisables à compter du 1er janvier 2005 ; que la FONDATION DE FRANCE demande l'annulation pour excès de pouvoir de diverses dispositions concernant les fondations reconnues d'utilité publique et insérées dans les paragraphes 5 et 10 de l'instruction 4 J-2-05, publiée au bulletin officiel des impôts du 28 avril 2005, commentant notamment les dispositions de la loi de finances pour 2004 supprimant l'avoir fiscal pour les personnes autres que les personnes physiques pour les crédits d'impôt utilisables à compter du 1er janvier 2005 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes" ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien, au sens de ces stipulations ;
Considérant qu'en décidant que les personnes morales ne pourraient utiliser en 2005 les crédits d'impôt résultant de l'avoir fiscal attaché aux dividendes distribués en 2004, le législateur a entendu mettre fin, pour l'avenir, au dispositif en vigueur et notamment au bénéfice de l'avoir fiscal auquel les fondations reconnues d'utilité publique pouvaient prétendre depuis l'entrée en vigueur de l'article 28 de la loi du 30 décembre 2002 de finances pour 2003 ; qu'ainsi, dès le 1er janvier 2004, la FONDATION DE FRANCE ne pouvait plus se prévaloir de l'espérance légitime de bénéficier, en 2005, des crédits d'impôt attachés au régime de l'avoir fiscal, à raison des dividendes qui lui seraient servis en 2004 ; que, dès lors, elle n'est pas fondée à soutenir que le D du I de l'article 93 de la loi du 30 décembre 2003, ni par suite, les dispositions contestées de l'instruction 4 J-2-05, auraient porté atteinte au droit au respect de ses biens, en méconnaissance des stipulations précitées ;
Considérant, il est vrai, que pour demander au Conseil d'Etat d'écarter ce moyen, le ministre du budget n'a pas contesté que la FONDATION DE FRANCE pouvait invoquer une espérance légitime devant être regardée comme un bien au sens de ces stipulations, mais s'est seulement prévalu de l'existence d'un motif d'intérêt général suffisant et du caractère proportionné de l'atteinte aux biens par rapport à l'objectif poursuivi ;
Mais considérant qu'il appartient au juge administratif de se prononcer sur le bien-fondé des moyens dont il est saisi et, le cas échéant, d'écarter de lui-même, quelle que soit l'argumentation du défendeur, un moyen qui lui paraît infondé, au vu de l'argumentation qu'il incombe au requérant de présenter au soutien de ses prétentions ; qu'en particulier, saisi de conclusions relatives à l'atteinte au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient au juge de se prononcer sur l'existence d'un bien au sens et pour l'application de ces stipulations, alors même que le défendeur ne contesterait pas cette existence ; qu'en statuant ainsi, le juge ne relève pas d'office un moyen qu'il serait tenu de communiquer aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;
Considérant que la FONDATION DE FRANCE ne pouvant, ainsi qu'il a été dit, se prévaloir d'un droit protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle ne saurait invoquer les stipulations de l'article 14 de la même convention prohibant les discriminations dans la jouissance des droits et libertés que cette convention reconnaît ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de la FONDATION DE FRANCE doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la FONDATION DE FRANCE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la FONDATION DE FRANCE et au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat.