Vu l'ordonnance du 2 juillet 2007, enregistrée le 6 juillet 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président du tribunal administratif de Bordeaux a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. et Mme A, le GFA CAPEYRON et M. et Mme B ;
Vu la requête, enregistrée le 21 juin 2007 au greffe du tribunal administratif de Bordeaux, et le mémoire complémentaire, enregistré le 14 janvier 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme A demeurant ..., le GFA CAPEYRON, dont le siège est ... et M. et Mme B, demeurant ... et tendant à :
1°) l'annulation de l'arrêté du 6 mars 2006 par lequel le préfet de la Gironde et le préfet de la Charente-Maritime ont autorisé le Port autonome de Bordeaux à réaliser les opérations de dragage d'entretien du chenal de navigation de la Gironde et de la basse Garonne, les opérations nécessitées par l'exploitation des différents ouvrages portuaires, les opérations d'approfondissement du chenal d'accès, ainsi que les opérations d'immersion associées à ces dragages,
2°) la mise à la charge de l'Etat du versement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution et notamment son préambule ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le décret n° 53-578 du 20 mai 1953 relatif à la nomenclature des établissements classés comme dangereux, insalubres ou incommodes ;
Vu le décret n° 93-742 du 29 mars 1993 relatif aux procédures d'autorisation et de déclaration prévues par l'article 10 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau ;
Vu le décret n° 93-743 relatif à la nomenclature des opérations soumises à autorisation ou à déclaration en application de la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Dominique Guihal, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de M. et Mme A et autres et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du Grand port maritime de Bordeaux,
- les conclusions de Mme Isabelle de Silva, Rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de M. et Mme A et autres et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du Grand port maritime de Bordeaux ;
Considérant que les requérants demandent l'annulation de l'arrêté du 6 mars 2006 par lequel le préfet de la Gironde et le préfet de la Charente-Maritime ont autorisé le Port Autonome de Bordeaux à réaliser les dragages d'entretien du chenal de navigation de la Gironde et de la basse Garonne, les opérations nécessitées par l'exploitation des différents ouvrages portuaires, les travaux d'approfondissement du chenal d'accès, ainsi que les immersions de matériaux subséquentes ;
Sur la légalité externe :
Considérant en premier lieu qu'aux termes de l'article 9 du décret n° 93-742 du 29 mars 1993 alors en vigueur : Lorsque les caractéristiques ou l'importance des effets prévisibles d'un projet rendent nécessaires une coordination et une planification de la ressource en eau au niveau interrégional, le préfet chargé d'instruire ou de coordonner la procédure soumet la demande d'autorisation au préfet coordonnateur de bassin qui dispose d'un délai de deux mois à compter de la réception de cette demande pour exprimer son avis ;
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que les opérations autorisées, qui portent sur la suppression, sur une profondeur de 0,10 à 0,60 m, de dix seuils rocheux au fond du chenal de navigation de la Gironde et de la basse Garonne, ainsi que sur le dragage périodique de ce chenal et sur l'immersion des matériaux extraits, comportent, au-delà du site même des travaux, des effets prévisibles sur la ressource en eau qui rendraient nécessaires une coordination et une planification interrégionales ; que si au cours de l'enquête publique effectuée dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation, a été invoqué le risque d'intrusion d'eau saline dans la nappe de l'éocène moyen utilisée comme ressource en eau potable, et que le rapport établi par la commission d'enquête comporte sur ce point, une réserve tendant à la réalisation d'une expertise, le risque allégué était cantonné au département de la Gironde ; que par suite le moyen tiré de ce que la consultation du préfet coordonnateur de bassin a été omise doit être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du III de l'article L. 213-2 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors en vigueur, le comité de bassin est consulté sur l'opportunité des travaux et aménagements d'intérêt commun envisagés dans la zone de sa compétence, sur les différends pouvant survenir entre les collectivités ou groupements intéressés et plus généralement sur toutes les questions faisant l'objet des chapitres Ier à VII du présent titre. ;
Considérant que la compétence du comité de bassin d'Adour Garonne s'étend, aux termes d'un arrêté ministériel du 16 mai 2005, sur les bassins de la Garonne, de l'Adour, de la Dordogne, de la Charente et des cours d'eau côtiers charentais et aquitains ; que les travaux dont la réalisation est autorisée, et dont la consistance, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, est limitée à l'estuaire de la Gironde et au chenal de navigation, n'ont pas d'incidence sur l'ensemble de ces bassins, et ne sauraient par suite être regardés comme des travaux d'intérêt commun exigeant la consultation du comité de bassin d'Adour Garonne ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêté attaqué n'étant pas subordonné à la consultation du préfet coordonnateur de bassin ni à celle du comité de bassin, le moyen tiré de ce que leurs avis n'auraient pas été communiqués aux conseils départementaux d'hygiène est inopérant ;
Considérant, en quatrième lieu, que l'étude d'impact jointe au dossier de demande d'autorisation analyse précisément l'incidence du projet sur les sites Natura 2000 de l'estuaire de la Gironde ; qu'il en résulte, sans que ses résultats soient utilement contredits par des éléments d'expertise, que le projet n'aura pas d'incidence significative sur les habitats et les espèces remarquables de cette zone ; que, par suite, et dès lors que le projet autorisé par l'arrêté attaqué ne porte pas atteinte à l'état de conservation du site, l'avis de la Commission européenne prévu par le IV de l'article L. 414-4 du code de l'environnement n'avait pas à être recueilli ;
Considérant, en dernier lieu, que l'omission du visa du schéma d'aménagement et de gestion des eaux est sans influence sur la légalité de l'arrêté attaqué ;
Sur la légalité interne :
Considérant, en premier lieu, qu'à supposer même que les travaux autorisés provoquent, ainsi que le soutiennent les requérants, propriétaires de parcelles viticoles en bordure de la Gironde, une aggravation de l'érosion des berges, il n'en résulte pas que l'autorisation litigieuse, délivrée sous réserve des droits des tiers, soit de nature à porter, par elle-même, une atteinte illégale au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre ;
Considérant, en deuxième lieu, que la nomenclature annexée au décret n° 93-743 du 29 mars 1993 prévoit que sont soumis à autorisation, au titre de la rubrique 3.3.0, les travaux de création d'un port maritime ou d'un chenal d'accès ou travaux de modification des spécifications théoriques d'un chenal existant et au titre de la rubrique 3.4.0 les opérations de dragage et/ou rejet y afférent en milieu marin ou estuarien jusqu'au front de salinité ; que, contrairement à ce qui est soutenu par les requérants, l'arrêté attaqué s'est exactement fondé sur ces rubriques pour autoriser les dragages et les opérations d'arasement des seuils du chenal ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'article L. 214-1 du code de l'environnement que ne sont pas soumises à autorisation ou à déclaration en application de la police de l'eau les installations qui figurent à la nomenclature des installations classées ; qu'aux termes de la rubrique 2510 de cette nomenclature, sont assujetties à une autorisation en tant qu'exploitation de carrière, les opérations de dragage des cours d'eau et plans d'eau (à l'exception des opérations présentant un caractère d'urgence destinées à assurer le libre écoulement des eaux) lorsque les matériaux sont utilisés et lorsqu'elles portent sur une quantité à extraire supérieure à 2 000 tonnes ;
Considérant que l'arrêté attaqué prévoit expressément que les produits provenant des opérations de dragage et d'arasement des seuils seront immergés dans des zones de dépôt spécialement délimitées dans l'embouchure et l'estuaire de la Gironde ; que dès lors que les matériaux ne sont pas extraits pour être utilisés, les travaux en cause, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ne relèvent pas de la législation sur les installations classées, mais de la police de l'eau au titre de laquelle ils ont été autorisés ;
Considérant, en quatrième lieu, que si, aux termes de l'alinéa 1er de l'article L 321-8 du code de l'environnement : Les extractions de matériaux non visés à l'article 2 du code minier sont limitées ou interdites lorsqu'elles risquent de compromettre, directement ou indirectement, l'intégrité des plages, dunes littorales, falaises, marais, vasières, zones d'herbiers, frayères, gisements naturels de coquillages vivants et exploitations de cultures marines , l'alinéa 2 du même article prévoit que cette disposition ne peut toutefois faire obstacle aux travaux de dragage effectués dans les ports et leurs chenaux ni à ceux qui ont pour objet la conservation ou la protection d'espaces naturels remarquables. ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de ce texte ne peut qu'être écarté ;
Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article L. 414-4 du code de l'environnement : Les programmes ou projets de travaux, d'ouvrage ou d'aménagement soumis à un régime d'autorisation ou d'approbation administrative, et dont la réalisation est de nature à affecter de façon notable un site Natura 2000, font l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site. Pour ceux de ces programmes qui sont prévus par des dispositions législatives et réglementaires et qui ne sont pas soumis à étude d'impact, l'évaluation est conduite selon la procédure prévue aux articles L. 122-4 et suivants du présent code. (...)/ II. - L'autorité compétente ne peut autoriser ou approuver un programme ou projet mentionné au premier alinéa du I s'il résulte de l'évaluation que sa réalisation porte atteinte à l'état de conservation du site./ III. - Toutefois, lorsqu'il n'existe pas d'autre solution que la réalisation d'un programme ou d'un projet qui est de nature à porter atteinte à l'état de conservation du site, l'autorité compétente peut donner son accord pour des raisons impératives d'intérêt public. Dans ce cas, elle s'assure que des mesures compensatoires sont prises pour maintenir la cohérence globale du réseau Natura 2000. Ces mesures compensatoires sont à la charge du bénéficiaire des travaux, de l'ouvrage ou de l'aménagement. La Commission européenne en est tenue informée.
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'étude d'impact jointe au dossier et qui n'est pas précisément contredite, analyse de façon détaillée les effets du projet sur les habitats naturels ainsi que sur la faune et sur la flore estuariennes, en particulier sur l'esturgeon et sur l'angélique à fruits variés, espèces d'intérêt communautaire, et montre que les travaux en cause ne portent pas atteinte à l'état de conservation du site ; qu'ainsi, les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué méconnaitrait les dispositions précitées et serait entaché d'erreur d'appréciation ne peuvent être accueillis ;
Considérant qu'à défaut d'atteinte à l'état de conservation du site, l'édiction de mesures compensatoires n'est pas légalement nécessaire ; que le moyen tiré de l'insuffisance de ces mesures ne peut dès lors qu'être écarté ;
Considérant, en sixième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de la réserve formulée par la commission d'enquête relativement aux risques d'intrusion d'eau salée dans une nappe de l'éocène, dont la conservation est considérée comme prioritaire par le schéma d'aménagement et de gestion des eaux, l'arrêté attaqué a imposé la réalisation d'une étude hydrogéologique complémentaire préalablement aux travaux de déroctage ainsi que la mise en oeuvre d'un suivi hydrochimique et piézométrique de la nappe ; qu'il ressort de cette étude confiée au Bureau de recherches géologiques et minières, dont il appartient au juge de plein contentieux de tenir compte, que les travaux autorisés ne mettent pas en péril l'aquifère ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'incompatibilité du projet avec les dispositions du schéma d'aménagement et de gestion des eaux ne peut être accueilli ;
Considérant, en septième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les travaux réalisés dans le chenal, à une distance généralement comprise entre 500 et 1.400 m des rives, soient incompatibles avec l'objectif de restauration et d'entretien écologique des berges fixé par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux Adour-Garonne ;
Considérant, en dernier lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les préfets aient entaché leur décision d'une erreur d'appréciation des effets sur la conservation des berges, et, par voie de conséquence, sur les biotopes et espèces protégés sur le fondement des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement précitées, des travaux d'amélioration du chenal de navigation , ainsi que de l'accroissement du trafic maritime qui en résultera ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède M. et Mme A, M. et Mme B et le GFA CAPEYRON ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté ; que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ; qu'en revanche il sera accordé au Grand port maritime de Bordeaux la somme de 3 000 euros en application de ces mêmes dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : la requête de M. et Mme A, de M. et Mme B et du GFA CAPEYRON est rejetée.
Article 2 : M. et Mme A, M. et Mme B et le GFA CAPEYRON verseront au Grand port maritime de Bordeaux une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A, à M. et Mme B, au GFA CAPEYRON, au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat et au Grand port maritime de Bordeaux.