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17/03/2009 | FRANCE | N°307596

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 17 mars 2009, 307596


Vu l'ordonnance du 18 juillet 2007, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à cette cour par M. Mohammed A ;

Vu la requête, enregistrée le 29 mai 2006 au greffe de la cour administrative d'appel de Paris, présentée pour M. Mohammed A, demeurant ... ; M. A demande au juge administratif ;

1°) d'annuler le jugement du 1er février 2006 par lequel l

e tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulat...

Vu l'ordonnance du 18 juillet 2007, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à cette cour par M. Mohammed A ;

Vu la requête, enregistrée le 29 mai 2006 au greffe de la cour administrative d'appel de Paris, présentée pour M. Mohammed A, demeurant ... ; M. A demande au juge administratif ;

1°) d'annuler le jugement du 1er février 2006 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de la défense rejetant sa demande de révision de la retraite du combattant de son père, M. Mohamed B ;

2°) réglant l'affaire au fond, de fixer le montant de la retraite du combattant attribuée à feu son père au niveau de celle servie à un ressortissant français du 3 juillet 1962 à la date de son décès, le 20 mai 1973 et de condamner l'Etat à lui verser le montant actualisé des arrérages correspondant à la différence entre le montant ainsi fixé et celui qui a déjà été versé à feu son père, augmenté des intérêts légaux capitalisés à compter du 3 juillet 1962, date du début de la cristallisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu les déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 et la loi du 13 avril 1962 ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Mohammed A,

- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A, fils de M. Mohamed B, décédé en 1973, titulaire d'une retraite du combattant comme ancien combattant de la première guerre mondiale, et de Mme Fatima C, décédée le 20 août 1986, tous deux de nationalité algérienne, a sollicité le 14 février 2002 la décristallisation de la retraite servie à son père ; que M. A se pourvoit en cassation contre le jugement du 1er février 2006 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de la défense rejetant sa demande de révision de la retraite du combattant dont son père était titulaire ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 255 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa rédaction en vigueur au 31 mars 2000 : Il est institué pour tout titulaire de la carte du combattant remplissant les conditions de l'article L. 256 ou de l'article L. 256 bis une retraite cumulable, sans aucune restriction, avec la retraite qu'il aura pu s'assurer par ses versements personnels, en application notamment de la loi du 4 août 1923 sur les mutuelles retraites et avec la ou les pensions qu'il pourrait toucher à un titre quelconque. / Cette retraite annuelle, qui n'est pas réversible, est accordée en témoignage de la reconnaissance nationale ; qu'il résulte de ces dispositions que la retraite du combattant constitue une pension de retraite accessoire attribuée en témoignage de la reconnaissance nationale et qu'au moment du décès du bénéficiaire de la retraite du combattant, ses ayants droit, s'ils ne sauraient prétendre personnellement au bénéfice de tout ou partie de la prestation pour la période postérieure au décès, peuvent percevoir les arrérages dus à la date du décès ;

Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'aux termes des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international (...) ;

Considérant que le tribunal administratif a fait une inexacte application des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en jugeant que la retraite du combattant attribuée en application des dispositions de l'article L. 255 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, qui constitue pour ses bénéficiaires une créance, ne pouvait être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; que M. A est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation du jugement qu'il attaque ;

Considérant qu'en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu pour le Conseil d'Etat, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de la défense :

Considérant, en premier lieu, que le ministre de la défense soutient que les conclusions de M. A tendant à la décristallisation de la retraite du combattant de feu son père sont irrecevables, dès lors que ce dernier n'a pas, de son vivant, introduit d'action contentieuse en ce sens ; que, toutefois, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il résulte des dispositions de l'article L. 255 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre qu'au moment du décès du bénéficiaire de la retraite du combattant, ses ayants droit disposent d'un intérêt propre leur donnant qualité pour demander à percevoir les sommes correspondant aux arrérages de la retraite du combattant qui resteraient encore dus à la date du décès ;

Considérant, en second lieu, que le ministre oppose à la demande de décristallisation formulée par M. A la prescription prévue à l'article L. 258 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, aux termes duquel : Lorsque, par suite du fait personnel de l'ancien combattant, la demande de retraite du combattant est déposée postérieurement à l'expiration de la troisième année qui suit celle où il remplit les conditions pour l'obtenir, le titulaire ne peut prétendre qu'aux arrérages de la retraite du combattant afférents à l'année au cours de laquelle la demande a été déposée et aux trois années antérieures ; qu'il résulte toutefois des termes mêmes de ces dispositions que la prescription qui peut être opposée à une demande de retraite du combattant ne s'applique qu'à la demande initiale de constitution du droit à pension et ne saurait recevoir application en cas de demande de revalorisation ;

Sur les conclusions de M. A tendant à la décristallisation de la retraite du combattant servie à son père au titre de la période du 3 juillet 1962 au 20 mai 1973 :

Considérant que l'article 15 de la déclaration gouvernementale du 19 mars 1962 relative à la coopération économique et financière doit être interprété comme ne rendant pas applicables aux pensions concédées à des Algériens avant le 3 juillet 1962 les dispositions de l'article 71-I de la loi de finances du 26 décembre 1959, qui ont substitué aux pensions imputées sur le budget de l'Etat dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France des indemnités annuelles en francs, lesquelles n'ont pas le caractère de pensions ; qu'il résulte de l'instruction que la pension militaire d'invalidité et la retraite du combattant ont été concédées à feu M. Mohamed B antérieurement au 3 juillet 1962 ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. A, la décision implicite du ministre de la défense rejetant sa demande tendant à la décristallisation de la retraite du combattant de son père, pour la période du 3 juillet 1962 au 20 mai 1973, date du décès de M. Mohamed B, doit être annulée ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant que le contentieux des pensions est un contentieux de pleine juridiction ; qu'il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente, et sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de lui fixer ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au ministre de la défense de revaloriser, dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision, la retraite du combattant de feu M. B, pour la période du 3 juillet 1962 au 20 mai 1973, au taux prévu par les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre applicables aux ressortissants français, et de verser à M. A les arrérages correspondant à cette revalorisation, ainsi que les intérêts moratoires capitalisés dus en application de l'article 1153 du code civil, qui courent à compter du 14 février 2002, date de présentation de sa demande ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que M. A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente affaire le versement de la somme de 1 500 euros ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 1er février 2006 est annulé.

Article 2 : La décision implicite de rejet née du silence gardé pendant plus de deux mois par le ministre de la défense sur la demande de M. A, en date du 14 février 2002, tendant à la décristallisation de la retraite du combattant de feu son père, pour la période du 3 juillet 1962 au 20 mai 1973, est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de la défense de procéder, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, à la revalorisation de la retraite du combattant de feu M. Mohamed B, et de verser à M. A les arrérages correspondant à cette revalorisation, ainsi que les intérêts moratoires capitalisés, calculés à compter du 14 février 2002.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, sous réserve que celle-ci renonce à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle pour laquelle elle a été désignée.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Mohammed A et au ministre de la défense.


Synthèse
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 307596
Date de la décision : 17/03/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 17 mar. 2009, n° 307596
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jouguelet
Rapporteur ?: Mme Karin Ciavaldini
Rapporteur public ?: M. Collin Pierre
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:307596.20090317
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