Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril et 16 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Joseph A demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 5 août 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, d'une part, réformé le jugement du 16 décembre 1997 du tribunal administratif de Strasbourg en ramenant à 571, 69 euros la somme que le centre hospitalier de Haguenau a été condamné à lui verser en réparation du préjudice subi du fait de l'accident dont a été victime son fils Joseph, et à 12.195, 92 euros la somme que le centre hospitalier a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie en remboursement de ses débours, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions présentées devant la cour administrative d'appel tendant à ce que le centre hospitalier de Haguenau soit condamné lui verser une somme de 726.680 F (110 781,65 euros), en réparation du préjudice subi par son fils ainsi qu'une somme de 50 000 F (7 622,45 euros) au titre de son propre préjudice matériel ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Haguenau la somme de 3.000 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nicole Guedj, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. A, Me Le Prado, avocat du centre hospitalier général de Haguenau et de la SCP Boutet, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par un arrêt en date du 4 juillet 2002, la cour administrative d'appel de Nancy, saisie en appel d'un jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 16 décembre 1997 ayant condamné le centre hospitalier d'Haguenau à réparer les conséquences dommageables résultant des retards de diagnostic et de traitement de l'infection de l'oeil gauche dont était atteint le jeune Joseph A, a jugé que ces retards avaient compromis les chances du patient de conserver son oeil et que la réparation incombant au centre hospitalier devait être évaluée à une fraction du dommage corporel constaté, déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; qu'estimant toutefois ne pas trouver au dossier, et en particulier dans l'expertise ordonnée par les premiers juges, les éléments permettant de trancher la question de savoir quel était le pourcentage de risque que Joseph A avait de subir une énucléation si le diagnostic d'infection avait été posé et le traitement nécessaire mis en oeuvre dès la première visite à l'hôpital le 6 août 1994, elle a ordonné un complément d'expertise sur ce point et réservé l'évaluation du préjudice ; que, par un deuxième arrêt en date du 5 août 2004 contre lequel les consorts A et la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie par la voie du recours incident, se pourvoient en cassation, la cour a fixé à 25% la fraction des préjudices dont la réparation incombe à l'hôpital et condamné celui ci à verser 12 195,92 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie et 571,69 euros aux consorts A ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant que la cour, en fixant la perte de chance à 25%, sans s'expliquer sur les motifs dégagés de l'instruction du dossier ou du rapport d'expertise l'ayant conduit à cette évaluation, n'a pas mis à même le juge de cassation d'exercer son contrôle ; que son arrêt qui est insuffisamment motivé doit, par suite, être annulé ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821 ;2 du code de justice administrative : S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut (…) régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ;
Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertise que le germe infectieux à l'origine de l'énucléation a été introduit accidentellement au moment de l'accident dû au jet d'une capsule de bière ; que, compte tenu notamment de la nature du germe en cause qui n'a pas pu être identifié avec certitude alors même que l'infection s'était développée, le retard de diagnostic d'environ deux jours dont a été victime M. A n'a entraîné pour ce dernier qu'une perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; qu'en raison du délai de 24 heures qui s'est écoulé entre l'accident au cours duquel le germe infectieux s'est introduit dans l'oeil de l'enfant et la première consultation à l'hôpital et de la difficulté connue à identifier et traiter avec succès le germe responsable d'une infection oculaire du type de celle dont l'enfant était atteint, le préjudice indemnisable doit, en l'espèce, être fixé à 50% du dommage corporel ;
Sur l'évaluation du préjudice :
Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 portant financement de la sécurité sociale pour 2007 le juge, saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et d'un recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste du préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste du préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;
Considérant qu'en l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu, pour mettre en oeuvre la méthode sus-décrite, de distinguer, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage ; que parmi les préjudices personnels, sur lesquels l'organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s'il établit avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence, envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
Considérant que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier de Haguenau, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie est en droit de prétendre au remboursement des frais futurs d'appareillage de Joseph A, dès lors que l'état de ce dernier nécessite une surveillance médicale régulière et le renouvellement périodique de sa prothèse et que ces frais ont par suite un caractère certain ; que, compte tenu de la fraction de préjudice mis à la charge de l'hôpital, il y a lieu de condamner ce dernier à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie la somme de 16 718,15 euros ;
Considérant que le préjudice matériel qui résulterait des frais de déplacements liés au traitement du handicap du jeune Joseph A n'est assorti d'aucune justification permettant d'en apprécier la réalité ; que le requérant n'apporte aucune précision à sa demande tendant au remboursement de frais de déplacement ; que les incidences du handicap sur la carrière professionnelle du jeune Joseph A sont dépourvues de caractère certain ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du pretium doloris, du préjudice esthétique et des troubles dans les conditions d'existence de Joseph A à raison de la perte de son oeil en les fixant à la somme de 60 000 euros ; que compte tenu de la fraction du préjudice mis à la charge de l'hôpital il y a lieu de condamner ce dernier à verser 30 000 euros à M. Joseph A fils ;
Considérant que le préjudice moral subi par le père de l'enfant peut être évalué à 5 000 euros ; que compte tenu de la fraction du préjudice imputable à l'hôpital ce dernier versera 2 500 euros au requérant ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jeune Joseph A, le requérant, M. Joseph A et la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie sont fondés à demander que les sommes que le centre hospitalier de Haguenau a été condamné à leur verser par le jugement attaqué soient respectivement portées à 30.000 euros, 2.500 euros et 16.718,15 euros ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 382 euros par ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 2 décembre 2003, à la charge du centre hospitalier d'Haguenau ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du centre hospitalier d'Haguenau la somme de 3 000 euros à verser à M. A et celle de 2 500 euros à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 5 août 2004 est annulé.
Article 2 : La somme que le centre hospitalier de Haguenau a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie par le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 16 décembre 1997 est portée à 16.718,15 euros.
Article 3 : Les sommes que le centre hospitalier de Haguenau a été condamné à verser à M. Joseph A père et au jeune Joseph A sont respectivement portées à 2.500 et 30.000 euros.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 16 décembre 1997 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Les frais d'expertise d'un montant de 382 euros sont mis à la charge du centre hospitalier de Haguenau.
Article 6 : Le centre hospitalier de Haguenau versera une somme de 3000 euros aux consorts A et une somme de 2 500 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts A et des conclusions d'appel des consorts A et l'appel incident du centre hospitalier d'Haguenau sont rejetés.
Article 8 : La présente décision sera notifiée aux consorts A, au centre hospitalier de Haguenau et à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute ;Savoie.