Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 août et 7 décembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme François A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 21 juin 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement du 20 décembre 2001 du tribunal administratif de Poitiers rejetant leur demande tendant à la condamnation de la commune de Saujon à leur verser la somme de 301 105,44 euros en réparation du préjudice résultant de la résiliation du contrat de concession du terrain de camping municipal de Saujon, dénommé Le camping du lac ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Saujon le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jacky Richard, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de M. et Mme A et de Me Odent, avocat de la commune de Saujon,
- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que pour demander la condamnation de la commune de Saujon à leur verser une somme de 301 105,44 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la résiliation du contrat de concession conclu le 24 août 1994 pour l'aménagement et l'exploitation d'un terrain de camping municipal dans l'aire de loisirs de la Lande à Saujon (Charente-Maritime), M. et Mme A se prévalaient des stipulations du deuxième alinéa de l'article 5 de ce contrat aux termes desquelles : En cas de résiliation anticipée de la part de la ville, en dehors du cas de faute grave du concessionnaire, le concessionnaire aura droit, outre le paiement de tous dommages et intérêts pour les divers préjudices subis, au remboursement de la valeur non amortie du coût d'origine des investissements qu'il aura réalisés ; pour le calcul de cette indemnité, l'amortissement est calculé linéairement par rapport à une durée d'usage normale de ces biens, déterminée à compter de la date de leur acquisition ou de la livraison à soi-même. ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 2 de ce même contrat de concession : Dans le cas d'impossibilité d'exploitation, ou de souhait de transfert de la concession à un tiers, le concessionnaire ou ses ayants-droit, auront la possibilité, après accord du conseil municipal, de céder la concession et ses investissements à un repreneur ;
Considérant qu'en jugeant, après avoir relevé que M. et Mme A avaient, sans l'autorisation préalable de la commune, cédé leur concession à la SARL Le camping du lac dont ils étaient les principaux actionnaires, que ceux-ci ne pouvaient plus se prévaloir des stipulations du contrat pour demander à être indemnisés, alors qu'en l'absence d'un accord explicite de la collectivité contractante, la cession de la concession ne pouvait être valide, la cour administrative d'appel de Bordeaux a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que si la cour relève en outre que M. et Mme A n'avaient réalisé aucun investissement en leur nom propre, son arrêt ne repose pas sur ce seul motif ; qu'ainsi M. et Mme A sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt du 21 juin 2005 de la cour administrative d'appel de Bordeaux ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;
Sur le droit à indemnisation :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la commune n'ignorait pas, lors de la conclusion du contrat de concession, l'intention des époux A de constituer une SARL à laquelle serait cédée la concession, que le conseil municipal, le 17 octobre 1994 a autorisé la commune à accorder sa garantie, pour un emprunt de 1 480 000 F destiné à financer l'aménagement et l'équipement du terrain de camping, à cette société, dénommée Le camping du lac, dont les époux A et leur fils étaient les seuls actionnaires à hauteur respectivement de 90 % et de 10 %, que la convention correspondante a été signée le 25 novembre 1994 et qu'un arrêté du maire en date du 24 avril 1995 a transféré à la SARL l'autorisation d'aménager le camping ; que dans ces circonstances, la négligence commise par M. et Mme A en omettant de solliciter auprès de la commune l'autorisation de céder leur concession à la SARL Le camping du lac et la faute consistant à ne pas avoir exécuté eux-mêmes le contrat de concession, ne présentent pas une gravité de nature à les priver de l'indemnisation prévue à l'article 5 alinéa 2 du contrat ; que par suite, M. et Mme A sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande de condamnation de la commune de Saujon à les indemniser du préjudice résultant pour eux de la résiliation de la concession ;
Sur le préjudice :
Considérant que, par lettre du 10 septembre 1998, les époux A ont présenté une demande préalable de dédommagement à la commune ; que, s'ils soutiennent avoir personnellement supporté des frais d'étude préalable à la réalisation du projet, un manque à gagner, une perte de bénéfice et une partie des intérêts de l'emprunt souscrit par la société Le camping du lac dont ils sont demeurés caution, ils n'apportent pas de justification suffisante au soutien de ces prétentions ; qu' il y a lieu, en revanche, de retenir, au titre du préjudice financier subi personnellement par les époux A, les frais de participation à l'installation du réseau d'assainissement des eaux usées réalisé par le SIVOM du pays royannais et les frais d'architecte engagés au titre de l'autorisation d'aménager le terrain de camping, qui sont mentionnés à l'article 4 du contrat de concession et ont donné lieu à un titre de perception adressé aux époux A pour un montant de 372 740 francs, soit 56 820,12 euros ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. et Mme A du fait de la résiliation, dès la première année, d'un contrat de concession, conclu pour 35 ans, du terrain de camping dont l'exploitation devait constituer leur activité principale et assurer l'essentiel de leurs revenus, en estimant celui-ci à 3 000 euros pour chacun ; que le préjudice total de M. et Mme A est ainsi fixé à 62 820,12 euros ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant que M. et Mme A ont droit aux intérêts sur la somme de 62 820,12 euros à compter du 12 septembre 1998, jour de réception par la commune de Saujon de leur demande ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 7 décembre 2005 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a lieu par suite de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Saujon une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A pour l'ensemble de la procédure et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mises à la charge de M. et Mme A les sommes que demande la commune de Saujon au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 21 juin 2005 et le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 20 décembre 2001 sont annulés.
Article 2 : La commune de Saujon est condamnée à verser à M. et Mme A la somme de 62 820,12 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 1998. Les intérêts échus le 7 décembre 2005 et à chaque échéance annuelle suivante seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêt.
Article 3 : La commune de Saujon versera la somme de 5 000 euros à M. et Mme A en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. et Mme A devant la cour administrative d'appel de Bordeaux et le tribunal administratif de Poitiers est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune de Saujon tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme François A et à la commune de Saujon.
Une copie sera adressée pour information au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.