Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 avril et 1er août 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'OPAC HABITAT DROUAIS, dont le siège est 7, rue Henri Dunant à Dreux (28100) ; l'OPAC HABITAT DROUAIS, venant aux droits de l'OPHLM Habitat Drouais, demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 20 décembre 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté ses conclusions dirigées contre le jugement en date du 25 mai 1999 du tribunal administratif d'Orléans le condamnant à verser à la société Juin-Gabrielli la somme de 229 065,33 euros, et, sur appel incident de cette société, a porté cette somme à 305 175,99 euros ;
2°) de mettre à la charge de l'entreprise Juin-Gabrielli la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de l'OPAC HABITAT DROUAIS,
- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'office public d'HLM Habitat Drouais, devenu par la suite l'OFFICE PUBLIC D'AMENAGEMENT ET DE CONSTRUCTION HABITAT DROUAIS, a confié à la société Juin-Gabrielli, par un acte d'engagement signé le 27 août 1990, le lot « gros oeuvre » d'un chantier de rénovation portant sur soixante-dix logements répartis en trois immeubles au lieu-dit « les Chamards » à Dreux, pour un prix global et forfaitaire initial de 2 254 065 F (343 659,86 euros) ; qu'à la suite de la mise à disposition tardive par l'office de deux des trois tours de cet ensemble immobilier, le chantier a subi des retards importants, le dernier procès-verbal de réception étant signé le 10 septembre 1992, soit plus d'un an après la date prévue d'achèvement du chantier ; qu'entre-temps l'office a été conduit à demander à l'entreprise divers travaux supplémentaires ;
Considérant qu'après avoir présenté au maître d'ouvrage deux mémoires de réclamation et un mémoire définitif tendant à obtenir le règlement, d'une part des coûts de chantier et des coûts d'immobilisation de sa main d'oeuvre du fait de la livraison tardive de deux des tours, d'autre part des travaux supplémentaires portant sur trente postes de dépenses, pour un montant représentant 3 467 727,25 F TTC (528 665,31 euros), la société Juin-Gabrielli a demandé au tribunal administratif d'Orléans l'indemnisation des préjudices subis et des travaux supplémentaires réalisés ; que par jugement du 25 mai 1999, le tribunal administratif d'Orléans a fait droit à une partie des demandes au titre du préjudice subi par la société du fait de la livraison tardive des immeubles, d'une part, d'une partie des travaux supplémentaires, d'autre part, pour un montant total de 1 502 070,05 F (229 065,33 euros), assorti des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts ; que l'OFFICE PUBLIC D'AMENAGEMENT ET DE CONSTRUCTION HABITAT DROUAIS a interjeté appel de ce jugement, la société Juin-Gabrielli présentant des conclusions d'appel incident; que par un arrêt du 20 décembre 2002, contre lequel l'OFFICE PUBLIC D'AMENAGEMENT ET DE CONSTRUCTION HABITAT DROUAIS se pourvoit régulièrement en cassation, la cour administrative d'appel de Nantes a porté à 305 175,99 euros le montant des indemnités dues par l'office à la société Juin-Gabrielli ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant que l'OFFICE PUBLIC D'AMENAGEMENT ET DE CONSTRUCTION HABITAT DROUAIS a déposé auprès de la cour administrative d'appel de Nantes une note en délibéré le 17 décembre 2002 ; que cette note, qui a été enregistrée par le greffe de la cour, n'est pas visée par l'arrêt ; qu'ainsi cet arrêt est irrégulier ; que l'office est fondé à en demander l'annulation ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance et de l'appel incident de la société Juin-Gabrielli :
Considérant que la circonstance qu'une société soit placée en redressement judiciaire postérieurement à sa saisine du juge administratif ne rend pas irrecevable sa demande, dès lors que la société conserve la personnalité juridique même après le déclenchement de cette procédure ;
Sur le préjudice lié à la mise à disposition tardive des immeubles par l'OPAC :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en raison d'une mise à disposition tardive de deux tours par l'OPAC, le démarrage effectif des travaux n'a pu avoir lieu qu'avec retard ; qu'il en est résulté pour la société un préjudice lié à la désorganisation du chantier, qui trouve sa cause dans le manquement du maître d'ouvrage à ses obligations contractuelles ; que par suite, l'OPAC n'est pas fondé à soutenir que le caractère forfaitaire du prix serait un obstacle à l'indemnisation de l'intégralité du préjudice subi par la société Juin-Gabrielli du fait de ce retard ;
En ce qui concerne l'indemnisation des coûts de main d'oeuvre :
Considérant que la société Juin-Gabrielli a produit des éléments tendant à établir le montant du préjudice subi du fait de l'immobilisation de sa main d'oeuvre à 1 054 057 F hors taxes (160 694,12 euros) ; que l'OPAC HABITAT DROUAIS n'apporte aucun élément probant de nature à modifier cette évaluation ; qu'il en est ainsi du constat d'huissier produit, tendant à établir que les ouvriers de la société Juin-Gabrielli étaient employés sur des chantiers extérieurs pendant la durée d'interruption du chantier ; que par suite l'OPAC n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif l'a condamné à indemniser l'entreprise à ce titre ;
En ce qui concerne l'indemnisation des frais de chantier :
Considérant que l'article 8.03 du cahier des clauses administratives particulières prévoit que le titulaire du lot « gros-oeuvre » devra supporter la totalité des dépenses exposées au titre de la location des sanitaires de chantier, de la location du bureau de chantier, des bennes à gravois et ordures ainsi que les frais de nettoyage général du chantier ; qu'il suit de là que la société Juin-Gabrielli est fondée à demander la condamnation de l'OPAC à lui payer le coût, d'un montant non contesté de 76 949,83 F hors taxes (11 731,23 euros) au titre des prestations exposées à raison des retards ;
Considérant que le même article prévoit que l'entreprise titulaire du lot doit supporter 50% des dépenses de consommation d'électricité et de téléphone ainsi que la totalité des frais de gardiennage ; que compte tenu de ces dispositions, l'office doit être condamné à payer à la société Juin-Gabrielli la somme de 42 652,24 F hors taxes (6 502,46 euros) exposée à ce titre ;
Considérant enfin que la société Juin-Gabrielli a supporté des frais au titre de l'avance des honoraires de « pilotage » du chantier ; que cette dépense qui s'élève à la somme de 6 936 F hors taxes (1 057,41 euros) et qui ne figure pas dans le compte-prorata doit être supportée par l'OPAC ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité que l'office public d'aménagement et de construction HABITAT DROUAIS doit être condamné à verser à l'entreprise Juin-Gabrielli au titre du préjudice imputable aux retards de mise à disposition des immeubles doit être portée à une somme totale de 1 548 994,14 F hors taxes (236 148,75 euros) ;
Sur le remboursement des travaux supplémentaires :
Considérant que le tribunal administratif a suffisamment motivé son jugement quant aux différents postes de travaux supplémentaires en litige ;
Considérant en premier lieu que les postes numéros 18, 25, 36, 38 et 39 ont fait l'objet d'un accord entre l'office et la société Juin-Gabrielli et que les demandes ont perdu leur objet en ce qui les concerne ;
Considérant en deuxième lieu qu'il résulte de l'instruction que les postes de dépense numéros 10, 21 et 22 doivent rester à la charge de l'entreprise Juin-Gabrielli ; qu'en effet, le poste n°10 (réalisation d'un enrobé de briques pour la gaine d'ascenseur) résulte d'une incertitude initiale sur la configuration des lieux qu'il incombait à l'entreprise, en application des articles 2.08 et 22 du cahier des clauses techniques particulières, de lever ; que de même, les postes nos 21 et 22 correspondent à la fourniture supplémentaire de matériaux et de prestations prévues par le marché (pose de poteaux et poutres), dont l'indemnisation est exclue par le caractère global et forfaitaire du prix ;
Considérant en troisième lieu que les travaux relatifs aux postes 11 (solin de protection des terrasses), 13 et 27 (contreventements), 15 (doublage effectué par l'entreprise Juin-Gabrielli aux lieu et place d'une autre entreprise), 16 (bouchement des plots électriques), 30 (démolition des rejingots sur les anciennes baies des loggias) et 40 (reprise des métrés) correspondent à des travaux non prévus dans le marché dont l'office ne démontre pas qu'ils seraient liés à des malfaçons dont l'entreprise serait responsable ; qu'ainsi, l'indemnisation de ces travaux doit être mise à la charge de l'office public d'aménagement HABITAT DROUAIS ; qu'il en résulte, compte tenu des justificatifs apportés par la société Juin-Gabrielli, une indemnisation pour ces chefs de préjudice d'un montant total de 89 298,30 F hors taxes (13 613,79 euros) ;
Sur le paiement de la T.V.A. :
Considérant que l'indemnité allouée doit comprendre tous les éléments du prix des travaux, y compris le montant de la taxe sur la valeur ajoutée ; que compte tenu du montant total des indemnisations décidées pour les différents chefs de préjudice, il y a lieu d'appliquer à une somme totale de 1 638 292,44 F hors taxes (249 762,54 euros), une taxe sur la valeur ajoutée au taux de 18,6% applicable à la date de réalisation des travaux, soit 304 722,40 francs (46 455,83 euros) ;
Sur les intérêts :
Considérant que la société Juin-Gabrielli a droit aux intérêts moratoires prévus dans les conditions fixées par le code des marchés publics sur la somme de 1 943 014,84 francs soit 296 218,38 euros à compter de l'expiration d'un délai de quarante-cinq jours suivant l'envoi de sa réclamation définitive du 31 mai 1994, soit à compter du 15 juillet 1994 ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : « Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière » ; que pour l'application de ces dispositions la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle a été enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus pour au moins une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la société Juin-Gabrielli a demandé, par un mémoire enregistré le 23 avril 1997, la capitalisation des intérêts ; qu'à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a lieu de faire droit, ni aux demandes de l'OPAC HABITAT DROUAIS, ni à celles de la société Juin-Gabrielli, tendant à l'application de ces dispositions ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 20 décembre 2002 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : La somme de 229 065,33 euros que l'OFFICE PUBLIC D'AMENAGEMENT ET DE CONSTRUCTION HABITAT DROUAIS a été condamné à payer à la société Juin-Gabrielli est portée à 296 218,38 euros. Cette somme portera intérêts dans les conditions prévues par le code des marchés publics à compter du 15 juillet 1994. Les intérêts échus à la date du 23 avril 1997 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans en date du 25 mai 1999 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de l'appel de l'OPAC HABITAT DROUAIS et de l'appel incident de la société Juin-Gabrielli, ainsi que les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'OPAC HABITAT DROUAIS et à la société Juin-Gabrielli.