Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 septembre 2004 et 14 janvier 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Prosper A, demeurant c/o SCP Célice-Blancpain-Soltner 59, rue la Boétie à Paris (75008) et M. Joseph A, leur fils, demeurant c/o SCP Célice-Blancpain-Soltner 59 rue la Boétie à Paris (75008) ; M. et Mme Prosper A et M. Joseph A demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 14 juin 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, réformant le jugement du 22 février 2000 du tribunal administratif de Paris, a condamné l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris à verser, à M. et Mme A, une indemnité de 48.032,69 euros et à leur fils Joseph, une indemnité de 228.674 euros en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait d'une erreur de diagnostic ayant provoqué la cécité de Joseph ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Rousselle, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. et Mme A et de M. Joseph A et de la SCP Parmentier, Didier, avocat de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. et Mme A se pourvoient en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir jugé que l'erreur de diagnostic commise en juillet 1993 à l'hôpital Lariboisière où, alors qu'ils résidaient aux Emirats Arabes Unis avec leur fils Joseph âgé de huit ans ils étaient venus consulter pour les troubles visuels que présentait ce dernier, était la cause directe de la cécité totale dont l'enfant a été atteint à partir du printemps 1994 et engageait la responsabilité de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris qui devait en réparer le préjudice dans sa totalité, a condamné cet établissement à leur verser une somme de 48.032,69 euros et une somme de 228.674 euros à leur fils ; que le principe de la responsabilité de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris retenu par la cour, et celui de la réparation de l'intégralité du préjudice ne sont pas contestés en cassation ;
Considérant, en premier lieu, que la cour a jugé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les pièces produites par M et Mme A pour justifier leur demande tendant à être indemnisés des frais occasionnés par la prolongation de leur séjour en France que cette erreur de diagnostic aurait nécessité, étaient dépourvues de caractère probant ;
Considérant, en deuxième lieu, que la cour a, sans erreur de droit, pu inclure dans le calcul du préjudice propre de Joseph A et au titre de ses troubles dans les conditions d'existence les frais engagés pour pourvoir à son éducation de manière adaptée à son handicap ; qu'en refusant d'indemniser les frais de déménagement de la famille des Emirats Arabes Unis au Liban en 1996 au motif que la preuve d'un lien direct entre ces dépenses et la faute commise par l'hôpital public n'était pas rapportée, elle n'a pas inexactement qualifié les faits soumis à son appréciation ;
Considérant, en troisième lieu, qu'en évaluant les troubles de toute nature subis par Joseph A dans ses conditions d'existence à raison de l'incapacité permanente partielle de 80% dont il est atteint, à la somme de 228.674 euros, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine qui, en l'absence de dénaturation, n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ;
Mais considérant que la cour n'a pu, sans contradiction de motifs, après avoir admis la responsabilité de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris dans la survenance du dommage et juger qu'elle devait en réparer le préjudice dans sa totalité, indemniser le jeune Joseph A pour la totalité de son préjudice, puis considérer que le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence de ses parents, M. et Mme A, tels qu'ils avaient été évalués par le tribunal administratif de Paris, devaient être réduits de moitié, au motif que l'erreur de diagnostic commise avait compromis les chances de l'enfant de conserver une vision minimale et que ce dernier serait en tout état de cause demeuré affecté d'un handicap ;
Considérant enfin que la cour a également entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant que les intérêts accordés sur les indemnités versées aux consorts A à compter de la date du 13 février 1997 seraient capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à la date du 17 décembre 1998, date de leur première demande de capitalisation et à la date du 4 janvier 2000, date de leur seconde demande de capitalisation, alors que la capitalisation prend effet à la première date à laquelle elle est enregistrée, pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière et s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance ultérieure, sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ;
Considérant dès lors qu'il y a lieu de prononcer la cassation demandée dans la seule mesure où la cour s'est prononcée sur l'évaluation du préjudice de M. et de Mme A et sur la capitalisation des intérêts ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il sera fait une juste évaluation du préjudice moral de M et Mme A et des troubles qu'ils ont subis dans leurs conditions d'existence en raison du handicap dont a été atteint leur fils à partir de l'âge de neuf ans, en les évaluant à 25.000 euros pour chacun d'eux ; que les requérants sont par suite fondés à demander que la somme que le tribunal administratif a condamné l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris à leur verser soit portée de 63.220,49 euros à 82.730,69 euros ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 17 décembre 1998 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a lieu par suite de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris la somme de 3 000 euros que demandent les consorts A au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mises à la charge des consorts A les sommes que demande l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris en application de ces dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 5 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 14 juin 2004 sont annulés.
Article 2 : La somme que l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à M. et Mme A par le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 22 février 2000 est portée de 63.220,49 euros à 82.730,69 euros.
Article 3 : Les intérêts sur les sommes que l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à M. et Mme A et à Joseph A échus à la date du 17 décembre 1998 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêt.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 22 février 2000 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : L'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris versera 3 000 euros à M et Mme A en application de L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête et des conclusions d'appel des consorts A et les conclusions de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris sont rejetés.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Prosper A, à M. Joseph A, à l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.