La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/10/2007 | FRANCE | N°292062

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 19 octobre 2007, 292062


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril 2006 et 7 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Abdul-Badih A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 23 janvier 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 11 décembre 2001 du tribunal administratif de Paris rejetant leur demande et tendant, d'autre part, à ce que M. Mokdad et le centre hospitalier intercommunal Jean-Rostan

d de Sèvres soient déclarés responsables des préjudices qu'ils subis...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril 2006 et 7 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Abdul-Badih A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 23 janvier 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 11 décembre 2001 du tribunal administratif de Paris rejetant leur demande et tendant, d'autre part, à ce que M. Mokdad et le centre hospitalier intercommunal Jean-Rostand de Sèvres soient déclarés responsables des préjudices qu'ils subissent en raison de la naissance de leur enfant handicapé et soient condamnés à ce titre à leur verser diverses indemnités ;

2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal Jean-Rostand de Sèvres à leur verser une somme de 457 347,05 euros au titre de leur préjudice matériel commun, 53 357,05 euros au titre du préjudice moral subi par Mme A, la même somme au titre du préjudice moral subi par M. A, sommes assorties du paiement des intérêts au taux légal ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal Jean-Rostand de Sèvres la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean de L'Hermite, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. et Mme A et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier intercommunal Jean Rostand,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A, alors âgée de 36 ans, a été suivie au service de gynécologie obstétrique du centre hospitalier intercommunal Jean-Rostand de Sèvres pour sa deuxième grossesse ; qu'après la naissance, le 12 octobre 1997 d'un garçon atteint d'une trisomie 21, M et Mme A ont recherché la responsabilité de l'établissement public hospitalier et se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 23 janvier 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur appel dirigé contre un jugement du tribunal administratif de Paris ayant rejeté leur demande introduite devant cette juridiction le 29 juillet 1998 ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'aux termes des dispositions du I de l'article premier de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé aujourd'hui codifiée à l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles : « Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. » ; qu'en vertu du même article, ces dispositions, entrées en vigueur dans les conditions du droit commun à la suite de la publication de la loi au Journal officiel de la République Française du 5 mars 2002, « sont applicables aux instances en cours à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation » ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général » ; que les parents d'un enfant né avec un handicap non décelé au cours de la grossesse pouvaient, avant l'entrée en vigueur de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002, obtenir de la personne publique responsable de la faute réparation du préjudice correspondant aux charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant, du handicap de ce dernier ; que si selon l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une personne peut être privée d'un droit de créance en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la condition que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002, en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de sa vie, en subordonnant l'engagement de la responsabilité de l'auteur à une faute caractérisée et en instituant un mécanisme de compensation forfaitaire des charges découlant du handicap ne répondant pas à l'obligation de réparation intégrale, a porté une atteinte disproportionnée aux créances en réparation que les parents d'un enfant né porteur d'un handicap non décelé avant sa naissance par suite d'une faute pouvaient légitimement espérer détenir sur la personne responsable avant l'entrée en vigueur de cette loi ; que dès lors les dispositions de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002, en ce qu'elles s'appliquent aux instances en cours sous la seule réserve qu'elles n'aient pas donné lieu à une décision statuant irrévocablement sur le principe de l'indemnisation sont incompatibles avec l'article 1er -I du premier protocole ; qu'il s'ensuit que la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit en appliquant à l'instance engagée par M. et Mme A le 21 juillet 1998 les règles édictées par la loi nouvelle, restrictives du droit de créance dont ceux-ci se prévalaient pour obtenir réparation des conséquences dommageables résultant pour eux de la naissance de leur fils handicapé ; que l'arrêt attaqué la cour administrative d'appel de Paris doit par suite être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Sur les conclusions de la requête dirigées contre M. Mokdad :

Considérant que si les fautes commises par les agents publics dans l'exercice de leurs fonctions peuvent constituer des fautes de service de nature à engager la responsabilité de l'administration et si, dans cette mesure, la juridiction administrative est compétente pour apprécier la gravité de ces fautes et condamner la personne publique dont relève l'agent, il ne lui appartient pas en revanche de se prononcer sur les conclusions qui mettent en cause la responsabilité personnelle de ces agents publics ; qu'ainsi, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Paris a rejeté, comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, les conclusions dirigées contre M. Mokdad, praticien hospitalier ayant suivi la grossesse de Mme A au centre hospitalier intercommunal Jean-Rostand ;

Sur les conclusions de la requête dirigées contre le centre hospitalier intercommunal Jean-Rostand :

Considérant qu'il résulte de l'instruction et sans qu'il soit besoin de prendre en considération les mentions manuscrites portées en marge des compte-rendus d'examen de Mme A établis par le praticien hospitalier l'ayant examinée au cours de sa grossesse, que Mme A s'est présentée pour la première fois le 21 mai 1997 dans sa 17ème semaine d'aménorrhée au centre hospitalier intercommunal Jean-Rostand pour y faire suivre sa grossesse ; qu'elle a présenté à cette date une première échographie réalisée au Liban, sans compte-rendu, ni examen mini morphologique susceptible de permettre de déceler des signes éventuels précoces de trisomie 21 ; que l'échographie alors pratiquée par le praticien du centre hospitalier Jean-Rostand n'a pas permis non plus de détecter d'anomalie ; qu'il résulte des mentions originales du dossier médical que le praticien hospitalier a proposé à Mme A de pratiquer un premier examen de dépistage de la trisomie, proposition à laquelle Mme A n'a pas donné suite ; que l'échographie réalisée le 5 juin 1997 à la veille du départ au Liban des requérants n'a pas révélé d'anomalie ; qu'il a alors été prescrit à Mme A de faire réaliser une échographie entre la 22ème et la 24ème semaine de grossesse, ce qu'elle n'a pas fait ; que la troisième échographie réalisée au centre hospitalier le 22 septembre 1997 n'a rien révélé d'anormal ;

Considérant que si les requérants allèguent que des erreurs auraient été commises lors de l'interprétation de ces échographies, ils n'assortissent ces griefs d'aucun élément de nature à les établir ; que ces examens n'ont pas été réalisés dans des conditions affectant leurs résultats d'une marge d'erreur inhabituelle qui aurait justifié que Mme A en fût informée et incitée à procéder à des investigations complémentaires ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les requérants aient demandé un examen prénatal par amniocentèse, ni que Mme A ait présenté des antécédents médicaux familiaux susceptibles d'alerter sur un risque génétique tels que le centre hospitalier eût dû l'inviter expressément à réaliser un tel examen ; que, dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les praticiens du centre hospitalier aient commis des fautes dans le suivi de la grossesse de la requérante ou aient manqué à leur devoir d'information ;

Considérant enfin qu'il ne résulte pas de l'instruction que le personnel du centre hospitalier aurait eu un comportement fautif en n'accordant pas un soutien psychologique suffisant aux époux A après la révélation de la trisomie 21 dont était atteint leur enfant ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs conclusions dirigées contre le centre hospitalier intercommunal Jean-Rostand ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Jean-Rostand de Sèvres qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les époux A demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 23 janvier 2006 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par M. et Mme A devant la cour administrative d'appel de Paris et le surplus des conclusions de leur requête devant le Conseil d'Etat sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Abdul-Badih A, au centre hospitalier intercommunal Jean-Rostand, à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.


Synthèse
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 292062
Date de la décision : 19/10/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 19 oct. 2007, n° 292062
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Jean de l'Hermite
Rapporteur public ?: M. Thiellay
Avocat(s) : LE PRADO ; SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2007:292062.20071019
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award